La morale élémentaire et la simple logique veulent que le droit à l’autodéfense appartienne au peuple palestinien, et non à son oppresseur. Et le droit international est d’accord.
PAR CRAIG MOKHIBER*
L’une des nombreuses révélations troublantes qui ont émergé depuis le début de la phase actuelle du génocide en Palestine, il y a près d’un an, est la mesure dans laquelle les politiciens américains et occidentaux sont prêts à s’en tenir consciencieusement à un scénario fourni par Israël et ses lobbies occidentaux, que ce scénario soit véridique ou non. L’exemple le plus frappant est celui de la « légitime défense », souvent répétée à l’envi.
Après chaque crime de guerre et crime contre l’humanité perpétré par Israël dans le cadre de son génocide actuel, le refrain le plus courant des représentants des gouvernements occidentaux (et des médias occidentaux) est qu’« Israël a le droit de se défendre ».
Non, ce n’est pas le cas.
En fait, sur le plan du droit international, il s’agit d’un double mensonge.
Premièrement, Israël n’a pas ce droit à Gaza (ou en Cisjordanie et à Jérusalem-Est).
Deuxièmement, les actes que les allégations de « légitime défense » cherchent à justifier seraient illégaux même en cas de légitime défense.
La Charte des Nations unies, traité contraignant pour tous les États membres, codifie les principaux droits et responsabilités des États. Parmi ceux-ci figurent le devoir de respecter l’autodétermination des peuples (y compris les Palestiniens), le devoir de respecter les droits de l’homme et le devoir de s’abstenir de recourir à la force contre d’autres États (lorsque cela n’est pas autorisé par le Conseil de sécurité). Au cours de ses 76 années d’existence, Israël n’a cessé de violer ces principes.
Une exception temporaire à l’interdiction du recours à la force est codifiée dans l’article 51 de la Charte des Nations unies pour la légitime défense contre des attaques extérieures. Mais il est important de noter qu’un tel droit n’existe pas lorsque la menace émane de l’intérieur du territoire contrôlé par l’État. Ce principe a été affirmé par la Cour mondiale dans son avis de 2004 sur le mur d’apartheid israélien. La Cour a estimé à l’époque, et à nouveau dans son avis de 2024 sur l’occupation, qu’Israël est la puissance occupante du territoire palestinien occupé. En tant que puissance occupante, Israël ne peut donc pas invoquer la légitime défense pour justifier le lancement d’attaques militaires à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est ou sur les hauteurs du Golan.
Bien sûr, Israël, depuis son propre territoire, peut légalement repousser toute attaque pour protéger ses civils, mais il ne peut pas invoquer la légitime défense pour mener une guerre contre les territoires qu’il occupe. En fait, sa principale obligation est de protéger la population occupée. Ce faisant, une puissance occupante peut exercer des fonctions essentielles de maintien de l’ordre (distinctes des opérations militaires). Toutefois, étant donné que la Cour mondiale a par la suite estimé que l’occupation des territoires par Israël était elle-même totalement illégale, même ces fonctions seraient probablement illégitimes, sauf si elles sont strictement nécessaires pour protéger la population occupée et dans un délai très court après le retrait.
Dans son avis le plus récent, la Cour a déclaré que la présence d’Israël dans les territoires violait le principe d’autodétermination, la règle de non-acquisition de territoire par la force et les droits de l’homme du peuple palestinien, et qu’il devait rapidement mettre fin à sa présence et indemniser le peuple palestinien pour les pertes subies. En droit, chaque botte israélienne sur le sol, chaque missile, jet ou drone israélien dans l’espace aérien palestinien, et même une seule bicyclette israélienne non autorisée sur une route palestinienne, constitue une violation du droit international.
En résumé, le recours légal d’Israël face aux menaces qu’il prétend émaner des territoires occupés est de mettre fin à son occupation illégale, de démanteler les colonies, de quitter les territoires, de lever le siège et de céder totalement le contrôle au peuple palestinien occupé.
Ici, le droit international est un simple reflet du bon sens et de la morale universelle. Un criminel ne peut pas s’emparer de la maison de quelqu’un, s’y installer, piller son contenu, emprisonner et brutaliser les habitants, puis invoquer la légitime défense pour assassiner les propriétaires lorsqu’ils se défendent.
Au-delà de la Palestine occupée, si Israël a le droit de se défendre contre les attaques d’autres États, il ne peut revendiquer ce droit si l’attaque est une réponse à l’agression israélienne. Israël ne peut pas attaquer un État voisin (Liban, Syrie, Irak, Iran, Yémen, par exemple) et invoquer la légitime défense si cet État riposte. Accepter une telle affirmation reviendrait à renverser le droit international.
Ainsi, la plupart des affirmations des hommes politiques et des médias occidentaux selon lesquelles « Israël a le droit de se défendre » sont manifestement fausses, au regard du droit international.
Le deuxième mensonge contenu dans ces affirmations répétées est la suggestion qu’une revendication d’autodéfense justifie la myriade de crimes commis par Israël. Le droit international n’autorise pas l’invocation de la légitime défense pour justifier des crimes contre l’humanité et des génocides. Elle ne permet pas non plus de surmonter comme par magie les impératifs de précaution, de distinction et de proportionnalité du droit humanitaire international, ni le statut protégé des hôpitaux et autres installations civiles vitales.
En outre, la présence de personnes associées à des groupes de résistance armés (même si elle est prouvée) ne transforme pas automatiquement un lieu civil ou une structure protégée en une cible militaire légitime. Si c’était le cas, la présence courante de soldats israéliens dans les hôpitaux israéliens ferait également de ces derniers des cibles légitimes. Attaquer des hôpitaux n’est pas un acte d’autodéfense. C’est un acte de meurtre et, dans les cas systématiques et à grande échelle, un crime d’extermination.
L’argument de la légitime défense ne justifie pas les punitions collectives, le siège des populations civiles, les exécutions extrajudiciaires, la torture, le blocage de l’aide humanitaire, le ciblage des enfants, le meurtre des travailleurs humanitaires, du personnel médical, des journalistes et des fonctionnaires de l’ONU, autant de crimes perpétrés par Israël au cours de la phase actuelle de son génocide en Palestine. Tous ces crimes sont suivis de manière éhontée par les défenseurs d’Israël en Occident, qui invoquent l’autodéfense.
Ainsi, chaque réponse d’un politicien ou d’une voix médiatique complice à un crime israélien qui commence par « Israël a le droit de se défendre » est à la fois une justification de l’injustifiable et un mensonge éhonté – et elle doit être dénoncée comme telle.
En outre, vous n’entendrez jamais ces voix dire que la Palestine a le droit de se défendre, même si, en vertu du droit international, c’est absolument le cas. Enracinés dans la Charte des Nations unies, dans le droit international humanitaire et des droits de l’homme, et affirmés par une série de résolutions des Nations unies, les groupes de résistance palestiniens ont un droit légal à la résistance armée pour libérer le peuple palestinien de l’occupation étrangère, de la domination coloniale et de l’apartheid.
Le monde entier est d’accord. L’Assemblée générale des Nations unies a déclaré
« le droit inaliénable du peuple palestinien, et de tous les peuples soumis à l’occupation étrangère et à la domination coloniale à l’autodétermination, à l’indépendance nationale, à l’intégrité territoriale, à l’unité nationale et à la souveraineté sans ingérence étrangère » et a réaffirmé “la légitimité de la lutte des peuples pour l’indépendance, l’intégrité territoriale, l’unité nationale et la libération de la domination coloniale, de l’apartheid et de l’occupation étrangère par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée”.
Bien sûr, toute résistance doit respecter les règles du droit humanitaire, y compris le principe de distinction entre civils et militaires. Mais le droit de la Palestine, en vertu du droit international, à la résistance armée contre Israël est désormais axiomatique.
En d’autres termes, le peuple palestinien a un droit légal reconnu de résister à l’occupation, à l’apartheid et au génocide d’Israël, y compris par la lutte armée. Et puisque la résistance sous-jacente est légale, les alliances, l’aide et le soutien aux Palestiniens à cette fin sont également légaux.
Inversement, l’occupation, l’apartheid et le génocide israéliens étant illégaux, le soutien des États occidentaux à Israël dans ces entreprises est illégal. En effet, la Cour mondiale a estimé que tous les États sont tenus de mettre fin à tout soutien de ce type à Israël et d’œuvrer pour mettre fin à l’occupation israélienne.
Encore un point sur la notion d’autodéfense. L’histoire n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Dans les années 1930 et 1940, des colons sionistes sont venus d’Europe pour attaquer des Palestiniens dans leurs maisons en Palestine. Aucune milice palestinienne ne s’est rendue en Europe pour attaquer les colons chez eux, en Angleterre, en France et en Russie. (Bien entendu, les Juifs fuyant les persécutions européennes avaient tout à fait le droit de demander l’asile en Palestine et ailleurs. Mais les sionistes n’avaient pas le droit de coloniser la terre et de déposséder les populations indigènes).
Depuis plus de 76 ans, Israël a attaqué, brutalisé, déplacé, dépossédé et assassiné le peuple palestinien autochtone et a cherché à l’effacer. Il a procédé au nettoyage ethnique de centaines de villes et de villages palestiniens, volé des maisons, des entreprises, des fermes et des vergers palestiniens, et détruit les infrastructures civiles palestiniennes. Chaque communauté palestinienne a subi des atteintes quotidiennes à sa dignité, des arrestations, des passages à tabac, des tortures, des pillages et des meurtres de la part d’Israël. Les survivants ont été contraints de vivre sous un régime d’apartheid et de ségrégation raciale et dans le déni systématique des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels sur leur propre terre.
Tous les efforts pacifiques déployés par les Palestiniens pour mettre fin à l’oppression et recouvrer leur droit à l’autodétermination, par le biais d’initiatives diplomatiques, d’actions judiciaires, de protestations pacifiques ou de boycotts et de désinvestissements organisés, ont été réprimés ou rejetés, non seulement par Israël, mais aussi par ses sponsors occidentaux.
Dans ce contexte, la morale élémentaire et la simple logique dictent que le droit à l’autodéfense appartient au peuple palestinien, et non à son oppresseur. Et le droit international est d’accord.
Craig Mokhiber
*Craig Mokhiber est un avocat spécialisé dans les droits de l’homme et un ancien haut fonctionnaire des Nations unies. Il a quitté l’ONU en octobre 2023, après avoir rédigé une lettre très lue qui mettait en garde contre un génocide à Gaza, critiquait la réaction internationale et appelait à une nouvelle approche de la Palestine et d’Israël fondée sur l’égalité, les droits de l’homme et le droit international.
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