Pendant l’année qui s’est écoulée, l’African National Congress (ANC) a célébré son centenaire, le Front de libération du Mozambique (Frelimo) ses cinquante ans, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) a eu cinquante-cinq ans en décembre 2011, presque le même âge que le Botswana Democratic Party (BDP). La Zimbabwe African National Union (Zanu), dissidence surgie en 1963 de la Zimbabwe African People’s Union (Zapu), atteindra ses cinquante ans au cours de cette année. Quant à la South West African People’s Union (Swapo) namibienne, elle a vu le jour en 1960, tandis que la Tanganyika African Nation Union (Tanu) est née en 1954 (devenue depuis Chama Cha Mapindusi, le Parti de la révolution, en swahili). Tous ces partis sont au pouvoir depuis l’indépendance.
D’autres, comme le United National Independence Party (Unip), fondé par Kenneth Kaunda en Zambie, et le Malawi Congress Party (MCP), création personnelle de Hastings Banda, premier président malawite qui a fini par se plier aux intérêts du néo-colonialisme et de l’apartheid, se sont plus ou moins effondrés. Faut-il en tirer la conclusion que les partis créés autour de telles personnalités, ou familles, ont un avenir incertain quand disparaissent leurs initiateurs isolés et dépourvus de principes solides ?
D’une façon générale, les mouvements de libération au pouvoir continuent à représenter aux yeux d’une majorité de la population les idéaux qui ont guidé la lutte contre la domination coloniale, même lorsqu’ils s’éloignent de leurs racines et, parfois, de leurs principes.
En Afrique australe, seuls la Tanzanie, le Malawi, la Zambie et le Botswana – sans prendre en compte les pays enclavés comme le Swaziland et le Lesotho – n’ont pas été contraints de prendre les armes pour conquérir leur liberté.
Certains, au contraire, ont dû poursuivre la lutte pour défendre leur souveraineté après l’indépendance. Ainsi, l’Angola ne connaît la paix que depuis 2002 avec la mort de Jonas Savimbi, le Mozambique depuis 1992, grâce aux accords de paix signés à Rome et rendus possibles par la chute du régime de l’apartheid en 1990. Au Zimbabwe, la guerre de libération a pris fin en 1980, après les accords de Lancaster House.
Mais beaucoup se demandent où en sont aujourd’hui les principes qui ont guidé ces mouvements de libération pendant la lutte. Les idéaux de construction de sociétés plus justes, voire socialistes. La fin des discriminations en fonction de la couleur de la peau, de l’origine sociale, ethnique ou religieuse. Il faut bien reconnaître que la pratique du pouvoir de ces mouvements de libération, devenus depuis des partis, s’est bien éloignée des idéaux affichés autrefois, ou même de ceux dont ils se réclament encore.
Peut-être le plus éclatant symbole de cette dérive est-il la désignation au congrès de l’ANC à Mangaung, en décembre dernier, de Cyril Ramaphosa comme vice-président du mouvement, et donc probable successeur de Jacob Zuma à la tête de l’Afrique du Sud.
Ancien syndicaliste devenu milliardaire et aujourd’hui membre du Conseil d’administration de Lonmin, les mines de platine où a eu lieu le massacre de mineurs à Marikana, Ramaphosa est bien le symbole de ce mariage contre nature entre le mouvement de libération et le capital transnational. La fin de l’apartheid n’a touché que le pouvoir politique et la discrimination dans les hôtels, restaurants et WC… Il a créé une douzaine de nouveaux milliardaires noirs, et élargi un tant soit peu la classe moyenne. Un ménage blanc gagne encore six fois plus que le ménage noir à égalité de compétences. Presque 29 % des Noirs sont au chômage, contre moins de 6 % des Blancs. Enfin, 62 % des Noirs et 33 % des Métis vivent sous le seuil de pauvreté, contre 1 % des Blancs. L’apartheid économique survit.
En Angola, au Mozambique et au Zimbabwe, il faut bien reconnaître que la force de l’argent, les pressions exercées par le capitalisme national montant et les seigneurs du monde de la finance internationale ont réussi à infléchir les idéaux de la cause de la libération et imposer un changement de cap significatif.
Malgré ces évolutions, pour beaucoup négatives, les anciens mouvements de libération gardent un énorme soutien au sein des couches populaires, un peu comme on continue d’aimer son club de football même lorsqu’il est au bas de sa forme. En même temps, à travers des ambassades, des ONG, des fondations, des médias du Premier Monde, on tente de promouvoir des organisations politiques alternatives aux mouvements de libération, de crainte surtout que ces derniers ne reviennent à leurs principes d’antan. Pour les intérêts qui s’ingèrent de la sorte, c’est une crainte ; pour beaucoup au sein du petit peuple, c’est l’espoir !