Le Sultan d’Oman Qabous bin Said al Said est gravement malade et hospitalisé en Allemagne depuis juillet dernier. Sa disparition pourrait peser lourdement sur l’avenir de ce pays, d’autant que sa succession n’a pas été, apparemment, préparée. Le Sultan Qaboos, 73 ans, était l’homme qui avait apporté la stabilité et la modernité au sultanat.
Discrètement mais efficacement, le Sultan Qabous a mené une politique étrangère indépendante, fait rarissime dans cette région, et face à des monarchies aussi puissantes que l’Arabie saoudite voisine avec sa politique hégémonique visant à contrôler le Golfe arabo-persique et le détroit d’Ormuz et ses positions anti-iraniennes opposées à celles de Mascate. Qabous a, à plusieurs reprises, par exemple, joué le rôle de médiateur entre les puissances occidentales et l’Iran ou entre Riyad et Téhéran. En outre, la position géographique d’Oman dans le détroit d’Ormuz place le sultanat à la croisée de routes maritimes stratégiques. Depuis de siècles, Mascate a été un port au cœur du réseau commercial entre l’Afrique, l’Inde et le Moyen Orient vers les marchés éloignés d’Europe et d’Asie. Aujourd’hui encore, ses liens diplomatiques, commerciaux et militaires avec le Pakistan, l’Inde et l’Occident sont essentiels.
Lorsqu’en 1970, Qabous ibn Said renverse son père Saïd ibn Taimour, soutenu par les Britanniques et l’Iran, Oman était le pays le plus pauvre de la péninsule, dirigé par un despote, et en pleine guerre civile avec la rébellion marxiste indépendantiste dirigée par le Front de Libération du Dhofar. En effet, en 1964, une rébellion séparatiste éclate dans cette province du sud d’Oman de 40 000 habitants frontalière du Yémen (sur une population totale de 750 000 habitants). Elle était soutenue par le Yémen du Sud alors communiste, d’autres pays à régime progressistes et l’Égypte nassérienne.
Dès sa prise de pouvoir, Qabous Said s’attache à la question des conditions de vie de la population et au redressement de l’économie. Face à la rébellion du Dhofar, il reconstruit les forces armées qui passent de 3000 à 10 000 hommes, tandis que Londres et Téhéran envoient des troupes dans le cadre de l’ « Opération tempête ». Le Front de Libération du Dhofar, est finalement écrasé militairement en 1976. Mais, bon prince et pragmatique, le nouveau sultan associe un grand nombre des ex-rebelles au pouvoir et les nommes à des postes importants.
Qabous Said est l’homme qui a su faire entrer Oman dans le concert des Nations. En 1971, alors que le Sultanat sort de l’emprise du protectorat britannique, il intègre la Ligue arabe et l’ONU. Il a été l’un des fondateurs du Conseil de coopération du Golfe en 1981, après la révolution iranienne. Maintenant de bonnes relations avec à le Conseil et l’Iran à la fois, il a pu maintenir son pays dans une relative indépendance vis à vis des deux puissants antagonistes régionaux en s’efforçant de maintenir un nécessaire équilibre dans les relations.
Il est perçu, également, par la population, comme l’homme de la modernité. Malgré la prévalence de la loi coranique, les femmes ont le droit de vote et d’éligibilité, plusieurs d’entre elles sont nommées à de postes de ministres en 2004. Victime de la dureté de son père, tout comme le peuple fut victime de son despotisme, il s’attache à l’élaboration d’une Constitution d’État de droit et à une transition démocratique et égalitaire. Ainsi, en 1996, il instaure un poste de Premier ministre et un Conseil bicaméral avec pouvoirs législatifs, et promet la garantie des libertés civiles fondamentales. En 2003, la Chambre basse du Conseil est élue au suffrage universel direct pour la première fois, avec des limites toutefois, ses membres n’ayant pas le droit d’appartenir à un parti politique.
Aujourd’hui, sans enfants ni frères, la succession du Sultan Qabous, entre les ambitions des factions internes et les intérêts étrangers à rassurer, serait pour l’instant secrète, selon la rumeur, afin de ne pas déstabiliser le pays par des luttes intestines. Son successeur sera très probablement l’un de ses cousins, comme le vice Premier ministre. La loi veut qu’un successeur soit nommé par la famille au pouvoir dans les trois jours suivant le décès du Sultan. Si aucun accord n’est trouvé, elle doit s’en tenir à son choix. Et compte tenu de l’importance stratégique du Détroit d’Ormuz, Riyadh, Téhéran et Washington ne seront sans doute pas absents de la partie, avec toutes les tractations que cela suppose. À l’intérieur, les groupes tribaux traditionnels de la région de Salalah – deuxième ville, grand port de conteneurs, hautement touristique, et capitale administrative de la région du Dhofar – les groupes religieux Ibadi – islam dominant à Oman, – et l’élite économique de Mascate devront se mettre d’accord, également, pour préserver l’unité d’Oman.
Quel que soit le successeur du Sultan Qabous, s’il veut préserver la stabilité et l’unité su Sultanat, il devra composer avec les religieux, les tribus et l’élite économique du pays et ne pourra se passer du soutien étranger, tout en réussissant à maintenir l’équilibre des forces, un défi que, pour l’instant, aucun prétendant ne semble pouvoir relever.