Maintenant qu’il est mort, Navalny a le droit de reposer en paix. Mais il aura mené une vie très agitée, qui n’aura laissé personne indifférent, en Occident surtout. Alors que son cadavre était encore tiède, on a vu l’ensemble des médias et des dirigeants politiques occidentaux se lamenter et déplorer les larmes aux yeux la mort du « martyr de la liberté tué par Poutine » tandis que sa veuve visiblement très contente d’elle lisait un discours qui semblait préparé d’avance à la Conférence sur la sécurité de Munich.
Par Guy Mettan
Trois jours plus tard, elle rencontrait l’officialité européenne à Bruxelles, qui la recevait toutes affaires cessantes et ne semblait pas avoir d’autre urgence que de l’écouter. Les paysans européens appauvris par les hausses de taxes et des réglementations kafkaïennes apprécieront.
Cette belle unanimité et ces hommages auraient été beaucoup plus crédibles s’ils avaient été moins partiaux et s’ils n’avaient pas caché les troublantes zones d’ombre du personnage Nalvalny. Ainsi, le 12 janvier dernier, lorsque le « Navalny ukrainien », le journaliste chiléno-américain Gonzalo Lira, est décédé dans une prison ukrainienne où il avait été incarcéré illégalement par le SBU pour avoir dénoncé les mensonges et la corruption du régime de Zelensky, aucun média et aucun dirigeant occidental n’a jugé bon de déplorer la mort sous la torture de cet homme qui était pourtant un authentique martyr de la liberté.
De même, alors que Julian Assange attend depuis des années le verdict d’extradition d’un tribunal britannique qui l’a condamné dans une prison de haute sécurité dans des conditions de détention bien pires que celles de Navalny et sous un prétexte ridicule (le non respect d’un permis de séjour), les médias, les dirigeants européens et Mme Navalnaya, pourtant érigée en héroïne de la cause des prisonniers d’opinion, ne trouvent rien à redire.
Curieux, non?
De même, pourquoi aucun média et aucun chef d’Etat occidental n’a-t-il jugé bon de rappeler que Navalny avait été condamné pour fraudes et malversations dans au moins trois affaires de détournement de fonds (dont l’affaire Yves Rocher et une entreprise d’exploitation de bois de Kirov), qu’il était un ultranationaliste et un raciste avéré après avoir décrété qu’il fallait exterminer les immigrés comme des cafards (des propos qui lui ont valu une mise à ban par Amnesty International et qui auraient été jugés d’office pour incitation à la haine partout en Europe), qu’il soutenait la rébellion du Donbass et le rattachement de la Crimée à la Russie, que son prétendu empoisonnement a fait l’objet de trois explications différentes et contradictoires de la part de ses amis (qui ont d’abord prétendu qu’il avait été empoisonné par un thé à l’aéroport, puis par des agents du FSB qui auraient trafiqué sa bouteille d’eau minérale dans sa chambre d’hôtel, puis par son slip!), qu’il avait été formé aux techniques de renversement de régime aux Etats-Unis lors de son stage dans le programme Yale World Fellows en 2009, que le film réalisé en 2020 sur le « palais de Poutine » était un faux grossier monté dans un laboratoire vidéo virtuelle de la Forêt-Noire avec des capitaux américains, que son emprisonnement récent et ses nouvelles condamnations étaient dues au fait qu’il avait refusé de se soumettre aux contrôles de rigueur alors qu’il était en réalité en résidence surveillée et libre de ses mouvements, que selon les derniers sondages indépendants son score électoral ne dépassait pas 2% des intentions de vote aux élections présidentielles ?
Tous ces faits sont aisément vérifiables sur des vidéos authentiques qui circulent sur la toile mais ont l’inconvénient d’être en russe. C’est ainsi que ceux et celles qui préfèrent le mensonge à la vérité s’estiment dispensés d’aller chercher le vrai Navalny au-delà de la propagande officielle.
Comme avec l’affaire de l’avion malaisien MH-17 abattu en Ukraine en juillet 2014, avec l’empoisonnement supposé du père et de la fille Skripal aux Royaume-Uni en 2018, avec le Russiagate aux Etats-Unis entre 2017 et 2020, le feuilleton Navalny est appelé à durer. On n’abandonne pas une si bel os aussi facilement. Mais il y a fort à parier que cette affaire, comme toutes les autres, finira par se dégonfler dans quelques années, après avoir été exploitée jusqu’à plus soif.
Quel média a relevé que, à la fin janvier, la Cour International de Justice, la plus haute juridiction mondiale, avait débouté l’Ukraine de toutes ses prétentions concernant l’implication de la Russie dans la catastrophe du MH-17, constatant que rien ne permettait d’incriminer ce pays? Or les médias et les gouvernements avaient accusé la Russie de tous les maux pendant des mois, justifiant le premier train de sanctions, le boycott et la mise du pays au ban des nations. Idem pour l’affaire Skripal et le Russiagate, qui n’ont débouché sur absolument rien de concret malgré d’innombrables pseudo-enquêtes à charge et un matraquage médiatique inouï.
Nul doute que le cas Navalny se terminera de la même façon, sur le modèle de l’ex-président autoproclamé vénézuélien Juan Guaido, présenté en 2019 comme le vaillant défenseur de la démocratie face à l’autocrate Maduro, et qui fut aussitôt abandonné à son sort après avoir échoué dans sa mission de le renverser.
Guy Mettan, journaliste indépendant
Arrêt sur info, le 24 février 2024