Née au début des années 1990 avec la guerre civile en Somalie, la piraterie est alors localisée autour de la Corne de l’Afrique, passage stratégique sur la route entre l’Asie et l’Europe par le golfe d’Aden et le canal de Suez. Elle s’étend aujourd’hui jusqu’au canal du Mozambique, le long des côtes du Kenya et de la Tanzanie, s’enfonçant profondément dans les eaux seychelloises, le long des côtes du Yémen et d’Oman et jusqu’aux Maldives, soit environ 2 600 000 km2.
C’est principalement dans les zones côtières d’Harardhere, de Dhinooda et d’Eldhanane que les pirates, dont certains ont acquis d’immenses fortunes, ont installé leurs bases. Outre les conséquences néfastes de la piraterie somalienne sur le commerce international, cette nouvelle forme de crime organisé affecte gravement la stabilité et l’économie de certains pays de la région. Au Kenya par exemple, le revenu des rançons est « blanchi » dans les opérations immobilières inflationnistes ; aux Seychelles, les activités portuaires connaissent une baisse de 30 % en raison, notamment, du départ des flottes de pêche européennes, directement menacées par les pirates.
Depuis 2008, plusieurs résolutions de l’Onu ont donné le feu vert pour intervenir dans la région. La résolution 1838 demande explicitement aux « États dont les navires de guerre ou les aéronefs militaires opèrent au large des côtes somaliennes, en haute mer ou dans l’espace aérien, d’utiliser tous les moyens nécessaires pour réprimer les actes de piraterie ». Il revient très théoriquement à la Somalie, pays qui n’a plus d’État digne de ce nom depuis vingt ans, de communiquer aux Nations unies la liste des États pouvant intervenir dans ses eaux territoriales.
Première à se mettre en place, la mission Atalante, militaire et diplomatique, a été créée par l’Union européenne (UE) dans le cadre de la force navale européenne Eunavfor. Objectif : protéger les convois du Programme alimentaire mondial (Pam) de l’Onu à destination des populations somaliennes et de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom). Atalante s’est déployée à partir du 8 décembre 2008 et dispose d’un nombre variable de bâtiments selon les disponibilités de neuf pays européens, d’avions de patrouille maritime et de commandos militaires. Elle travaille en étroite coopération avec le gouvernement et la marine seychellois depuis 2009. Certains États comme la France et l’Allemagne positionnent des militaires sur les navires, marine marchande ou chalutiers, naviguant dans ces eaux.
En 2010, l’Eunavfor étend ses opérations vers l’est et le sud. Le 15 mai dernier, un de ses hélicoptères lançait pour la première fois une frappe contre une base de pirates sur la côte somalienne, « en accord avec la résolution 1851 du Conseil de sécurité de l’Onu et le soutien du gouvernement somalien ». Cependant, certains pays européens comme l’Allemagne réclament des garanties de respect du mandat européen, à savoir la protection des bateaux, dont ceux de la Pam et de l’Amisom.
Face à l’initiative européenne, les États-Unis ne pouvaient pas rester absents. D’autant que les Russes, la Chine, l’Inde, la Corée du Sud et le Japon avaient également déployé leurs propres forces. En 2009, l’attaque du porte-conteneur Maersk Alabama, avec vingt Américains à bord, et la prise d’otage du capitaine Richard Phillips poussent Barack Obama à prendre des mesures. Il demande à la Combined Task Force, ou CTF 150, qui intervient depuis 2002 contre la contrebande et le terrorisme dans la région, d’étendre sa mission dans le cadre de l’opération « Enduring Freedom ». Quatorze pays, dont huit européens participent à cette coalition internationale autonome. Son commandement change tous les quatre à six mois, mais l’autorité américaine reste décisive. La CTF 150 a été la première à lancer des frappes aériennes et mener des opérations à terre. Mais certains navires de guerre américains, comme l’USS Oscar Austin, interviennent sous le seul pavillon national.
Troisième force d’importance présente dans la lutte contre la piraterie, L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) et son Shipping Center (NSC) interviennent depuis la fin 2008 dans le cadre de l’opération « Allied Provider » (octobre-décembre 2008), suivie de l’opération « Allied Protector » étendue à la surveillance et la protection des routes maritimes. Depuis août 2009, dans le cadre de l’opération « Ocean Shield », elle mène directement des actions antipirates dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité. Il s’agit d’une coalition maritime soutenue par les Américains qui effectuent également des frappes aériennes sur mer et sur terre.
Parallèlement à ces forces internationales, certains pays, dont la Somalie et plus précisément le Puntland, mènent leurs propres opérations. Ainsi, l’Afrique du Sud, la Tanzanie et le Mozambique ont signé en février dernier un accord qui vise à mettre en commun leurs ressources afin de protéger leur façade maritime. « Depuis notre intervention dans cette partie du monde, nous avons vu revenir les pêcheurs », note le chef de la marine sud-africaine, le vice-amiral Refiloe Mudimo. Avec la découverte de gisements de gaz naturel au large du Mozambique, la lutte contre la piraterie est d’autant plus stratégique. Au total, les dépenses conjointes de toutes les forces en présence s’élèvent à environ 2 milliards d’euros par an, et l’ensemble donne une impression de grande pagaille où chacun fait ce qu’il veut dans une logique de surenchère.
Le premier semestre 2012 a montré, d’après les données du NSC, une baisse significative des attaques de pirates, qui s’arrêtent avec la mousson, entre mai et septembre. 2011 a enregistré plus d’attaques que 2010, mais moins de prises. Un début d’effort de coordination des forces internationales – malgré la concurrence et la confusion des commandements –, de nouvelles tactiques en mer, les mouvements de l’Amisom, les opérations des forces du Puntland, l’évolution de la population qui n’est plus aussi conciliante, et, aujourd’hui, les frappes sur les bases expliquent ces progrès – qui restent à confirmer.
Cependant, les méthodes à la Rambo (1) inquiètent par la multiplication des dommages collatéraux et leur manque de transparence. Seule l’intervention d’organisations comme Ecoterra oblige les forces responsables à reconnaître, parfois, les « ratés ». Ainsi, en mai 2011, la marine américaine a dû avouer la mort du capitaine d’un chalutier taïwanais utilisé par les pirates comme bateau « mère » après une attaque par le navire de guerre USS Stephen W. Groves. L’affaire a été classée sans suite. Le 24 octobre 2010, un tir de missile de la CFT 150 sur la côte a fait des victimes civiles, ce que la CFT a nié. En avril 2011, l’Otan tirait sur un chalutier iranien utilisé par les pirates, tuant cinq personnes, blessant dix Iraniens et quatre Pakistanais membres de l’équipage. Sur le voilier SV Quest, quatre otages américains étaient tués par les pirates – mais cela ne reste pas clair – au cours d’une opération de la marine américaine dite de « sauvetage ». La liste est longue. En mai dernier, des pêcheurs somaliens ont demandé la fin des frappes aériennes internationales contre des villages côtiers de leur pays, après la première frappe aérienne d’Atalante qu’ils accusent d’avoir détruit leurs bateaux et mis en danger la population.
Les interventions militaires plus ou moins aveugles, sans contrôle et sans transparence, peuvent-elles apporter une solution définitive à la piraterie somalienne ? Le président des Seychelles, James Michel, dont le petit pays à l’immense zone d’exclusivité économique est, plus que tout autre, aux premières loges, n’a eu de cesse de le répéter : « La piraterie est enracinée dans la crise politique et humanitaire en Somalie. J’ai appelé les dirigeants de ce monde à agir afin d’appliquer un plan global pour mettre fin au chaos et aux souffrances en Somalie. La piraterie n’est pas seulement un problème régional, c’est un problème international qui exige une réponse internationale pour garantir la sécurité des routes maritimes de l’océan Indien », déclarait-il une nouvelle fois à la Conférence sur la Somalie, à Londres, en décembre 2011.
Une position soutenue par Wang Min, le représentant permanent adjoint aux Nations unies, lors de la 10e réunion plénière du groupe de contact sur la piraterie somalienne. « Nous appelons la communauté internationale à rester concentrée sur la situation en Somalie, à continuer d’adopter une stratégie globale et diversifiée pour apporter un soutien au pays, à traiter les symptômes et les causes fondamentales du problème, et à respecter ses engagements en continuant à aider la Somalie », a-t-il affirmé, notant que les missions d’escorte chinoise (383 convois maritimes, soit 4 228 bateaux depuis 2009) « ont réussi à 100 % ».