
– Le président russe, Vladimir Poutine, et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman, ont échangé quelques plaisanteries et se sont tapé dans la main à la manière de vieux amis, affichant ostensiblement leur proximité, lors de la séance plénière du Sommet du G20, le 30 novembre 2018. A l’époque, les Etats-Unis n’ont pas vu venir le grand chamboulement géopolitique qui se préparer dans la région. DR
La Syrie est de retour dans le giron de la Ligue arabe : c’est une image que le gang du changement de régime à Washington n’a jamais voulu montrer au monde. Plus précisément, alors que le Royaume saoudien commence à se tourner vers l’Est, l’empire américain perd l’un de ses plus grands atouts pour maintenir son empire mondial.
Peter Ford*
Il est difficile d’exagérer l’importance de la réadmission de la Syrie au sein de la Ligue arabe et de la participation du président Assad au sommet arabe de Djedda. Cette importance va bien au-delà de la Syrie elle-même
Allons droit au but. C’est un coup dur pour les États-Unis et leurs alliés. Il n’est pas étonnant que les commentaires des groupes de réflexion de Washington et de publications telles que le Financial Times soient si acerbes. Ce n’est pas seulement que le détesté Assad sort de l’isolement imposé par les États-Unis et que le monde se voit rappeler l’échec de la politique américaine en Syrie.
Plus important encore, il est absolument ahurissant qu’un des principaux clients des États-Unis, l’Arabie saoudite, auparavant totalement alignée, prenne l’initiative de faire fi du souhait des États-Unis de maintenir l’isolement de la Syrie. En effet, c’est l’Arabie saoudite, tout juste après avoir fait un bras d’honneur aux États-Unis en concluant un accord de réduction des tensions avec l’Iran sous l’égide de la Chine, qui a pris la relève en persuadant les autres membres de la Ligue arabe d’accepter le retour de la Syrie. Cet accord est également intervenu après que l’Arabie saoudite a refusé de pomper davantage de pétrole pour aider M. Biden à faire baisser les prix de l’essence aux Etats-Unis.
Certains à Washington tentent de se consoler en pensant qu’une plus grande influence saoudienne à Damas contribuera à diminuer l’emprise présumée de l’Iran sur la Syrie. Ils passent à côté de l’essentiel. Avec l’instauration de la paix entre l’Arabie saoudite et l’Iran, l’Arabie saoudite n’a pas à craindre l’influence iranienne en Syrie.
L’Arabie saoudite semble avoir pris conscience du fait que les seuls bénéficiaires des tensions entre elle et l’Iran étaient les États-Unis et Israël.

– Le président syrien Bachar al-Assad au sommet arabe de Djeddah accueilli par le prince héritier Mohammad Bin Salman.Certains à Washington tentent de se consoler en pensant qu’une plus grande influence saoudienne à Damas contribuera à diminuer l’emprise présumée de l’Iran sur la Syrie. Ils passent à côté de l’essentiel. Avec l’instauration de la paix entre l’Arabie saoudite et l’Iran, l’Arabie saoudite n’a pas à craindre l’influence iranienne en Syrie. Photo POOL
Le moment de la prise de conscience a peut-être eu lieu en 2019, mais il est passé inaperçu à l’époque. C’est à ce moment-là que l’Iran a dirigé des attaques massives de drones contre la raffinerie d’Abqaiq, dans la province orientale de l’Arabie saoudite, et que ces attaques sont restées impunies. L’Iran envoyait un message aux États-Unis : si vous touchez à nos exportations de pétrole (ce que la marine américaine faisait effectivement), c’est l’homme de votre pays qui est touché. Les États-Unis ont certainement compris le message : ils se sont retirés discrètement. Mais le Saoudien a lui aussi compris le message. Je pensais que je payais pour la protection de la BBC. Au lieu de cela, je prends le coup pour vous !
Les conséquences de l’assassinat de Khashoggi et la faiblesse temporaire du prince Mohammed Bin Salman qui en a résulté ont probablement retardé la résolution de la débâcle navale dans le Golfe. Mais l’isolement de MBS a peut-être renforcé ses sentiments à l’égard de Bachar Al Assad, d’autant plus que Khashoggi était un opposant à l’un et à l’autre.
En tout état de cause, les politiciens et diplomates américains arrogants n’ont pas vu ce qui se préparait et ont multiplié les humiliations à l’encontre de l’Arabie saoudite. Aujourd’hui, grâce à la réponse américaine à l’Ukraine, avec toutes ces sanctions qui ont fait grimper les prix de l’énergie en Occident tout en faisant le bonheur des producteurs de pétrole, le vent a tourné.
À Washington, on ne comprend toujours pas. Ils pensent qu’il s’agit d’une crise temporaire de l’Arabie saoudite et continuent de parler de l’intégration de l’Arabie saoudite dans les accords d’Abraham avec Israël. C’est à peu près aussi probable que la vache qui saute sur la lune.
C’est un cataclysme, les gars. Vous avez perdu votre pivot au Moyen-Orient. L’Arabie saoudite n’est plus dans la réserve et commence à se battre avec la Russie, la Chine et d’autres leaders de la nouvelle grande scène, le Sud global.
La perte de la Syrie pourrait être ignorée. Mais perdre l’Arabie saoudite est désastreux, comme cela deviendra de plus en plus clair dans les semaines et les mois à venir.
*Peter Ford est un analyste des affaires mondiales et l’ancien ambassadeur britannique en Syrie (2003-2006) et au Bahreïn (1999-2002).