Si Chypre avait eu pour dirigeant Hugo Chavez, pour sûr, son peuple ne serait pas aussi méprisé qu’il l’est aujourd’hui par les puissances européennes et les mafias capitalistes. On pourrait en dire autant de l’Afrique : si ce continent, considéré comme le plus pauvre du monde en dépit de ses faramineuses richesses naturelles, avait été dirigé, au cours du dernier demi-siècle par des hommes d’État de la trempe du président vénézuélien qui vient de nous quitter, il ne serait pas la risée des pays européens et américains qu’il est devenu.
L’hommage que l’écrasante majorité du peuple du Venezuela a rendu à Hugo Chavez aura été si massif que la propagande occidentale présentant le disparu comme un dictateur s’est discréditée toute seule. En Afrique, où l’admiration du petit peuple pour le leader latino-américain était sans borne, on a pleuré Chavez, en même temps qu’on a prié pour que des dirigeants comme lui essaiment sur le continent.
Cela fait plus d’un demi-siècle que les Africains sont plongés dans la pauvreté. La plupart des chefs d’État qui se sont succédé à la tête de leurs pays respectifs ont échoué à faire progresser leur peuple. Beaucoup se sont comportés comme au Venezuela d’avant Chavez. En ce temps-là, à la fin des années 1980, officiait au palais présidentiel de Caracas un certain Carlos Andrés Pérez. Élu démocratiquement en 1989, avec plus de 52 % des suffrages, sur la base d’un programme socioéconomique humaniste aux antipodes du terrifiant « consensus de Washington » (liquidation des peuples au profit des intérêts du puissant actionnaire américain), le nouveau président avait déçu son peuple en se faisant dicter, par le FMI et la Banque mondiale, ce qu’il fallait faire pour redresser l’économie de son pays.
Alors que les Vénézuéliens attendaient des mesures sociales énergiques pour sortir de la misère, des emplois pour se prendre en charge, bref une meilleure répartition des dividendes du pétrole, Carlos Pérez a plutôt mis en œuvre un plan d’austérité ultralibéral directement inspiré du consensus de Washington, avec des conséquences économiques et sociales dramatiques : réduction des dépenses dans les secteurs jugés peu rentables par le FMI comme l’éducation et la santé, hausses vertigineuses des prix, privatisation de l’économie au bénéfice de cartels capitalistes obsédés par le profit.
Selon les statistiques officielles de l’Onu contenues dans le rapport spécifique de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal) du 12 avril 2002 que j’emprunte au blogueur Claude Dupras, le taux de pauvreté des Vénézuéliens connut un bond effarant de 1990 à 1999. « Pendant cette décennie – qui couvre les présidences de Carlos Andrés Pérez puis de ses fugaces successeurs Octavio Lepage, Ramon José Velasquez et Rafael Caldera, et qui s’achève par l’accession au pouvoir d’Hugo Chavez le 2 février 1999 –, le pourcentage de pauvres au Venezuela bondit de 40 % de l’ensemble de la population à… 49,4 %, et cela alors même que le pays est assis sur des réserves faramineuses d’hydrocarbures. » Selon les mêmes données, le pourcentage de ménages pauvres passa de 34,2 % des ménages à 44 %. Sous l’impulsion du FMI et de la Banque mondiale, le Venezuela s’est donc paupérisé, un habitant sur deux vivant désormais en dessous du seuil de pauvreté. Les inégalités se sont creusées, un petit cercle de privilégiés s’est constitué et, comme cela arrive souvent chez les ultralibéraux profiteurs sans vergogne des peuples, la corruption s’est développée.
C’est dans ce contexte pourri rappelant l’Afrique subsaharienne qu’arrive Hugo Chavez. Voir les recettes du pétrole vénézuélien servir exclusivement la cause du FMI et de la Banque mondiale, c’est-à-dire les intérêts des actionnaires majoritaires de ces institutions, lui est insupportable. Le consensus mercantilo-immoral de Washington est immédiatement remplacé par le consensus de Caracas, soubassement du chavisme : les richesses d’un pays doivent profiter d’abord à son peuple. Exit les mesures d’austérité, c’est-à-dire, en réalité, les mesures d’appauvrissement de la population et d’enrichissement d’une clique de prébendiers. L’argent du pétrole est massivement investi dans des programmes sociaux. Comme on l’a vu aussi en Afrique, les profiteurs des peuples réagissent très violemment quand leurs intérêts viennent à être menacés, quand un dirigeant s’avise de privilégier les intérêts de son peuple par rapport à ceux des multinationales. On tenta de renverser militairement Chavez. La propagande occidentale se mit en branle pour le présenter comme un tyran étouffant son peuple. On traita l’homme de dangereux parce qu’il travaillait pour son peuple. Mais rien n’y fit. Chavez continua son chemin, et fit bien plus de bien à ses compatriotes qu’aucun dirigeant dit démocrate ne l’avait encore fait. Il suffit de rappeler l’effondrement du taux de pauvreté qui est passé de 48,6 % de la population générale en 2002 à 27,8 % en 2010.
Avec sa politique sociale volontariste, à l’opposé de celle du FMI, Chavez a divisé en deux, pratiquement, le taux de pauvreté du pays. En continuant de suivre aveuglément les prescriptions du FMI et de la Banque mondiale, les États africains ne parviendront pas à atteindre les fameux objectifs du Millénaire de 2000 (réduire de moitié la pauvreté en l’espace de quinze ans). Le message est très clair : l’avenir, c’est le chavisme ; le FMI, c’est le passé. Les émeutes sociales qui se multiplient en Europe, et gagneront de plus en plus de pays, indiquent à suffisance que les peuples entendent bien se faire respecter par les banques et les oligarchies prédatrices. Chavez est plus vivant que jamais !