L’assassinat du Général Wissam El Hassan il y a une dizaine de jours a constitué un moment politique de grandes interrogations et de doutes sur la scène libanaise et a failli embraser le feu des dissensions communautaires.
Il est légitime de se poser les vraies questions autour de cet attentat et ses conséquences et il est aussi de notre devoir d’apporter les réponses les plus objectives loin des émotions.
Qui a tué le Général El Hassan ? C’est la question principale qui s’est posée et qui a été à l’origine de spéculations mais surtout d’une série d’accusations. La réponse à cette question devra être apportée de façon définitive et claire à travers une enquête sérieuse et scientifique. Avant cette enquête, il serait hasardeux de se lancer dans des accusations dans tous les sens qui peuvent avoir des répercussions sur la situation interne au Liban, dans ce contexte régional explosif. La meilleure analyse a d’ailleurs été apportée par le Commandant en chef des Forces de Sécurité Intérieur, le Général Achraf Rifi, un des plus proches du Général assassiné et que l’on ne peut soupçonner de diversion de l’enquête. Rifi a clairement déclaré que toutes les pistes, et non une seule, devraient être prises en considération, tellement que le Général El Hassan était mêlé à des dossiers sécuritaires aussi variés que brûlants (cf. plus loin). Par conséquent, il faut être capable d’évaluer TOUTES les pistes si l’on est vraiment à la recherche de la vérité et non pas dans une logique de la récupération du crime. Une fois l’enquête faite et la culpabilité établie, tout le monde soutiendra et suivra, quelle que soit la partie ou le pays impliqué, proche ou lointain. Le CPL ne souhaite protéger ni défendre qui que ce soit, mais se préserve de lancer les accusations infondées. Contexte particulier de l’assassinat Les premières analyses policières de la préparation de l’assassinat ont mis en lumière quelques éléments particuliers qui devaient aider l’enquête à identifier les commanditaires et les exécuteurs de l’acte. Parmi ces éléments, citons : • Wissam El Hassan était censé être à Berlin et très peu de gens de son entourage proche étaient au courant de ce retour imprévu (Même le Général Rifi ne le savait pas).
• Il était dans le quartier de Sassine (Achrafieh) où il avait loué un pied-à-terre que seule une poignée de personnes connaissait l’existence et le l’adresse.
• El Hassan était le point de rencontre de plusieurs grands services de renseignements, régionaux et occidentaux et était, jusque là, protégé et informé par tout ces services tellement le rôle qu’il jouait était un rôle clé dans le déroulement des évènements depuis 2005. Pourquoi le Général El Hassan
Deux raisons :
1. Tuer l’Homme et son rôle : à la tête de la section des renseignements des FSI, il a pu développer une aura qui a dépassé le cadre de sa section et s’impliquer dans beaucoup de dossiers brûlants.
2. Faire éclater (enfin) le conflit confessionnel interlibanais : Le Général El Hassan est devenu un « intouchable » du clan Hariri et un pilier de ce qui a été appelé le « sunnisme politique ». Il aurait suffit donc d’assassiner ce symbole et, juste après, lancer la horde des fauteurs de trouble (type les députés Daher et Meraabi, le Cheikh Assir de Saida, Samir Geagea,..) en accusant les chiites du Hezbollah dans cet assassinat pour faire embraser ce conflit, encore dormant à ce jour. A qui profite le crime ? L’activité militaire, sécuritaire et politique du Général assassiné était engagée sur différents fronts et lui-même était en confrontation directe avec tellement de parties, que les soupçons peuvent aller dans plusieurs sens :
1. La Syrie :
A charge :
• Le Général El Hassan était certes un « ennemi » déclaré au régime du président Assad depuis 2005 et l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri.
• El Hassan avait provoqué l’accusation de hauts dignitaires de ce régime à travers l’affaire « Michel Samaha ».
• Le Général El Hassan était accusé de faciliter le transfert d’armes vers la Syrie et de protéger les salafistes et les membres de l’armée syrienne libre au nord du Liban.
• Peut-être aussi que le régime de Assad serait en quête de déstabiliser la situation au Liban pour détourner l’attention internationale sur la situation interne dans son pays.
A décharge :
• Est-ce que ce régime, à ce moment critique de sa lutte militaire interne, est capable d’un acte aussi grave et qui nécessite autant de préparation ?
• Est-ce que les services secrets syriens sont encore capables de mener une telle action de renseignement de pointe (au vu de l’agenda et de la protection internationale dont bénéficie El Hassan), surtout après le constat d’échec de ces services au cœur même de leurs locaux à Damas et la décapitation de son commandement (avec l’assassinat de Assef Chawkat lui-même) ?
• Est-ce que la Syrie de Assad a intérêt à déstabiliser un gouvernement libanais qui lui est globalement neutre et qui regroupe plusieurs de ses alliés et, par conséquent, prendre le risque de favoriser l’émergence d’un gouvernement pro-14 mars qui lui sera complètement hostile et qui favorisera l’usage du territoire libanais comme base arrière aux « rebelles » syriens?
2. Israël :
A charge :
• L’état hébreu n’a certainement pas digéré le démantèlement par le Général El Hassan et son service de centaines de réseaux d’espionnages plantés un peu partout au Liban.
• La volonté de précipiter le conflit interconfessionnel au Liban est certainement aussi forte, sinon plus, du côté d’Israël, pour accélérer l’évolution du chaos galactique organisé ou en cours d’installation dans la région selon le plan Bush-Rice, à travers l’assassinat de ce symbole du sunnisme politique.
• Ce qui permettra aussi d’occuper le Hezbollah sur la scène interne et l’éloigner de ses frontières surtout après l’avancée stratégique récente, représentée par l’envoi d’un drone (« Ayoub ») par ce même Hezbollah, qui a pu survoler l’espace aérien israélien jusqu’à des zones hautement stratégiques.
• Les moyens de suivi et de déflagration mis en place sont plus à la hauteur des services israéliens que d’autres.
A décharge :
• … (Il n’y en a pas)
3. Les services de renseignements occidentaux :
• quelques milieux incriminent dans cet attentat suite aux divulgations qui auraient été faites par l’ancien ministre Michel Samaha, en rapport avec ses anciennes missions de liaison entre cet occident et le régime syrien.
• Les Etats-Unis auraient refusé de fournir les images de leurs satellites correspondant au lieu et à la date de cet assassinat.
• Cette thèse reste peu plausible mais certainement à ne pas écarter.
Qui a profité du crime ? Au vu de l’évolution chronologique des événements et le spectacle désolant du jour des obsèques sur la place des martyrs, on peut constater que l’équipe du 14 Mars (le courant du Futur et les Forces Libanaises en tête) ont bien voulu profiter de cet attentat pour :
• Tenter de renverser le gouvernement Mikati et reprendre le pouvoir
• Renforcer leurs accusations face à leurs adversaires politiques (le Hezbollah en tête) et tenter de les affaiblir
• Tenter de couper court au débat actuel concernant la loi électorale afin d’en arriver à recourir à nouveau à la mauvaise loi actuelle (dite de 1960) qui empêche une vraie représentation des députés par leurs électeurs.
Le coup d’état manqué du 14 mars lors des obsèques du Général El Hassan .
A l’occasion des obsèques du Général assassiné et de son compagnon, les leaders inspirés du 14 mars ont voulu tenter un gros coup en essayant de rejouer le scénario de 2005 après l’assassinat de Rafic Hariri : une manifestation millionnienne, une escalade politique et confessionnelle, des appels provocateurs qui aboutissent à la démission du gouvernement (celui de Omar Karamé à l’époque) et le retour triomphant aux affaires juste avant les législatives (celles de 2005 à l’époque). Ils ont mis à contribution tous les ingrédients :
• la communication agressive contre le régime syrien et le président Mikati,
• les déclarations intempestives accusant les chiites du Hezbollah de l’exécution de l’assassinat,
• l’implication des extrémistes sunnites (les déclarations de Al Assir, les drapeaux noirs à Achrafieh) et la mise en avant d’un discours de provocation confessionnel tendant à présenter les sunnites comme les victimes du complot.
• La mise à contribution des politiciens (Siniora, Geagea,..) ainsi que des journalistes apprentis sorciers pour allumer la mèche le moment venu. Les millions de manifestants ne sont pas venus au grand dam des organisateurs et malgré le fait d’avoir retardé de deux heures les obsèques. Par ailleurs, les forces de l’ordre étaient là pour faire avorter la tentative d’invasion du palais gouvernemental. Manquaient aussi aux 14-marciens deux poids de taille : celui du mufti sunnite ainsi que des puissances occidentales, tout deux défavorables à une déstabilisation de la situation interne libanaise à ce moment clé de la crise régionale où la règle de jeu en Syrie semble évoluer. Tout ceci a contribué à l’échec du plan de putsch imaginé par les leaders du « 14 mars ». Mais, malgré cet échec, il faut marquer définitivement l’amateurisme dangereux et irresponsable de ces leaders puisqu’ils étaient prêts, pour accéder au pouvoir, à faire prendre la société libanaise des risques énormes qui sont :
• Le risque de l’embrasement confessionnel sunnite-chiite et même sunnite-sunnite,
• Le risque de l’introduction de l’extrémisme sunnite dans le jeu avec toutes ces conséquences fatales constatées ailleurs,
• Le risque de créer un vide étatique au sein du pouvoir libanais. Comment interpréter l’accusation de Bachar Assad par le 14 Mars ? L’accusation claire et franche de « Bachar Hafez Assad » lancée par Saad Hariri et ses acolytes (Geagea et les autres) au lendemain de cet attentat odieux laisse perplexe. En effet, on ne peut que nous rappeler cette même accusation lancée en 2005, contre le même président syrien et son régime, dans l’assassinat de feu Rafic Hariri. Par conséquent, on ne peut que nous rappeler, aussi, l’issue de cette accusation qui a fini par des excuses solennelles et publiques de Cheikh Saad à Damas même, justifiant ses propos par « une accusation politique » (une première dans le monde judiciaire). Nous avons le droit de craindre une telle issue à cette nouvelle accusation, surtout si elle est, là aussi, infondée et basée sur un agenda régional. En 2012, les conséquences d’un tel amateurisme seront certainement plus graves que celles de 2008. L’accusation par Geagea du Hezbollah Là aussi, nous sommes en droit de nous poser certaines questions. Est-ce que Mr Geagea possède des éléments de preuves en charge contre le Hezbollah, auquel cas il aurait mieux fait de les présenter aux enquêteurs ? Ou alors se contente-t-il d’une analyse comme celles dont lui seul a le secret ? Par conséquent, accuser sans preuves (à ce jour) une partie libanaise, de surcroit chiite, dans l’assassinat de ce « dignitaire » sunnite, ne peut que servir le plan de déstabilisation du pays et de la récupération politique hautement dangereuse de l’acte odieux de l’assassinat en question. Faut-il que le gouvernement démissionne ? Historiquement, les multiples assassinats et tentatives d’assassinats perpétrés à ce jour ont eu lieu sous les gouvernements dirigés par le 14 mars. Rappelons d’ailleurs que des centaines de milliers de libanais avaient protesté pacifiquement pendant de longs mois devant le sérail réclamant le départ du gouvernement de l’époque, mais son président, Fouad Siniora lui-même, nous avait convaincu de l’inutilité de ce type de manifestation (« je ne clignerai pas de l’œil ») et de l’absurdité de la réclamation de démission. Il lui est donc difficile de nous demander de faire l’inverse maintenant et d’accepter ce qu’il avait lui-même refusé en 2007-2008. Par ailleurs, accepter la démission du gouvernement, dans ce contexte de torrent local et régional c’est pousser volontairement le pays vers un risque majeur de vide à tous les niveaux (constitutionnel, sécuritaire, politique,..). Autant dire, la démission aujourd’hui de l’équipe ministérielle serait le début idéal du scénario cauchemardesque voulu par plusieurs pour le Liban. A ce propos, réclamer cette démission suite à cet assassinat n’est qu’une récupération aussi odieuse que ne l’était l’assassinat lui-même. Par contre, réfléchir sereinement à remplacer l’équipe actuelle et prévoir collectivement la suite, serait certainement une initiative à envisager pour renforcer l’immunité du pays et non l’inverse. Conclusion : Le CPL dénonce fermement et catégoriquement cet assassinat qui a causé beaucoup de pertes physiques et matérielles dans la région d’Achrafieh. Le CPL ne souhaite couvrir aucun accusé potentiel, mais sera fermement contre les accusations gratuites qui ne peuvent qu’aggraver la situation interne, déjà assez compliquée, dans ce contexte régional en éruption. Le CPL ne souhaite pas non plus retomber dans les mêmes pièges des « accusations politiques » de 2005 qui ont coûté cher, tant au pays qu’à ceux qui les ont lancé. Par-dessus tout, le CPL est conscient que l’action politique des partis du 14 mars depuis l’assassinat du Général El Hassan n’est que récupération, visant au moins à stopper le débat autour de la loi électorale et au mieux à tenter de reprendre le pouvoir perdu en 2010 suite à la recomposition politique et la naissance d’une nouvelle majorité. La présence du gouvernement actuel a apporté certainement une relative stabilité politique et militaire si l’on comparait la situation actuelle du Liban par rapport à celle des années précédentes (de 2005 à 2010 sous les gouvernements dirigés par le 14 mars) ou par rapport à la situation des pays voisins. Cette stabilité n’a pas de prix et nous avons tous le devoir de la préserver comme priorité dans ce monde en ébullition.
Commission politique RPL Octobre 2012