Que l’on ne s’y trompe pas : le Mali n’est pas le seul pays concerné par l’emprise des djihadistes. L’onde de choc est très largement sous-régionale. Si le Tchad s’affirme actuellement comme un État fort et capable non seulement de se défendre, mais aussi d’envoyer ses soldats à l’assaut des citadelles d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dans le Sahel, tous les pays de la zone n’ont pas une telle capacité. Parmi les plus exposés figure le Niger, dont l’allure de pays fragile faisait craindre le pire pour sa sécurité.
Pourtant, il fait face à la crise avec beaucoup de solidité. Dans la foulée de l’intervention française, outre le contingent de 500 soldats promis en envoyé à la Mission internationale de soutien au Mali (Misma, sous commandement nigérian), 5 000 soldats nigériens ont été dépêchés pour couvrir les quelque 800 kilomètres de frontières nigéro-malienne. Les routes principales ont été dotées de postes de contrôle pour éviter la recrudescence de « coupeurs de routes ». À Niamey, la capitale, la sécurité des différentes ambassades et des hôtels a été renforcée, de même que le dispositif de renseignement – avec le concours des Français et des Américains. Enfin, quelques renforts ont été envoyés à Agadez, en pays toubou, histoire de décourager ceux qui auraient eu en tête de surfer sur la vague idéologique et de déstabiliser le pays en reprenant les armes contre le pouvoir central, comme le firent dans un premier temps les Touaregs de l’Azawad.
Constitué aux deux tiers d’étendues désertiques, arides et difficiles d’accès, le Niger est, comme le nord du Mali, un repère idéal pour Aqmi. Entrent dans la composition de sa population plusieurs communautés nomades, Toubous et Touaregs en particulier, qui n’en sont pas à leur première rébellion. La plus marquante de la période contemporaine a été déclenchée dans les années 1990. En 1995, un cessez-le-feu est intervenu entre le pouvoir de Niamey, alors détenu par Mahamane Ousmane, élu deux ans plus tôt, et les Forces armées révolutionnaires du Sahara (Fars), un groupe composé essentiellement de Toubous. Une Haute Autorité pour la consolidation de la paix est alors mise en place pour encadrer les négociations et aider à la réinsertion sociale des ex-combattants. En 1998, un accord complémentaire est signé à N’Djaména avec le Front démocratique du renouveau (FDR), autre faction rebelle.
Les revendications sont similaires à celles émises par les Touaregs maliens, entrés eux aussi en rébellion à la même époque : ils réclament davantage de décentralisation administrative et d’investissement de l’État dans les infrastructures, l’éducation et la santé, une meilleure intégration des minorités locales dans l’armée, l’embauche prioritaire de la population locale dans l’administration et les entreprises minières, nationales ou internationales.
Comme toujours, les promesses n’engagent que ceux qui y croient et Niamey se révèle bientôt oublieuse des siennes, comme le fut Bamako. Fidèle à sa « tradition » d’instabilité, le pays enchaîne d’ailleurs les coups d’État et les Touaregs reprennent les armes sans trouver grand-monde devant eux. En 2007, la situation sécuritaire est tellement dégradée que le pouvoir central, alors conduit par Mamadou Tandja, dont c’est le second mandat, déclare l’état d’urgence. La rébellion est conduite par le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), présidé par Aghali Alambo, qui avait déjà fait parler de lui lors du soulèvement de 1990. En mai 2007 s’engage à ses côtés le capitaine Acharif Mohamed Mokhtar, déserteur de l’armée régulière, habile tacticien et évidemment bon connaisseur de la stratégie militaire des forces gouvernementales. Sa présence permet au MNJ de mener plusieurs combats victorieux, mais au prix de plusieurs centaines de morts. Le MNJ s’affirme comme un mouvement national, et pas seulement touareg, et réclame en outre une meilleure répartition des richesses issues de l’exploitation de l’uranium, qui devient la ressource la plus précieuse de la région.
La répression s’abat un peu partout dans le pays, sans vraiment de discernement, au point que deux journalistes occidentaux travaillant pour la chaîne de télévision franco-allemande Arte sont arrêtés à Niamey simplement pour avoir interviewé des rebelles touaregs. En juillet 2008, ce sera au tour de l’organisation Médecins sans frontières (MSF) d’avoir maille à partir avec le pouvoir. Mais la mesure de rétorsion dont MSF est victime a une raison : un mois auparavant, quatre salariés de l’entreprise française Areva, qui exploite l’uranium, avaient été enlevés par les hommes du MNJ, avant d’être libérés une semaine plus tard. L’opération a déclenché l’ire du président Tandja, qui ne souhaite rien de moins que se fâcher avec la France, laquelle ne s’est pas privée de lui faire des remontrances sur son laisser-aller en matière de sécurité.
Pressé d’en finir, Tandja a alors réendossé ses habits de lieutenant-colonel formé en France et d’homme à poigne, et lancé l’armée à l’assaut des rebelles. Ceux-ci ont accumulé des pertes importantes – d’où leur besoin de soins d’urgence, assurés par MSF – et se sont retrouvés acculés dans le désert. Au point de devoir faire les premiers pas en direction d’un accord de paix, qui sera signé sous l’égide de Mouammar Kadhafi, le Guide de la révolution libyenne, en avril 2009. Dans son rapport de 2008, Amnesty International fera état de nombreuses violations des droits de l’homme commises par l’armée nationale, qui a arrêté et torturé des civils pour obtenir des renseignements et exécuté arbitrairement ceux suspectés d’aider les rebelles.
Officiellement, les hostilités ont cessé, mais la situation sur le terrain est restée extrêmement tendue. Mamadou Tandja est renversé en février 2010. Le pouvoir passe aux mains des militaires du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie, qui le cédera conformément à son engagement au président issu des urnes en mars 2011, Mahamadou Issoufou, un opposant historique.
Le nouveau président hérite d’une situation politique difficile. Depuis 2009, les prises d’otages se sont succédé, souvent revendiquées par Aqmi. L’organisation djihadiste prouve ainsi qu’elle est en train de s’implanter durablement dans le Sahel en général, et au Niger en particulier. D’où le besoin de consolider en priorité les services de sécurité et de renseignement. L’intervention occidentale en Libye a provoqué un reflux important de Nigériens à la frontière du Nord. Certains y étaient partis pour travailler, mais d’autres s’étaient engagés aux côtés du Guide pour faire le coup de feu. Il n’est pas envisageable pour le pouvoir de laisser entrer plus d’armes que d’hommes… D’où de nombreux accrochages violents, mais dont l’aspect positif est la saisie d’armes en grand nombre.
Les rapatriés sont par ailleurs pris en charge par la Haute Autorité pour la consolidation de la paix, l’instance créée pour réintégrer les ex-combattants rebelles, que les Nigériens – pas seulement touaregs – connaissent bien. Dotée d’un budget annuel de 600 000 euros, elle finance tous les projets qui lui sont soumis, pour peu qu’ils aient un aspect collectif. Enfin, les Touaregs sont de plus en plus intégrés dans la vie politique et, à ce titre, le premier ministre Brigi Rafini fait figure de porte-drapeau.
Tous ces éléments concourent à la résistance du Niger face à la crise. Reste que l’équilibre est fragile. Les frontières sont poreuses et le danger peut surgir non seulement du Mali, mais également de Libye, toujours instable, ou du Nigeria, où sévit la secte Boko Haram, désormais largement noyautée par Aqmi. Il peut également être intérieur, car le Mouvement pour l’unité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) a recruté au Niger comme il l’a fait au Mali, s’adressant aux jeunes désœuvrés au moyen d’une idéologie plus revancharde que réellement religieuse face aux inégalités sociales et à l’absence de perspectives. Le pouvoir est conscient des difficultés comme de l’enjeu.