Actuellement, François Hollande apparaît un peu mou de la bombe. Après avoir rêvé de lâcher ses Rafale sur Damas, puis pilonné le Mali, la Syrie et l’Irak – et applaudi au carnage du Yémen –, cet homme de fer est-il soudain résilient ? En panne ? Je lui confie donc une idée : si tu allais écrabouiller les supporteurs du Celtic de Glasgow ? Voilà des mal élevés qui s’entêtent à brandir des drapeaux palestiniens dans leur stade de foot, à hurler vive le BDS, la campagne internationale Boycott, désinvestissement, sanction ! Des criminels de guerre en devenir, qu’il faut d’urgence punir. Et d’une double peine puisqu’ils sont d’une origine sociale qu’Hollande méprise. Tous ces égarés sont des prolétaires, fils ou filles d’hommes rudes : des « sans-dents » descendants de « sans-dents », et aussi des supporteurs de l’Irlande libre.
Hollande ne doit pas oublier sa promesse d’un soir où, en goguette chez les Netanyahou, il a déclaré la main sur la pochette de son petit costume : « Je ne sais pas chanter, mais je suis prêt à apprendre pour louer la gloire d’Israël ! » Mauvais karma, à l’époque on trouvait à ses côtés, en témoin, une fille d’édentés, Valérie Trierweiller. Allez Président avec dents, fais-nous plaisir. Faute de raser les hooligans du Celtic, sort au moins l’article 16 de la boîte à pharmacie de l’Élysée, proclame un édit que je rédige pour toi : « Toute manifestation de soutien à la Palestine est interdite à vie sur l’ensemble territoire de la France. » Ah ! Qu’est-ce que l’on perd comme temps en formalités.
Antisémites !
Car, au pays dit des « droits de l’homme », le processus d’interdiction de manifester toute forme de soutien au peuple colonisé par Israël est en marche. Pour rire, déposez donc un projet de réunion publique dans une préfecture hexagonale et vous verrez. C’est non. Au mieux à trois heures du matin dans les ruines d’une friche industrielle, autrement dit sur la Lune. Soyons clairs : estimer que le sort fait à la Palestine est illégal et injuste est devenu une affirmation antisémite. Fini le temps où Valls plantait des arbres pour soutenir les frères de Gaza et Ramallah. Les oliviers sont coupés. Nous avions alors de 7 à 77 ans, nous défilions en hurlant librement et sans ombre, sans ambiguïté ni arrière-pensée pour la Palestine. En ces années nous n’étions pas « antisémites » et l’idée de nous accuser de cette monstruosité ne venait à personne. Nous n’avons pas changé et pourtant nous sommes aujourd’hui ceux que l’on stigmatise. Les réprouvés criminalisés.
Que nous est-il arrivé ? Qu’est-il arrivé à une cause historiquement et juridiquement irréfutable devenue interdite ? Tout a basculé à la chute du Mur. Le communisme est mort, confinant son utopie aux mètres cubes du mausolée de Lénine. Une partie du monde, une partie des êtres a alors cessé de rêver le meilleur pour les autres, se consacrant maintenant à l’examen studieux de son nombril. L’attentat new-yorkais du 11-Septembre a été le coup de grâce de la « cause » palestinienne. Désormais tout citoyen né dans un monde dit « arabe » est un terroriste, comment le défendre même s’il a des droits. Un fils de Philistin, combattant pour sa liberté depuis près d’un siècle, devenait de facto un barbare d’Al-Qaïda ou de Daech.
Principe de précaution : il faut claquemurer cette engeance sous un sarcophage digne de Tchernobyl. Et nous, vieux citoyens du monde, vieux marxistes, vieux anars, vieux cathos vieux gaullistes et vrais démocrates, nous survivants, il nous faut, dans notre arche de Noé, tenter de maintenir en vie l’idée de lutter pour une Palestine sauve et libre. Difficile, cruel et même dangereux. Qu’un ministre turc vienne en France pour faire la campagne des Frères musulmans, c’est « oui » pour le meeting (et tant mieux). Qu’une ONG veuille manifester contre la mort qui tombe en Palestine… dans une inversion et une perversion du droit, c’est alors « non ».
Ordre aux fonctionnaires de proscrire
Nous aussi sommes face à un mur, par exemple celui maçonné par Nathalie Kosciusco-Morizet (NKM), une élue qui a appris de Fillon l’honnêteté et l’art de manier la truelle dans les salons de la haute bourgeoisie. À la suite d’une manifestation qui a quand même pu se tenir à Paris, voilà ce que cette amie de la liberté écrit : « Alors que le premier ministre avait annoncé que des dispositions seraient prises pour empêcher ce type de rassemblement, une manifestation a pu se tenir ce week-end dans les rues de Paris. La prolongation de l’état d’urgence vous donne pourtant, monsieur le préfet de Police, les moyens de les interdire » ; « Je vous demande de n’autoriser aucun rassemblement appelant au boycott de l’État d’Israël et de poursuivre systématiquement tout rassemblement non autorisé incitant à la haine envers un État démocratique et reconnu. » Selon un mode de dénonciation que nous avions oublié, voilà un ordre donné à un fonctionnaire qui ne peut que dire « amen » sans être suicidaire.
Si, un préfet un peu sourd ou simplement amateur de droit avait mis la missive de NKM au panier, la piqûre de rappel est automatique. Cette fois c’est Francis Kalifat, président qui s’autoproclame « représentatif » des juifs de France, qui s’y colle. Autre courrier timbré au préfet, au sujet de ces malheureux (mais courageux) rassemblements, tenus pour une Palestine à décoloniser : « Outre le côté illicite du boycott et le caractère antisioniste visant à contester l’existence même de l’État d’Israël, ces manifestations sont clairement antisémites et visent à stigmatiser les Français juifs. Je compte sur votre intervention rapide, énergique et définitive pour que cesse dans les rues de Paris cette parole antisémite. »
C’est écrit : protester contre le phosphore quand il tombe sur Gaza, c’est être antisémite.
L’Onu se couche
Parfois c’est l’étranger qui se mobilise contre les amis français de la liberté. Ainsi, convaincue d’être une ministre de la France, Aliza Bin-Nun, ambassadrice d’Israël à Paris, début mars, écrit à neuf maires tricolores, afin de les sommer d’interdire toute manifestation ayant pour cadre « La semaine contre l’apartheid israélien ». Menaces efficaces puisque des édiles sans courage, des responsables d’université pleutres, ont refusé aux militants le droit de se réunir.
Face à cette solitude, celle du marcheur qui touche le fond, le soutien du « monde arabe » serait un renfort utile. Ne rêvons plus, il est advenu. Un rapport publié, sous le sigle de l’Onu, présenté par la Commission économique et sociale pour l’Asie, écrit : « Israël est coupable de politique et de pratiques constitutives du crime d’apartheid », et qu’il faut que l’Onu « soutienne la campagne BDS, la campagne de boycott d’Israël ». Un « crime antisémite », à mettre au compte de musulmans puisque 18 pays arabes figurent dans le groupe qui a émis le rapport. Aussi sec Antonio Gutteres, le nouveau pantin nommé à la tête des Nations Unies, s’insurge contre l’offense. Rima Khalaf, l’économiste jordanienne qui préside la Commission, est priée de retirer l’insupportable rapport. Courageuse la dame refuse. Gardant intact son honneur elle quitte l’Onu : « Je démissionne parce qu’il est de mon devoir de ne pas dissimuler un crime, je soutiens toutes les conclusions du rapport. »
Grand malaise à New York, au siège du « gouvernement mondial ». Pour le compte de la Commission, le rapport a été rédigé par les professeurs américains Richard Falk et Virginia Tilley, deux experts reconnus du droit international qu’il est difficile de contester. Dès le rapport publié, les autorités israéliennes utilisent une fois encore l’arme de l’injure antisémite. Dans le meilleur des cas le rapport siglé Onu est, selon les amis de l’extrême droite israélienne, « digne duDer Stürmer », un journal nazi du IIIe Reich. Si ce constat agace tant l’État hébreu et ses amis, c’est qu’il remonte en surface l’image d’un d’apartheid. Une comparaison et un jugement déjà formulés par Jimmy Carter et évoqué par Kerry lui-même.
Sabra et Chatila, acte de génocide
En France, où comparaison ne vaut pas raison, la classe politique – hors Mélenchon, le PCF, les trotskistes et les anars – ne veut même pas cligner des yeux sur cette image : Israël est l’État du juste et du bien. Et si, pour conclure et montrer le chemin parcouru à reculons, j’évoque Sabra et Chatila et rappelle aux amnésiques qu’en décembre 1982 l’Assemblée de l’Onu avait qualifié ce massacre « d’acte de génocide », je risque fort, si des NKM s’en mêlent, de me retrouver devant un tribunal correctionnel pour propos « antisémites ».
PS. Bien qu’ils soient les promoteurs de la colonisation de la Palestine, les Anglais se montrent plus sourcilleux que la France sur ce droit à manifester. Les militants britanniques, ceux qui soutiennent le BDS, ont été autorisés par la justice à poursuivre le gouvernement quand il s’oppose au droit de prôner le boycott.