Quizz Questions-réponses pour mieux comprendre le soutien à un président mal élu.
Quelle est la légitimité du président Kabila, reconduit à la tête de l’État à la suite de fraudes avérées ?
Joseph Kabila tire avant tout sa légitimité de la reconnaissance de son statut de chef d’État de fait par les autres États, à commencer par le « syndicat » des chefs d’État africains qui, à l’image des Bongo et Biya, compte un bon nombre de fraudeurs. Le sommet de la Francophonie va lui permettre de démontrer que les dirigeants des soixante-quinze États membres le considèrent comme tel.
L’Union européenne (UE) et les États-Unis, eux, se sont montrés peu empressés de tirer la leçon du constat de fraude électorale fait par les observateurs internationaux, y compris les leurs, tels ceux du Centre Carter et de la mission de l’UE, ou de la société civile de la Communauté de développement d’Afrique australe et des 32 000 observateurs de la Conférence épiscopale nationale du Congo (catholique). Tous ont relevé des fraudes telles qu’il leur a été impossible d’affirmer que Kabila était arrivé en tête de la présidentielle de novembre 2011.
Pourquoi tabler sur Kabila et pas un autre ?
Le soutien général à Joseph Kabila, leader peu charismatique, à la limite de l’autisme, est un soutien par défaut. Son accession au pouvoir a soulagé les partenaires occidentaux, puisqu’il s’est rallié au credo libéral sans tenir de propos scandaleux, contrairement à son père, Laurent-Désiré, président très bavard et déguisant son appétit pour les richesses derrière un discours crypto-nationaliste.
Son principal adversaire à la présidentielle, le vétéran Étienne Tshisekedi wa Mulumba, inquiète ses partenaires, notamment occidentaux. C’est un dur à cuire qui ne s’en est jamais laissé compter, même par Mobutu. Mais son courage va de pair avec une forme de psycho-rigidité. À tort ou à raison, Tshisekedi, à qui ses partisans vouent un vrai culte de la personnalité, est perçu comme un personnage peu inflexible et imprévisible. Il incarne l’opposition, mais il n’apparaît pas à l’étranger comme un partenaire crédible.
Par ailleurs, des pays comme l’Afrique du Sud et l’Angola ont passé avec Kabila des accords qui les avantagent sur le plan économique. Ils ne veulent pas les voir remis en question par un Tshisekedi « populiste ».
La plupart des États se satisfont de l’élection frauduleuse de Kabila et des abus par souci de préserver la stabilité de la RDC et de la région. L’UE par exemple a omis de sanctionner les massacres au Bas-Congo commis par l’armée et la police, qu’elle continue d’entraîner. On peut s’interroger sur la pertinence de ce raisonnement, même s’il est assez répandu.
Kabila est le président d’un État faible, assisté, mais aussi d’un grand pays, richement doté, et le plus peuplé de la famille francophone. Il n’est pas facile d’imaginer le Commonwealth boycotter l’Inde…
Qui sont les « courtisans », et que représente la RDC à leurs yeux ?
La foule des courtisans englobe les gens ou entités, entreprises ou États qui ont un intérêt à la continuité. La liste comprend aussi bien le diamantaire israélien Dan Gertler, qui s’est fait une fortune en obtenant et revendant des concessions minières, que le ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders désireux de sauvegarder la relation avec Kabila pour servir les intérêts des derniers des Mohicans parmi les hommes d’affaires belges s’intéressant au Congo. Il a tout fait pour que le sommet se tienne à Kinshasa.
Autres « courtisans » : l’Angola, pour lequel Kabila est le moins mauvais des partenaires, car il a tenu en respect les politiciens qui réclament une répartition équitable des ressources de l’offshore, ou encore le Zimbabwe et l’Afrique du Sud, dont un neveu du président Jacob Zuma a hérité de concessions pétrolières.
Les richesses sont réelles, mais leur exploitation demande des investissements énormes. Qui veut vraiment s’y risquer ?
Tout le monde est présent sur le terrain. Les Chinois et les Américains sont dans les mines. Le français Total a pris des participations dans les blocs pétroliers de l’Est, juste au nord de la zone en conflit. Selon l’ONG Convergence pour l’émergence du Congo, les français Areva, Total et Orange auraient approché Hollande pour l’inciter à assister au sommet de la Francophonie. Areva s’est vu promettre en 2009 une exclusivité pour la prospection d’uranium sur la moitié du territoire congolais. Total a un permis pétrolier à la frontière ougandaise. Orange doit convoiter une licence d’exploitation. L’italienne Eni, elle, a acquis l’an dernier un bloc dans le Bas-Congo.
Cela dit, l’insécurité juridique, avec la sempiternelle remise en question des contrats signés, autant que l’insécurité physique qui frappe les Kivus – mais épargne le Congo « utile » : Sud-Katanga, Bas-Congo, Kinshasa – dissuadent les investissements. Même si le Congo monte en production, notamment minière, les résultats sont très en deçà du potentiel.
Que peut négocier Kabila auprès des courtisans ?
Qu’on le veuille ou non, Kabila est le dirigeant légitime, en droit international, d’un vaste espace, stratégique sur le plan de la biodiversité et des ressources naturelles. qui détient la clef de leur accès. C’est lui qui signe les décrets présidentiels sans lesquels aucune compagnie ne peut par exemple entamer l’exploitation d’un permis pétrolier. De surcroît, les avantages exorbitants octroyés à certains acteurs étrangers, comme aux sociétés-écrans de Dan Gertler, lui confèrent une marge de manœuvre importante par rapport à ses adversaires.
En même temps, sa fragilité est notoire. Le géant a des pieds d’argile. Son armée, nombreuse, est composée d’hommes sans formation.
L’opposition gêne-t-elle Kabila ou fait-elle le jeu des courtisans ?
L’opposition n’est pas monolithique. Elle a démontré sous la précédente législature qu’elle pouvait jouer un rôle utile en dénonçant des contrats léonins grâce à ses prérogatives constitutionnelles. Aujourd’hui, elle s’est elle-même affaiblie, car Tshisekedi a interdit aux députés de son parti, l’UDPS, de siéger au Parlement. Elle gêne Kabila qui la combat avec maladresse, en embastillant les critiques, hommes politiques, journalistes ou activistes de la société civile, mais elle n’apparaît pas encore comme une vraie force de proposition.
Kabila a-t-il une vision pour le développement de son pays ?
On peut lui concéder d’avoir présenté, à l’orée de sa première campagne électorale, un projet politique et économique : les cinq chantiers de la reconstruction nationale. À peu de choses près, le même discours a été reproduit lors de la campagne de 2011. Dans la pratique, même si on doit reconnaître quelques réalisations, les chantiers ont démarré tardivement ou pas du tout, et les résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances. C’est avant tout la classe politique locale, qui fait construire dans le quartier de Binza des villas somptueuses – que ne peut justifier le salaire d’un député ou d’un ministre – qui a tiré les marrons du feu. La plupart des objectifs du Millénaire pour le développement ne seront pas atteints à l’horizon 2015.
Le chef de l’État peut-il vraiment faire quelque chose pour stopper l’insécurité dans l’Est ?
Certainement. D’abord, une meilleure gestion des fonds destinés à l’armée et aux soldats, qu’il s’agisse de moyens logistiques ou de leur paie, peut permettre d’éradiquer une cause importante de l’instabilité.
Une partie de la solution pourrait résider dans une décentralisation qui permette aux provinces des deux Kivus d’engager des dépenses d’investissement susceptibles d’offrir des perspectives aux jeunes gens enrôlés dans les diverses milices.
Le gouvernement doit se fixer une feuille de route et des priorités, ne pas combattre tous les fauteurs de trouble à la fois. Il pourrait commencer par les étrangers (FDLR et ADF-Nalu, voir article p. xx) dont la place n’est pas au Congo, et ensuite proposer des perspectives de réinsertion aux milices autochtones.
Il doit tenir un discours rassembleur et ne pas surfer sur la peur et la manipulation, visant par exemple à faire croire que les rwandophones hutu et tutsi ne sont pas de vrais autochtones, mais reprendre, peut-être avec le concours des Églises et de la société civile, un dialogue interethnique.
Et entamer une conférence sur les enjeux fonciers, source d’une grande partie des conflits.
La partition, un scénario envisagé et envisageable ?
Le scénario d’une sécession existe bel et bien au Katanga, au cas où les Katangais ne seraient pas en mesure de faire triompher leur projet d’une autonomie accrue et d’une restitution à l’administration provinciale. Compte tenu de l’essor réel de la production de cuivre et de cobalt, à comparer avec la stagnation du secteur diamantaire au Kasaï et la récession des activités minières au Kivu, accélérée par la politique américaine visant à imposer la certification des produits du Kivu qui a découragé nombre d’importateurs, le Katanga est, devant le Bas-Congo et Kinshasa, le moteur principal de l’économie congolaise.
Ce danger sera conjuré aussi longtemps que les Katangais auront le sentiment de conserver à travers Kabila, fils de l’un des leurs, une emprise sur le pouvoir central, où ils détiennent un pouvoir important.