Les confidences de Bouteflika au MAE marocain.
À son retour d’Alger, le ministre marocain des Affaires étrangères a reçu à son domicile privé à Salé, un groupe de journalistes dont plusieurs directeurs de publications afin de les « briefer” sur sa visite officielle en Algérie avec pas mal de confidences à la clé… Saâd-Eddine Othmani a, d’emblée, déclaré qu’il s’était entendu avec son homologue algérien, Mourad Medelci, sur la nécessité de créer les conditions favorables pour l’amélioration des relations entre les deux pays. Les deux ministres ont convenu que la coopération bilatérale puisse toucher également le secteur des médias ainsi que les acteurs de la société civile. Il est vrai que pour élargir et promouvoir le « dialogue”, la presse peut constituer à cet égard un passage obligé pour cette normalisation souhaitée des deux côtés de la frontière fermée. C’est pourquoi, les deux ministres se sont fixés pour action prioritaire, « l’arrêt des hostilités médiatiques”. D’où la tenue de cette réunion dare-dare dans la modeste demeure du nouveau MAE marocain dans la banlieue de Rabat. Othmani a eu beau mettre en exergue l’accueil « exceptionnel et privilégié” qui lui a été réservé à Alger, sa mise au point (destinée à l’origine, à calmer les esprits) n’a pas été suivie d’effet. Loin s’en faut ! Dès le lendemain, la plupart des titres de la presse marocaine s’en sont allés de leur triste rengaine anti-Algérienne. L’habituel « jeu de massacre” médiatique. Le « manque d’enthousiasme” affiché par la presse marocaine au lendemain de la visite officielle à Alger (la première d’un Chef de la diplomatie marocaine depuis 1994) n’a pas échappé aux observateurs internationaux. D’où l’entretien téléphonique de la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, avec Othmani au sujet de sa visite en Algérie. C’est ainsi que les autorités marocaines prennent, peu à peu, conscience du rôle que peut jouer la presse, qui n’est pas toujours exempte de reproches dans la mésentente entre Alger et Rabat… Faire taire la presse pyromane Certains n’ont pas attendu les officiels des deux pays pour évoquer, à leur tour, l’existence au Maroc d’une « presse chauvine voire même pyromane lorsqu’il s’agit de l’Algérie”. Des experts s’accordent à reconnaître davantage de crédibilité à la presse algérienne dans le traitement de l’actualité de l’un ou de l’autre pays. Il est vrai que si l’on demeure un peu attentif à ce qui se rapporte sur notre pays dans le royaume chérifien, les inexactitudes sont nombreuses. Les articles concernant l’Algérie sont traités de manière si désinvolte que leurs auteurs (dont la plupart n’ont jamais mis les pieds en Algérie) ne se sentent jamais en devoir d’apporter la moindre preuve pour corroborer ce qu’ils avancent. « Pire que de la médisance, c’est d’abord un parti-pris éditorial”, estime ce spécialiste français des médias, un fin observateur de la scène politique maghrébine. « Certains titres se montrent souvent enclins à prêter leurs colonnes aux pourfendeurs du régime ‘militaire’ d’Alger et ce quelles que soient leurs obédiences. À l’inverse, différents opposants au Makhzen et/ou à la monarchie marocaine trouveraient, dit-on, en Algérie des porte-voix pour relayer leurs critiques”. Il faut dire qu’on n’en a pas trouvé beaucoup en Algérie : « C’est simple : Il est plus infamant sinon plus dangereux de dénoncer chez l’ennemi d’à-côté plutôt qu’en Europe, par exemple ». Autre échange de bons procédés. Il suffit d’un scandale ou d’une émeute dans l’un des deux pays pour que la presse de l’autre se donne l’occasion d’étriller une fois de plus ces maudits voisins. « Pour le lecteur marocain avisé, il n’y a aucun doute : on cherche à le détourner de ses problèmes en dénonçant avec insistance ceux de son voisin ». Mais quid de cette rencontre avec les médias ? « C’est aussi une action de com ! Les islamistes du PJD veulent inaugurer une nouvelle tradition consistant à tenir informés les citoyens des décisions prises en leur nom (sic). En réalité, ils veulent faire croire qu’ils jouent les premiers rôles ! » En recevant les journalistes en son domicile familial, Othmani n’était pas seul. L’unique responsable islamiste à s’être vu confier dans le nouveau gouvernement un portefeuille de souveraineté était accompagné de Youssef Amrani, son ministre délégué, ainsi que de Ali Achour, son directeur de cabinet. Ce sont deux anciennes chevilles ouvrières du MAE, des fidèles de Fassi El- Fihri, nommé conseiller du roi. C’est ce dernier qui exerce en ultime ressort le droit de regard du palais sur la politique étrangère du Maroc.
Bouteflika, l’enfant d’Oujda Parmi les morceaux choisis des confidences d’Othmani, il y a le « passé marocain » du chef de l’État algérien qui a refait surface à cette occasion. Le ministre marocain a révélé que le président algérien lui a raconté ses souvenirs d’enfance à Oujda, où il est né. Bouteflika lui aurait paru « nostalgique » lorsqu’il évoqua ses belles années passées dans la capitale de l’Oriental marocain, qu’il n’a plus revu, dit-il, depuis de longues décennies. Après s’être remémoré ses souvenirs marocains, le président Bouteflika s’est également rappelé du défunt docteur Abdelkrim El-Khatib et Mahjoubi Aherdane dont il s’est enquis de l’état de santé. Ces deux hommespolitiques, des figures de la résistance marocaine sont les fondateurs du Mouvement populaire, l’ancêtre du PJD dont est issu le nouveau MAE marocain. « Fils d’Ahmed Bouteflika et de Mansouriah Ghezlaoui, le Président algérien a fait ses études à Oujda, puis son instruction militaire à Nador. Les rares personnes qui se rappellent de lui à Oujda, évoquent un jeune garçon toujours élégant, poli et charmeur ». Voilà ce que retient la presse marocaine des confidences d’Othmani qui, lui, s’est longuement félicité de son entrevue de plus de trois heures avec le Président algérien à la résidence de Djenane El-Mufti, à Alger. Il est à rappeler enfin que le ministre marocain a réussi à obtenir à Alger un tête-à-tête avec le chef de l’État. Un entretien qui a duré une heure et demie. Pour montrer qu’il est pleinement dans la confidence, Othmani révéla à ses hôtes qu’il avait profité de ce moment rare pour faire passer « le message du roi ».
Changement de temps ou de ton ? Très satisfait de sa virée à Alger, Othmani précisera que Bouteflika a fait, en son honneur, une entorse au protocole présidentiel en l’invitant à un déjeuner au cours duquel il donna des directives à son ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci qui en aurait pris, lui, bonne note. Lors de cette rencontre, désormais médiatisée, le ministre marocain a déclaré avoir perçu « un changement dans le discours algérien ». D’après lui, les Algériens ne conditionnent plus une normalisation de leurs relations avec le Maroc par un règlement de la question sahraouie.
« Pourquoi d’ailleurs le feront-ils puisque cette question est déjà inscrite à l’ONU ? » s’interroge une source diplomatique à Alger. « Ce problème ne pourra pas être réglé à un niveau bilatéral. Même un rapprochement entre l’Algérie et le Maroc ou encore la relance (tant attendue) de l’UMA ne pourront venir à bout de cette affaire de Droit international ». La position de l’Algérie qui consiste à s’en remettre à la légalité internationale n’a pas varié. Même durant la période ensanglantée du terrorisme et malgré les pressions de toutes parts, elle avait réitéré cette position immuable. « En réalité, ce qu’Othmani considère comme un changement de ton c’est cette volonté partagée de chercher des points de convergence en évitant de parler des sujets qui fâchent », conclut notre source à Alger. Belkhadem, Soltani et les autres Décidément, les islamistes marocains du Parti de la justice et du développement (PJD) qui viennent d’accéder au gouvernement au Maroc parient sur un scénario à l’identique en Algérie, à l’issue des prochaines élections législatives de mai. Si d’aventure, ce calcul s’avérait exact, entre islamistes, les chances de s’entendre pourraient être théoriquement beaucoup plus grandes. Aussi, Othmani n’a pas caché avoir pris à Alger des contacts au besoin avec des leaders de la mouvance islamiste. Il dit avoir recontré Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, (avec qui il serait lié par une vieille amitié). Il évoquera également sa rencontre avec Abou Djerra Soltani, le leader du MSP, avec lequel le PJD entretient des relations depuis de longues années. Il faut dire que la carte de l’internationale islamiste peut constituer un atout à jouer par la diplomatie marocaine. Dans le cas échéant…
M-C. L. (Liberté)