Pour la cinquième fois, un des fils de Hamda et Ahmed Abu Hashim est en prison. Un autre a été récemment libéré. Un troisième, une star dans son école qui a été utilisée comme bouclier humain par les Forces israéliennes de défense (IDF), a été détenu après cela. Un quatrième, Hamza, 13 ans, a quitté l’école et été emprisonné pendant trois jours. Il vit dans la peur depuis que son père a été averti à plusieurs reprises par les IDF qu’ils reviendraient bientôt le chercher. Pour les autres enfants de la famille, un garçon de 9 ans et deux petites filles de 8 et 5 ans, ces épisodes carcéraux font partie de la vie de famille. Leur père a connu sept fois les geôles israéliennes et a, également, été arrêté par l’Autorité palestinienne.
Ces expériences extrêmes, la famille Abu Hashim les doit à la localisation de leur village, Beit Umar, situé en Cisjordanie occupée, entre Bethléem et Hébron. Le territoire de Beit Umar est dominé par la colonie de Karmi Zur, construite il y a moins de vingt ans sur un terrain appartenant à son oncle. Ahmed avait l’habitude d’y jouer au football quand il était gamin.
Le village est également situé à moins de trois kilomètres de la grosse colonie Gush Etzion, habitée par 20 000 personnes dispersées dans vingt communautés. Gush Etzion se présente comme « un tampon de sécurité cruciale pour la capitale… à quelque 10 minutes en voiture seulement de Jérusalem par la nouvelle route des tunnels ».
Cette « route des tunnels » des colons est la route 60, l’ancienne voie de communication principale pour les Palestiniens, entre Naplouse, au nord, et Hébron, au sud de la Cisjordanie. Aujourd’hui, son accès est en grande partie interdit aux Palestiniens par le mur, ou par des tunnels qui les mènent sur des voies secondaires. Pour les colons, la route 60 a été reconstruite pour contourner certains villages palestiniens. C’est un élément clef du vaste programme israélien actuel de construction des routes qui redessine les cartes de la Cisjordanie occupée et qui, en la fragmentant, a éliminé depuis longtemps la solution de deux États sur le terrain.
Ahmed est depuis longtemps le chef du comité de résistance du village composé de neuf hommes, créé en 2004. Chaque semaine, ils manifestent sur un thème différent, tels que « Souvenez-vous de Rachel Corrie » (1), « Soutenez les prisonniers palestiniens », ou l’anniversaire du massacre de la mosquée d’Hébron. Les manifestants sont généralement quelques dizaines parmi les 13 000 habitants de Beit Umar, auxquels s’ajoute une poignée d’étrangers et d’Israéliens, parfois rejoints par le Dr Mustafa Bargouti, de Ramallah. « Beaucoup de gens ont peur : il y a bien sûr des collabos, d’autres pensent seulement qu’il vaut mieux rester hors de la vue des soldats et des colons, et, en général, une dizaine de personnes est arrêtée chaque semaine », explique Ahmed.
Cependant, après son arrestation, les manifestants hebdomadaires ont été plus nombreux. Et après celle de ses fils, le village est sorti dans la nuit pour jeter des pierres aux Jeeps, aux chiens et aux soldats venus arrêter les garçons. « Les soldats ont une carte en main contre moi, ma famille », dit Ahmed. « Ils veulent me faire craquer en prenant mes fils, pour que je dise à mon mari d’arrêter de résister, explique Hamda. Parfois, j’ai le sentiment d’avoir atteint mes limites et je le lui dis. Mais vous savez, depuis toutes ces années, depuis notre mariage en 1988, je l’ai toujours aimé. »
Les ravages sur la santé de cette mère peuvent se mesurer à la grande boîte de pilules qu’elle prend chaque jour pour la pression artérielle et des problèmes cardiaques. « Sept pilules pour le petit-déjeuner, c’est le prix que je paie pour ma santé, dit-elle. Tout ce qui est arrivé est là, dans mon corps. »
Les dégâts émotionnels sont encore plus importants. Pour l’illustrer, elle raconte en détail, les larmes aux yeux, l’histoire de son fils de 19 ans, Yusuf, en détention pour la quatrième fois : « Quinze soldats étaient sur lui comme des abeilles, ils ont attaché ses mains, l’ont jeté face contre terre, l’ont battu et battu sous mes yeux. Je pouvais l’entendre appeler “Maman, maman !” lorsqu’ils l’ont emporté. J’ai poussé un soldat pour pouvoir le voir, ils lui ont soulevé la tête par les cheveux pour que je le voie bien, puis l’ont écrasée avec une botte. Ils voulaient que je puisse voir ça clairement. Je n’ai jamais oublié cette scène. »
Pendant l’année où il a été incarcéré, elle n’a jamais pu voir son fils. Tout ce qu’elle avait, c’était les souvenirs et les cauchemars de cette mêlée de chiens et de soldats, de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes – le tout filmé par une femme soldate. Une unité de commando spécial des IDF portant des vêtements spéciaux, se rappelle-t-elle, a donné l’ordre que tout le monde sorte de la maison, y compris un bébé, malgré le froid mordant. Son mari et sa belle-sœur ont été blessés, Hamda elle-même a été frappée et a eu une côte cassée. « Toute la famille a été agressée, l’un des garçons a une cicatrice dans le dos provoquée par quelque chose placé au bout d’un fusil. »
Yusuf avait appris que les IDF le surveillaient et a dormi chez son oncle pendant quelques nuits, puis dans différentes maisons. Mais cette nuit-là, il était revenu chez lui pour pouvoir manger au matin le pain fait par sa mère. Il lui apportait de la farine et l’a réveillé en lui disant : « S’il te plaît, fait du pain pour moi. » Le pain était prêt et la famille dormait encore lorsque les IDF sont arrivés à 2 heures du matin, cassant la porte d’entrée et envahissant les terrasses avec des échelles.
L’organisation Defence of Children International a rapporté des dizaines d’arrestations violentes nocturnes de ce type à Beit Umar, comme dans d’autres endroits en Cisjordanie. Certains des enfants n’avaient que 12 ans, d’autres 14 ou 15. Ils sont accusés de jets de pierres, ce qui n’est pas toujours fondé. « Les garçons aiment en jeter contre les soldats qui nous harcèlent, contre les colons qui prennent notre terre, contre les responsables de l’Autorité palestinienne qui met les gens en prison », explique Ahmed. Yusuf a été accusé d’avoir mis le feu à une Jeep, de détenir des armes et de diriger un groupe appelé Abu Jihad. Un avocat israélien a réussi à prouver que deux des accusations étaient erronées, mais Yusuf a été condamné pour la troisième.
En août, les vignobles à la limite du village portent de grosses grappes violettes, les vieux figuiers et oliviers ploient sous leurs fruits. Beit Umar possède de célèbres plantations fertiles de fruits. Deux jours avant que Hamda et Ahmed nous fassent part de leur témoignage, des colons de Karmi Zur ont détruit une grande serre appartenant à des familles du village. Ils sont venus accompagnés par des soldats, dans la chaleur de la mi-journée, et en ont abattu un côté. « Il y en aura bientôt une autre et des gens veulent construire de nouvelles maisons dans les champs à proximité. Certains ont reçu des ordres de démolition de maisons à l’intérieur du village et d’anciens ordres ont été renouvelés. Il y a même un ordre de clôturer le puits du village. Plus ils font des choses comme ça, plus les gens sont prêts à résister et à rester sur notre terre », dit Ahmed.
Les arrestations violentes d’enfants telles que celles racontées par Hamda et Ahmed sont décrites dans un récent rapport d’anciens soldats israéliens du groupe Breaking The Silence (Briser le silence). L’objectif est de montrer le prix moral que paie la société israélienne pour sa domination sur la population palestinienne, exercée quotidiennement par de jeunes soldats israéliens. Dans des témoignages pour la période 2005-2011 en Cisjordanie, trente soldats donnent des exemples de violence arbitraires, et pas seulement au cours des arrestations. Il y a les provocations systématiques des enfants, la cruauté – interdiction aux enfants d’atteindre leur école un jour d’examen, privation d’alimentation, d’eau et de toilettes pour les enfants arrêtés, liens serrés jusqu’à ce que leurs mains deviennent bleues, coups, démonstrations de force militaires dans le village jusqu’à ce que les enfants s’enferment dans les maisons.
« J’ai vu un enfant de 9 ans supplier pour sa vie », dit l’un. Un autre a vu une scène ressemblant à « un film sur le Viêt-Nam » où un soldat hurlait en hébreu sur un enfant, le faisait mettre à genoux dans la rue et le terrifiait au point que l’enfant s’est lâché dans son pantalon devant tout son village. Des gens « réduits en bouillie », une scène où « ils s’amusaient vraiment avec ces Palestiniens, les insultant, les humiliant, tirant leurs cheveux, les frappant ou les giflant… c’était la norme », racontent ces anciens soldats.
À Beit Umar, l’impact de cette violence contre les jeunes par les colons et les IDF a rendu les enfants de Hamda agités et nerveux, raconte-t-elle. Et pour leur maman, « c’est à chaque fois plus dur ».
(1) Rachel Corrie était une jeune Américaine, volontaire de l’International Solidarity Movement, tuée le 16 mars 2003 dans la bande Gaza, écrasée par un bulldozer israélien alors qu’elle essayait d’empêcher la destruction d’une maison.