S’il ne commet théoriquement plus d’exaction en Ouganda même depuis 2006, le mouvement rebelle de l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA) continue de faire parler de lui dans les pays limitrophes, notamment en République démocratique du Congo, au Sud-Soudan et en République centrafricaine, et son objectif reste toujours le même : faire tomber le président ougandais Yoweri Museveni. La guérilla, qui se réclame de la Bible et des Dix Commandements, est le produit d’un faisceau d’origines remontant toutes au début des années 1980. Il y a d’abord eu les « guerres de brousse », qui sont des rébellions nées pour la plupart après les élections générales contestées de 1980 ayant porté Milton Obote au pouvoir. Elles se doublent d’un antagonisme ethnique, venu lui-même des préférences accordées durant la période coloniale : les peuples luo du Nord étaient dans les cercles politiques et dans l’armée, et les peuples bantous du Sud exerçaient des responsabilités administratives et économiques. Les civils ont payé un très lourd tribut à ces rébellions : massacres, pogroms, viols, enlèvements d’enfants, enrôlements forcés, etc.
Ce contexte troublé, qui touche une population des forêts profondément religieuse et encline au mysticisme, a favorisé l’apparition de personnages charismatiques comme Alice Auma, une guérisseuse des environs de Gulu (Nord) qui, après s’être convertie au catholicisme, a affirmé être animée par l’esprit d’un officier italien surnommé « Lakwena ». En 1986, Alice crée le Mouvement de l’Esprit-Saint (HSM) et entreprend une « guerre sainte » contre les « forces du mal ». Elle réunit autour d’elle une petite troupe de disciples exaltés, des combattants déserteurs issus des rangs des rebelles nordistes et enregistre, en novembre et décembre 1986, deux spectaculaires victoires avant une série de défaites. Dans la foulée de ses succès, elle est rejointe par le mouvement millénariste dirigé par Joseph Kony.
Kony est né en 1961 près de Gulu, dans le Nord. D’abord enfant de chœur, il est devenu une sorte de sorcier guérisseur, mélangeant christianisme et religion traditionnelle. Comme Alice Lakwena, il s’est agrégé des fidèles et des combattants rebelles en rupture de ban. Il va être aidé sur le plan stratégique par un chef rebelle aguerri, Odong Latek, qui lui enjoint d’user de tactiques militaires plutôt que de formations en croix aspergeant le terrain d’eau bénite.
Depuis lors, ce qui est devenu l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) a joué un jeu de chassé-croisé sanglant avec les forces nationales. Au prix d’atrocités sans nom, Kony a enrôlé des miliciens de plus en plus jeunes, jusqu’à 100 000 selon certaines sources. Inquiet des répercussions politiques de cette rébellion, Museveni a tenté, en vain, de négocier. En 2005, la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Kony. Plusieurs de ses lieutenants sont arrêtés, en partie grâce à l’aide militaire stratégique américaine.
Les succès de la LRA s’expliquent par l’aide – cachée – dont elle a fait l’objet. Première influence, repérée dans le milieu des années 1990 : celle du Soudan. Le pouvoir de Khartoum voyait d’un très mauvais œil le soutien fourni par Museveni à ses propres rebelles du Sud. En réaction, il a fait parvenir des armes à Joseph Kony. La seconde, plus subtile, est celle dont paradoxalement Yoweri Museveni lui-même tire profit. C’est en effet grâce à l’aide financière occidentale que le chef de l’État ougandais parvient à entretenir son armée, dont l’un des objectifs majeurs et hautement médiatisés est la lutte contre Kony, et grâce aux ONG sur le terrain que tout un travail social, santé, éducation, réinsertion d’enfants soldats, peut s’effectuer.