Changement d’orientation au Pakistan ? Les gains électoraux sont substantiels du côté de ce parti politique relativement jeune amené par une ancienne vedette du cricket. Dans la Chine voisine, les analystes ne craignent pas des altérations significatives en matière de politique étrangère. En Inde, l’autre poids lourd de la région, non plus. Le quotidien chinois Global Times a interviewé des spécialistes (1). Les rapports sino-pakistanais sont solides, disent-ils. Et les conditions qui ont permis de bâtir ces relations restent intactes. Le souci des élites chinoises, c’est le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC). Et ce mégaprojet de 62 milliards de dollars (épaulé par la Chine) n’a jamais soulevé de problèmes insurmontables.
Le CPEC visent à créer une zone économique et de transport depuis la Mer d’Arabie jusqu’en Chine. Le Pakistan espère que le corridor, par les liens de route, de rail et d’autres infrastructures industrielles, aidera au progrès économique du pays. Pour la Chine, il s’agit de promouvoir le développement de la région, tout en mettant en place des voies de transport permettant de réduire l’importance des voies passant par l’Asie du sud-est vers la Chine. L’Inde dit avoir un problème mineur avec ce CPEC. Car il inclut la route de Karakorum qui traverse le petit territoire himalayen de Gilgit-Baltistan, revendiqué à la fois par l’Inde et le Pakistan, donc territoire disputé.
Pour l’ancien diplomate indien Rakesh Sood, le nouveau premier ministre pakistanais ne peut pas trop se remuer, ni sur le plan politique, ni sur l’économique (2). Quelles que soient les promesses d’Imran Khan – mise en place d’un système de santé, un « Etat providence islamique » – il sera freiné par la configuration fondamentale qui domine le Pakistan. Son parti, the Pakistan Tehreek-e-Insaf (Mouvement pakistanais pour la Justice) est certes le principal parti à la chambre basse du parlement, mais n’en commande pas la majorité absolue. Puis le sénat sera contrôlé par les deux grands partis traditionnels, la Ligue musulmane (Nawaz Sharif) et le Parti du peuple (PPP) dirigé par le fils de l’ancien premier Benazir Bhutto. Sans oublier le tout-puissant establishment militaire qui veille au grain sur l’ensemble des acteurs politiques pakistanais. Notamment concernant la politique à suivre à l’égard des voisins et des grandes puissances, les forces armées font – et feront encore – la pluie et le beau temps.
L’incontournable voisin chinois
L’amitié avec la Chine procure au Pakistan des milliards en prêts à bas taux d’intérêt. Il n’empêche que la bureaucratie à Islamabad prépare les dossiers pour demander l’aide du Fond monétaire internationale d’un montant d’au moins 10 milliards de dollars. Si le prêt est accordé, ce sera la 13ème fois que la Pakistan aura emprunté auprès du FMI pour renflouer les caisses de l’Etat. Et gageons que cette fois-ci encore, le FMI imposera des réductions sévères aux dépenses publiques. Les caisses de l’Etat sont en effet chroniquement déficitaires. Sur une population totale d’environ 200 millions de pakistanais, à peine plus d’un million paient les impôts sur le revenu (3). A titre d’information, ce n’est pas beaucoup mieux chez le voisin indien. Sur près de 1,25 milliards d’habitants en Inde, le nombre de contribuables se lève à environ 19 millions, soit 1,5% du total (4).
L’homérique guerre contre le fléau endémique de la corruption
La corruption au Pakistan ? Il est notoire que le parlement pakistanais est peuplé de milliardaires, certes en roupie locale. Imran Khan a lui-même déclaré posséder une richesse s’élevant à 1,3 milliards de roupies, un peu plus de 10 millions de dollars US. Peu en valeur comparé à celle que possède les aisés en Europe ou aux USA. Mais vu le niveau des prix au Pakistan, les argenté(e)s du pays bénéficient d’autant sinon plus de privilèges que les élites des pays riches. Il y a certes bien plus riches qu’Imran Khan au Pakistan. L’ancien premier ministre Nawaz Sharif vient récemment être condamné à 10 ans de prison et une amende de 10,6 millions de dollars pour des propriétés non-déclarées à Londres, fraude révélée par les Panama Papers. Pour situer le problème : le PIB annuel par tête au Pakistan s’élève qu’à peine 1500 dollars US environ.
Pour l’ancien ministre des finances et des affaires économiques Hafiz Pasha, la croissance pakistanaise est au ralenti depuis le début des années 90, sauf pour la période 2003 – 08 (lorsque le pays était sous le régime militaire du général Pervez Musharaff). Il estime que près de 40% des pakistanais doivent être considérés comme pauvres. Pour Pasha, la pauvreté baisse moins rapidement qu’en Inde ou au Bangladesh (5). L’écart croissant entre riches et pauvres ? La conséquence de la capture de l’Etat par les élites. « Les groupes puissants », selon l’économiste, « sont les seigneurs féodaux, l’élite militaire, des propriétaires urbains et des sociétés immobilières, les commerçants et les actionnaires de grandes sociétés ». 1% des entrepreneurs agricoles possèdent 20% des terres cultivables, selon Hafiz Pasha. Un cinquième en possèdent 69%. Et en bas de l’échelle, le paysan n’en a que 0,3 hectares ! Ce système date de l’époque coloniale britannique et se maintient, selon l’économiste.
Pourtant, aucun des partis politiques ayant courus dans ces dernières élections au Pakistan n’a proposé des changements fondamentaux. Les groupements islamistes sectaires et bruyants, étaient nombreux à participer au scrutin mais sans résultats dignes de ce nom. D’eux, on n’attendait pas des propositions pour bouleverser les inégalités. Ni d’ailleurs d’autres partis. Le nouveau premier ministre pakistanais, modernisateur auto-proclamé, n’a pas fait non plus aucune recommandation en ce sens. Par contre, au nom d’établir la paix, il déclare vouloir dialoguer avec les divers groupes obscurantistes portant des noms comme Tehreek-e-Taliban Pakistan ou Sipahi Sahaba (groupuscule violemment anti-chiite). Imran Khan soutient aussi la législation autorisant la condamnation pour blasphème. Il s’oppose aux appels des laïcistes d’éliminer le second amendement à la constitution qui déclare les modernistes du secte Ahmadiyas comme non-musulmans, donc les stigmatise comme traitres. Petit rappel : le Pakistan a deux lauréats de prix Nobel dont le physicien Abdus Salam, d’origine Ahmadiya.
La ruineuse guerre contre le terrorisme
Ainsi l’obscurantisme va continuer à régner ? Il semblerait que oui. Dernier mot : le Pakistan a payé le prix fort dans sa lutte contre le terrorisme. Non seulement a-t-il perdu 70.000 personnes mais le coût économique subi depuis 2001 s’élève à pas loin de 250 milliards de dollars (6).
Notes
Global Times, Beijing, 2018/7/27 https://www.globaltimes.cn/content/1112721.shtml
The Hindu, Chennai, 30 juillet 2018…https://www.thehindu.com/opinion/lead/the-umpire-takes-all/article24547860.ece
Express Tribune, 18 novembre 2017, https://tribune.com.pk/story/1561473/2-6-return-filers-pay-direct-taxes/
Economic Times, Mumbai, 2 février 2017, https://economictimes.indiatimes.com/news/economy/policy/why-income-tax-payers-in-india-are-a-small-and-shrinking-breed/articleshow/56929550.cms
Friedrich Ebert Stiftung – https://www.fes-connect.org/spotlight/growth-and-inequality-in-pakistan/
Friedrich Ebert Stiftung..op.cit