En ce 95e anniversaire de Nelson Mandela, le monde entier pense à lui et célèbre cette journée de diverses façons. Mais l’Afrique du Sud se pose aussi des questions. S’il se réjouit que le Grand Homme soit toujours en vie, les déclarations contradictoires sur son état de santé, depuis son hospitalisation le 8 juin dernier, font planer un malaise dans le pays et au-delà. Ce n’est pas salir cette journée que d’essayer d’expliquer la réalité des faits, c’est difficile et douloureux en la circonstance. Mais la recherche de la vérité n’était-elle pas aussi l’une des valeurs défendues par « Madiba » ?
Le 8 juin, Nelson Mandela « Madiba » très affaibli par l’infection pulmonaire qui avait déjà nécessité son hospitalisation en janvier 2011, décembre 2012 et mars dernier, était de retour à l’hôpital dans un état « grave, préoccupant mais stable », selon un communiqué de la présidence.
Placé en soins intensifs, il semblait alors être arrivé au bout de sa route. Le peuple sud-africain se préparait à accompagner le héros de la lutte anti-apartheid dans son dernier voyage, des prières et des cérémonies étaient organisées dans le pays, les militants de l’ANC se regroupaient devant l’hôpital et le président Jacob Zuma appelait les Sud-africains à « prier pour Madiba et sa famille ». Sur les réseaux sociaux, les appels à le laisser partir « dignement » se multipliaient.
Puis, le 9 juin, Mac Maharaj porte parole de la présidence est désigné comme seule et unique personne habilitée à diffuser des bulletins de santé. Il attaque les médias qui donnent des informations alarmantes, multiplie les déclarations, affirmant inébranlablement, que l’état de Madiba est « critique mais stable », tout comme le président Jacob Zuma qui s’avance même à prétendre que son état s’améliore. Pourtant, la rumeur gonfle et se répand dans les viles, les villages et les townships. Nelson Mandela est maintenu en vie artificiellement.
Mac Maharaj et Jacob Zuma, aidé en cela par quelques fidèles, ne change pas de stratégie. Graça Machel, l’épouse de Nelson Mandela, se tait, discrète, diplomate, ne voulant pas entrer dans la mêlée, digne. Puis, Mandla Mandela, le petit-fils, crée le scandale en enlevant les dépouilles des trois enfants de Nelson Mandela enterrés à Qunu pour les transférer dans sa propriété de Mvezo, berceau de Madiba. L’affaire va devant les tribunaux, la famille se déchire et, peu avant le 95e anniversaire, Mandla Mandela est condamné à ramener les dépouilles enlevées du cimetière familial situé à Qunu. L’enjeu est de taille. Mandla prétend être le chef traditionnel du clan, ce que les autres membres de la famille contestent. Et, à ce titre, les sépultures des Mandela, prétend-il, sous-entendant y compris celle de Nelson Mandela, doivent se trouver à Mvezo. Mais à Mvezo, il y a aussi un énorme projet hôtelier auquel Mandla est intéressé. Et y enterrer les trois enfants de Mandela lui aurait donné une légitimité à forte valeur ajoutée avec la tombe de son grand-père. L’affaire n’est pas pour autant terminée. Au cœur d’une telle empoignade, que faire du cercueil de Nelson Mandela ? Un tel cas de figure est simplement inenvisageable.
De son côté, Makaziwe Mandela, l’aînée des enfants Mandela et rivale de Mandela, essaie de destituer légalement les gestionnaires de la fortune familiale désignés par son père. La famille Mandela compte plus de 200 entreprises dans tous les secteurs. Le conflit éclate, et, alors que celui que le monde entier admire, vit ses derniers instants, la famille Mandela lave son linge sale en publique, avec en toile de fond des histoires de gros sous et d’héritage La honte s’abat sur le pays et sur tous ceux qui croient encore en lui. Là encore, il faut laisser du temps au temps…
Le 26 juin, alors que Nelson Mandela ne peut plus respirer sans assistance, un document judiciaire daté du même jour est rendu publique par une agence de presse internationale, affirmant que « Nelson Mandela est dans un état végétatif permanent et ne survit que grâce à l’assistance respiratoire ». Ce document a été présenté aux juges dans l’affaire des sépultures qui déchire la famille Mandela et jugée en urgence absolue, car du jugement dépend aussi le lieu de la sépulture de Madiba. « L’état de santé de l’ancien président a empiré et les médecins ont conseillé à la famille de débrancher la machine qui le maintient artificiellement en vie. Plutôt que de prolonger ses souffrances, la famille envisage cette option comme étant très probable ».
Certes, ce document n’est pas un rapport médical, mais présenté à la justice, on peut penser sans trop de doutes qu’il a été avalisé par le corps médical qui entoure Nelson Mandela. Pourtant, Jacob Zuma, alors en voyage au Mozambique, revient immédiatement, pour déclarer, dès le lendemain, que l’ex-président « va beaucoup mieux ». « Critique mais stable », on s’en tient à la formule consacrée. Plus question de déclarations alarmantes, comme celles de Makaziwe Mandela qui déclarait que « tout peut arriver d’un instant à l’autre », ou la mise sous respiration artificielle confirmée par un chef traditionnel venu à son chevet. Nelson Mandela sera donc maintenu en vie.
Quelques jours avant le 95e anniversaire, Jacob Zuma lance une nouvelle formule : « Nelson Mandela réagit au traitement ». Graça Machel Mandela sort de sa réserve et confirme, depuis le Centre pour la mémoire Nelson Mandela de Johannesburg où elle est venue, le 12 juillet, accomplir la formalité pour l’obtention d’une nouvelle carte d’identité biométrique lancée ces jours-ci en Afrique du Sud. Selon elle, Nelson Mandela « aurait toutes ses chances de participer à ce processus ». (En fait, c’est Zindzi Mandela qui reçoit la carte au nom de son père, le 18 juillet). De son côté, la même Zindzi Mandela, déclare après une visite à l’hôpital, à la veille du 95e anniversaire, qu’« il fait des progrès spectaculaires et pourrait rentrer chez lui très bientôt ». Selon elle, Nelson Mandela aurait souri et levé la main, utilisant ses yeux et ses mains pour répondre à ses proches. Il regarderait même la télévision avec des écouteurs sur les oreilles, a-t-elle déclaré à la chaîne britannique Sky TV. Un miracle auquel on voudrait croire, mais une information pour le moins étonnante. La première raison étant que Nelson Mandela est pratiquement non-voyant depuis plusieurs années déjà.
On se souviendra des images pathétiques diffusées dans tous les médias du monde en avril 2013, (et encore sur internet) d’un Nelson Mandela complètement absent, entouré de Jacob Zuma accompagné de membres du gouvernement, un Jacob Zuma lui prenant la main et jouant une comédie indécente et choquante, puis déclarant l’avoir trouvé « en bonne forme et avec un bon moral », prétendant même avoir eu avec lui « une conversation ». Ce furent les dernières images publiques du Grand Homme, des images emplies d’une tristesse indicible.
Depuis la fin juin, en Afrique du Sud, la rumeur a pris force. Nelson Mandela doit absolument rester en vie jusqu’à son 95e anniversaire, pour lequel festivités et cérémonies politiques étaient prévues de longue date. Aussi cynique et douloureux que cela puisse être, ce 95e anniversaire qui correspond au centenaire de l’ANC et au 50e anniversaire du célèbre procès de Rivonia, représente, un enjeu particulièrement important pour l’ANC et Jacob Zuma, à moins d’un an des élections générales, alors qu’il est régulièrement « lâché » par des historiques de l’ANC, comme Rony Kasril dernièrement, et pour les héritiers de Nelson Mandela, pour des raisons purement financières et moins avouables.
Également décrétée « Journée Mandela » depuis 2009 par l’Assemblée générale de l’ONU, en hommage aux 67 années que le premier président de la république sud-africaine post-apartheid a consacré à la lutte de libération, cette journée symbolique à double titre avait aussi une dimension internationale avec hommages et messages, comme celui de Barack Obama qui n’avait pas pu rencontrer Nelson Mandela lors de sa visite en juin dernier.
La surenchère autour de la personne de Nelson Mandela était au rendez-vous en Afrique du Sud, ce 18 juillet, et c’est dans le ressentiment et le malaise que s’est déroulée cette journée, pour les uns, dans la foi dans le « miracle » pour les autres, et, pour d’autres encore, nombreux, avec le sentiment que notre héros à tous avait été pris en otage pour l’occasion. Le bon côté de cette triste histoire est que le sursis accordé à Nelson Mandela laissera le temps à tous les protagonistes de cette mauvaise pièce de théâtre de régler leurs conflits et de permettre qu’il lui soit enfin rendu hommage dignement et universellement, l’hommage que nous lui devons tous.