Une visite sans panache.
Jusqu’au dernier jour, la semaine de Barack Obama en Afrique aura eu un goût amer, voire aura été de très mauvais goût. Il y a d’abord eu cette protestation aux États-Unis, avant même le départ de la famille présidentielle, concernant le coût exorbitant que ce court voyage alors que le pays est engagé dans des coupes budgétaires « séquestres ». Plus de 100 millions de dollars ont été engloutis dans le paiement des jets de combats qui ont accompagné Air Force One, l’avion présidentiel, dans la rémunération de plusieurs centaines d’agents de renseignements. Mais aussi, un navire de la Navy avec un plateau chirurgical complet, des avions cargos militaires pour transporter les 56 véhicules dont quatorze limousines et trois camions chargés de rideaux pare-balles pour recouvrir les fenêtres des hôtels où ont séjourné la famille, et autres dépenses inimaginables pour le contribuable américain. Heureusement, le couple présidentiel a annulé le projet de safari dont on imagine mal les frais de sécurité qu’il aurait entraînés, non seulement contre de possibles attaques terroristes, mais aussi contre les lions, guépard, hyène et autres bêtes sauvages qui auraient pu intenter à la vie du Président. C’est le Washington Post qui a révélé ces informations classées « secret défense ». En comparaisons, le voyage du président Cliton en 1998 dans six pays africains (contre trois pour Obama) a coûté plus ou moins 60 millions de dollars, ce qui est déjà beaucoup.
Simple gaspillage des deniers publics ou investissement à terme dans les relations afro-américaines ? C’est la question posée par certains membres du Congrès, républicains comme démocrates.
Au Sénégal, première étape de Barack Obama et sa famille, le président américain a salué « une des démocraties les plus stables en Afrique et l’un des plus forts partenaires dans la région ». Et on y a beaucoup parlé de coopération militaire dans la lutte contre le terrorisme avec un allié de la région sub-saharienne, alors que la France et son intervention au Mali ont damé le pion à la super puissance. Pas de grands discours, mais des « visites symboles », comme l’île de Gorée où le président américain a rencontré des représentants de la société civile, ou encore la Cour suprême, pour marquer l’importance de la « Justice dans un État de droit », tout dans un discours très « américain », moralisateur et donneur de leçons sur la démocratie et la justice dont on sait comment elles sont bafouées par Barack Obama et ses institutions aux États-Unis et dans le monde. Le scandale des « grandes oreilles » qui a d’exploser à la figure du président américain alors qu’il se trouvait encore en terre africaine n’en est que la dernière manifestation.
Deuxième étape, l’Afrique du Sud, où, à part le révérend Desmond Tutu toujours prêt à tendre la joue gauche, le président américain a subi un affront à plusieurs vitesses. Sa première et dernière visite au pays de Mandela s’était déroulée alors qu’il était sénateur, en 2006. Bien sûr, les deux présidents se sont rencontrés, se sont congratulés, ont parlé de partenariat et fait des plans sur la comète. À l’université de Cape Town, Obama a rendu hommage à Nelson Mandela et appelé les jeunes sud-africains à suivre son exemple. Comme vœux pieux, on ne peut pas faire mieux, compte tenu de la crise que connaît aujourd’hui l’Afrique du Sud et particulièrement les jeunes sud-africains qui représentent largement la majorité de la population (un tiers a moins de 15 ans) et le plus fort taux de chômage.
À défaut de rencontrer Nelson Mandela à l’article de la mort, le président Obama se devait de se rendre à Robben Island et de visiter la cellule du célèbre prisonnier n° 46664, où très « américain », une nouvelle fois, il s’est « ému » de voir ses filles « à l’intérieur de murs qui ont enfermés, autrefois, Nelson Mandela ». Très émouvant certainement pour l’opinion publique internationale et pour les peuples massacrés par les bombes et les drones américains ou réduits à la misère la plus noire par la politique menée par les États-Unis depuis des décennies, d’apprendre que, désormais, il « sait » « qu’elles vont apprécier un peu plus ce que Mandela et les autres ont fait pour la liberté, que c’est une expérience qu’elles n’oublieront jamais ». Et avec toute la générosité que l’on connaît de la part des dirigeants américains envers le reste de la planète, il a offert « Power Africa », un théorique investissement de 7 milliards de dollars dans un programme d’électrification dans six pays : Éthiopie, Kenya, Libéria, Nigéria et Tanzanie. Avec, bien sûr, la « participation » des géants internationaux de l’électricité comme General Electric ou Symbion Power.
Si Jacob Zuma a abondé dans le sens de son homologue américain sur les habituels thème des « objectifs communs d’intensification des échanges commerciaux et des relations entre les deux pays » et sur celui de la « croissance rapide de l’Afrique qui en fait une région attractive pour les investissements », le président sud-africain a réitéré diplomatiquement exprimé ses divergences et ses préoccupations, notamment quant au « manque de progrès du processus de paix au Moyen-Orient » et sur les réformes du Conseil de sécurité de l’ONU. On en attendait plus, cependant, du président sud-africain, mais, alors que sa côte ne cesse de baisser à l’approche des élections générales de 2014 et au vu de l’échec total de sa politique clientéliste, corrompue, incohérente et inefficace, il a plus que jamais besoin des investissements étrangers, d’où qu’ils viennent, pour essayer de sauver un tant soit peu, la (sa) situation.
Cette visite américaine en Afrique du sud aurait été tout à fait « charmante » et « émouvante », sinon constructive, sans quelques trublions qui ont eu la fâcheuse idée de ne pas l’apprécier. Avant l’arrivée du président américain, Mohamed Hussain Vawda déposait une plainte au nom de la Société pour la Protection de (notre) Constitution, accusant le président américain de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour la mort ou la mutilation de 3000 personnes dont 176 enfants, par l’utilisation illégale de drones. La campagne « Non, vous ne pouvez pas honorer Obama » ou Nobama Campaign a emporté l’adhésion de nombreuses associations et organisations appartenant à tout le spectre politique et social sud-africain et qui ont manifesté à Pretoria, Cape Town et Soweto au passage du président américain.
Dans un communiqué commun publié auparavant, par des organisations telles que le Parti communiste et son mouvement de la jeunesse, pourtant allié inconditionnel du président Zuma et son gouvernement auquel il participe, mais aussi, les syndicats des métallurgistes, de la santé, de l’enseignement, la centrale syndicale Cosatu elle-même alliée de l’ANC au pouvoir, la Société des Amis de Cuba, le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël en Afrique du Sud, et la Fédération mondiale des syndicats, le Congrès des étudiants sud-africains, l’Association des étudiants musulmans, les protestataires déclaraient que « la visite du président américain en Afrique du Sud n’est pas la bienvenue ». « L’amitié avec l’Afrique du Sud doit être fondée sur des valeurs de justice, de liberté et d’égalité, autant de valeurs violées par les États-Unis (…) sur le front international, ont déclaré les protestataires. Notre rejet se fonde sur l’arrogance, l’égoïsme et la politique internationale, le traitement des travailleurs et des relations commerciales internationales qui ont enraciné les marchands de guerre, la surexploitation néolibérale, le racisme colonial, le mépris et la destruction de l’environnement, qui ont rendu impossible la réalisation d’un monde juste et pacifique. Les États Unis sous sa direction ont intensifié leurs attaques contre les droits humains, la militarisation des relations internationales et l’exploitation incontrôlée et continue des ressources mondiales aux dépens absolus de l’environnement et des peuples opprimés ». Les signataires avaient appelé aux manifestations, notamment à l’université de Johannesburg, le 29 juin, où Barack Obama devait recevoir le titre de Docteur honoris causa, cérémonie finalement annulée. Dans un contexte sud-africain difficile sur lequel pesait, en outre, l’état de santé de Nelson Mandela qui n’a pas permis au président Obama de réaliser son vœu très médiatique de le rencontrer, la visite américaine n’a certainement pas eu l’éclat et la grandeur qu’avait sans doute espérés Washington.
Dernière étape du voyage présidentiel américain, la Tanzanie. Contrairement à l’Afrique du Sud, le président américain a reçu à Dar es Salam, un accueil « à l’africaine », avec danses, bain de foule et poignées de main. Mais ici aussi ce sont les dollars qui étaient attendus comme le messie par le monde des affaires et du commerce. Avant son arrivée, le président tanzanien, Jakaya Kikwete, avait déclaré à la BBC de façon très explicite : « Pour le développement, nous avons besoin d’investissements nous permettant d’utiliser l’énorme potentiel qui est le nôtre, de façon à ce que cet énorme potentiel puisse se traduire en revenus et en emplois pour notre peuple, et donc en développement pour notre pays. » De son côté, Obama a platement rappelé son engagement à développer l’accès à l’électricité sur le continent africain par le programme « Power Africa », et à « favoriser son essor économique » tout en prônant des relations approfondies, etc, discours habituels. Rien de nouveau en réalité.
Pourquoi ce voyage en Tanzanie, peut-on se demander ? On a vu le président américain visiter la centrale électrique d’Ubungo, rénovée grâce à un financement américain, question de se rappeler au bon souvenir des Tanzaniens. On l’a vu taper de la tête et du pied sur un socketball, ballon de football qui permet de recharger une lampe ou un téléphone portable grâce à l’énergie cinétique accumulée dans les mouvements, exercice qu’il a trouvé « assez cool » et dont il pense qu’ « on peut imaginer cela dans les villages à travers le continent » (bonjour le programme d’électrification !! et quel respect pour les Africains !! ) Et on l’a vu aussi, surprise… surprise ! rencontrer George W. Bush avec lequel il a rendu hommage aux onze morts de l’attentat de 1998 contre l’ambassade des Etats-Unis en Tanzanie ? On s’attendait vraiment, en les voyant, à ce qu’ils se prennent par la main dans un même recueillement au mémorial où ils se sont rendus ensemble, tandis que leurs épouses, Laura et Michelle se préparaient pour assister, tout sourire, au Sommet des « Premières dames d’Afrique ». Sommet dont elles ont assuré ensemble l’ouverture, tandis que l’ancien président devait lui aussi intervenir, officiellement au nom de la Fondation Bush et son programme de prévention contre le sida. Un vrai bonheur, à faire pâlir de jalousie Hilary Clinton… !!
Dans tous les cas, si l’étrange voyage de Barack Obama en Afrique sous forme de « show à l’américaine » visait à promouvoir « un nouveau type de relations », le président américain n’aura certainement convaincu que ceux qui avaient envie de l’être. Sans substance réelle, n’abordant jamais les vrais problèmes qui se posent au monde en général et à l’Afrique en particulier, jouant les commis voyageurs pour la haute finance et le grand capital américains, il aura montré, en revanche, que les États-Unis sont de plus en plus inquiets de la part grandissante de la Chine dans l’économie africaine, dans une région du globe aux « opportunités économiques énormes », comme le dit celui dont l’élection, du fait de ses origines africaines, avait suscité un aussi « énorme » espoir en Afrique, mais cela, c’était il y a longtemps… « Je vois l’Afrique comme la grande « success story » mondiale et les États-Unis veulent être un partenaire de ce succès », a-t-il déclaré à Dar es Salam, en appelant à un nouveau modèle « qui ne soit plus basé sur l’aide et l’assistance, mais sur le commerce et le partenariat ». Tout un programme que la Chine a mis en pratique depuis bien longtemps déjà.