Quand une personnalité de haut rang d’un pays qualifie le dirigeant d’un autre pays de « poule mouillée », on peut considérer que les relations entre ces deux pays ne sont pas des meilleures. En fait, on peut estimer qu’elles sont quelque peu moins que cordiales.
L’histoire a vu nombre de relations bizarres entre nations. Mais j’ose dire aucune plus bizarre que ce qui existe entre Israël et les États-Unis.
À première vue, deux États ne pourraient être plus proches l’un de l’autre qu’ils ne le sont. Juste un petit exemple : le jour même où le mémorable qualificatif de poule mouillée a fait la une des médias, l’Assemblée générale des Nations unies adoptait une résolution demandant aux États-Unis de mettre fin à son embargo de 50 ans à l’égard de Cuba. 188 pays, dont l’ensemble des pays de l’Union européenne et de l’Otan l’ont votée. Deux États ont voté contre : les États-Unis et Israël.
Deux États contre le monde entier ? Non, pas tout à fait. La Micronésie, les Palaos et les Iles Marshall se sont abstenues. (Ces trois puissantes nations insulaires soutiennent généralement Israël, aussi, bien que peu d’Israéliens soient capables de les situer sur une carte.)
Tout au long des années, lors de centaines de votes aux Nations unies, Israël s’est tenu loyalement du côté des États-Unis, et réciproquement. Une alliance indéfectible, en apparence. Et voilà que maintenant ils qualifient notre valeureux Premier ministre de poule mouillée ?
La haute personnalité fondait son qualificatif désobligeant sur le manque d’enthousiasme de Benjamin Nétanyahou pour bombarder l’Iran, comme il ne cesse d’en brandir la menace, et aussi sur son absence de volonté de faire la paix avec les Palestiniens.
La première accusation est infondée, puisque Nétanyahou n’a jamais envisagé sérieusement d’attaquer l’Iran. Certains de mes lecteurs peuvent se souvenir que je leur ai dit depuis le premier jour qu’une telle attaque ne se produirait pas, sans même me laisser une échappatoire pour le cas où j’aurais eu tort. Je savais qu’une telle attaque était absolument hors de question. Et pas seulement du fait que tous les responsables du système de défense israélien y étaient opposés.
La seconde accusation est encore plus dépourvue de fondement. Nétanyahou ne s’est pas dégonflé de faire la paix. Cela présupposerait qu’il ait jamais voulu la paix. Si les Américains croient réellement cela, ils devraient lire quelques bons articles (en particulier les miens).
Nétanyahou n’a jamais retenu même un instant l’idée de faire la paix. Toute son éducation en fait quelque chose d’absolument impossible. Son défunt père, Ben-Zion, était un nationaliste tellement extrémiste et rigide, qu’en comparaison Vladimir Jabotinsky, le leader sioniste de droite, faisait l’effet d’un pacifiste de gauche.
Toute parole prononcée par Benjamin Nétanyahou en faveur de la paix et de la solution à Deux États était un mensonge flagrant. Pour lui, plaider en faveur d’un État palestinien c’est comme, pour un rabbin en chef, recommander de manger du porc le jour de Yom Kippour.
Tout diplomate américain qui ne sait pas cela devrait être muté immédiatement en Micronésie (ou aux Palaos).
Ces temps derniers il semble que Nétanyahou a fait tout ce qu’il pouvait pour provoquer une querelle avec le gouvernement des États-Unis.
À première vue, cela ressemble à un acte de folie, un acte tellement dangereux que tout psychiatre compétent demanderait de le faire interner dans l’aile fermée d’un asile.
Israël dépend totalement des États-Unis – pas à 99 %, mais à 100 %. Le jour même de la publication de la qualification de poule mouillée, les États-Unis ont été d’accord pour vendre à Israël une deuxième escadrille d’avions de combat F- 35, après la vente des premiers 19 avions (pour un coût de 2,35 milliards de dollars). L’argent provient du tribut annuel que paient les États-Unis à Israël.
Sans le veto automatique des États-Unis à toutes les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui n’ont pas l’agrément du gouvernement israélien il y aurait eu depuis longtemps un État de Palestine comme membre à part entière des Nations unies. Une des pierres angulaires de nos relations étrangères est l’idée de beaucoup de pays que pour obtenir les faveurs du Congrès des États-Unis, il leur faut d’abord graisser la patte du portier – Israël. Etc.
Tous les Israéliens sont réellement convaincus que notre relation avec les États-Unis est vitale pour l’État. S’il y a quelque chose sur quoi les Israéliens de tous âges, groupes, communautés, croyances et orientations politiques sont unanimes, c’est cette conviction.
Alors comment se fait-il que notre Premier ministre travaille à plein-temps à la destruction de la relation entre les deux gouvernements ?
Lorsque notre ministre de la Défense, Moshe Ya’alon, s’est rendu à Washington DC cette semaine, toutes ses demandes d’entrevue avec des membres du gouvernement des États-Unis et autres personnalités officielles importantes se sont heurtées à un refus catégorique, à l’exception d’une rencontre avec son homologue, Chuck Hagel, qui ne pouvait pas vraiment s’y opposer. C’était clairement un affront sans précédent.
Ya’alon, ancien chef d’état-major de l’armée, ne passe pas pour un génie. Certains pensent qu’il aurait mieux valu qu’il soit resté dans son métier précédent – la traite des vaches dans un kibboutz. Lorsqu’il déclara que John Kerry souffrait d’un “Messianisme obsessionnel” dans ses efforts pour aboutir à la paix entre Israël et la Palestine, Kerry comme le président Obama furent profondément offensés.
Mais les déclarations de ce genre sont devenues courantes de la part de membres du gouvernement israélien. Il en va de même pour les répliques tranchantes des porte-parole officiels des États-Unis. Celles-ci ne sont pas connues de l’opinion publique israélienne.
Benjamin Nétanyahou n’est pas idiot. Poule mouillée ou pas, à la différence de Ya’alon, il est considéré comme habile et intelligent. Alors à quoi joue-t-il ?
Sa folie ne manque pas d’une certaine logique.
Nétanyahou grandit aux États-Unis. Lorsque son père fut boycotté par l’université israélienne, qui refusait de le prendre au sérieux en tant qu’historien, la famille est allée s’installer dans un faubourg de Philadelphie. Benjamin se flatte d’avoir une connaissance approfondie des États-Unis.
À quoi pense-t-il ?
Il sait qu’Israël a le contrôle du Congrès des États-Unis. Aucun homme politique américain ne pourrait se faire réélire s’il formulait la plus légère critique de l’« État Juif ». L’organisation pro-israélienne AIPAC, le lobby le plus puissant de Washington (à part la National Rifle Association, l’association de promotion des armes à feu) y veillera. La forte emprise du lobby juif sur les médias en est une garantie supplémentaire.
Du point de vue de Nétanyahou, dans toute confrontation entre le Congrès et la Maison blanche sur d’Israël, le Président est destiné à perdre. Donc il n’y a rien à craindre.
Nétanyahou, en fait, joue à la roulette avec tout le capital d’Israël dans ce grand casino qu’on appelle les États-Unis d’Amérique. Peut-être a-t-il été contaminé par son mentor et protecteur, le tsar de casino Sheldon Adelson, qui a la main sur la conduite de la politique israélienne aux États-Unis
(C’est Adelson qui a désigné l’ambassadeur d’Israël à Washington, Ron Dremer, un militant important du parti républicain, que la Maison Blanche déteste.)
Pour évaluer l’importance du jeu de Nétanyahou, en nous utilisant comme jetons, il faut se rendre compte de l’état de l’union.
Les États-Unis sont aujourd’hui une démocratie en panne.
Dans une démocratie normale – par exemple le Royaume uni ou l’Allemagne – il y a deux partis principaux ou deux coalitions de partis, qui se font face. Ils appartiennent tous les deux au “courant dominant” et les différences entre eux sont mineures. Ils peuvent se succéder d’une fois sur l’autre sans grande agitation. Les citoyens s’en rendent à peine compte.
Ce n’est pas le cas aux États-Unis. Ce n’est plus le cas.
L’opinion publique américaine est maintenant divisée en deux camps, qui se haïssent du plus profond de leur cœur (s’ils en ont un). Cette haine est sans limite. L’un des camps est le parti des ultra-riches, qui défend ses privilèges, l’autre est celui des classes moyennes et il est au service de leurs intérêts.
Les idéologies des deux camps sont diamétralement opposées. Du coup ils ne peuvent se mettre d’accord pratiquement sur rien. Tout ce que font les Démocrates est considéré presque comme une trahison par les républicains, tout ce que défendent les Républicains est considéré par les Démocrates comme stupide, si ce n’est fou.
Les Républicains qui contrôlent le Congrès (et pourraient dans quelques jours y accroître leur influence) ont pour objectif de bloquer l’administration. Une fois ils ont même bloqué tous les paiements fédéraux, rendant le fonctionnement de l’État impossible. Une politique étrangère commune cohérente est hors de question. Je ne suis pas sûr que la situation ait été bien pire à la veille de la Guerre de Sécession..
C’est dans cette folle situation que Nétanyahou a plongé. Il a misé tous ses jetons (nous) sur les Républicains.
Lors des dernières élections présidentielles, il a presque ouvertement soutenu la candidature de Mitt Romney, l’adversaire d’Obama, déclarant ainsi pratiquement la guerre à l’administration actuelle. Les déclarations anti-Obama sans concessions que font actuellement les dirigeants israéliens sont utilisées – et sont conçues pour être utilisées – par les candidats Républicains contre leurs adversaires démocrates.
Les Démocrates font des efforts acharnés pour s’attacher les faveurs des électeurs et donateurs juifs en flattant Israël dans les termes les plus scandaleux, promettant de soutenir toutes les actions du gouvernement israélien sans exception, actuellement et pour l’éternité, quoi qu’il arrive. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en train de poignarder dans le dos les forces de paix israéliennes, rendant le combat pour la paix encore plus herculéen.
Mais, même si les élections de mi- mandat accroissent encore la subordination de la Chambre des Représentants et du Sénat à la droite israélienne, Obama sera encore là pour deux années de plus. D’une certaine façon, n’ayant plus d’élections à craindre, il sera plus libre qu’avant pour contrer Nétanyahou.
Je souhaite qu’il le fasse. Mais je ne nourris pas trop d’espoirs. Même en tant que Président désormais à titre provisoire, il lui faudra encore prendre en compte les intérêts du prochain candidat des Démocrates à la Maison Blanche.
Obama pourrait encore faire beaucoup pour la paix entre Israël et la Palestine, une paix soutenue par l’ensemble du bloc arabe pro-américain – ce qui est de toute évidence dans l’intérêt national des États-Unis, sans parler du nôtre.
Pour cela, il faut du courage. Et – oui – un peu plus de messianisme obsessionnel.
Source :
Gush Shalom
Traduit de l’anglais « Chickenshit » pour l’AFPS : FL/ SW