Il n’aura pas fallu beaucoup plus de 24 h. pour que des dirigeants israéliens accusent l’actrice Natalie Portman, née à Jérusalem, parlant hébreu et qui dans le passé avait à de nombreuses reprises affiché ses convictions sionistes, de la variété “libérale” 1 … d’antisémitisme.
Il a suffi pour cela que celle dont la “Genesis Prize Foundation” 2 disait en novembre dernier qu’elle «illustre les caractéristiques fondamentales du caractère et des valeurs du peuple juif. Sans aucun doute, elle est un modèle pour des millions de jeunes juifs dans le monde» renonce à recevoir le “Nobel juif” que cette fondation lui attribuait afin de ne pas paraître cautionner la politique du gouvernement Netanyahou par sa présence à une cérémonie où le Premier Ministre israélien devait prendre la parole.
Comme de bien entendu, la Ministre de la Culture Miri Regev a été la plus rapide. Et le député Oren Hazan avait compensé le fait de n’être qu’un “second couteau” de la politique israélienne en tenant les propos les plus extrêmes, puisqu’il a réclamé que Natalie Portman soit déchue de la citoyenneté israélienne.
Le Ministre de l’énergie Yuval Steinitz a quant à lui affirmé dimanche, dans une interview à la radio publique israélienne, que Natalie Portman “s’est rangée aux côtés des pires de [nos] ennemis et des pires des antisémites au Moyen-Orient”. Selon lui, “Portman a fait une grave erreur et doit des excuses à Israël”, car “boycotter une cérémonie parce que le Premier ministre y participe c’est en pratique boycotter Israël”, lit-on dans Haaretz.
Le ministre de la Sécurité intérieure et des Affaires stratégiques, Gilad Erdan, a quant à lui écrit une lettre à Natalie Portman dans laquelle il fait référence aux films de “La guerre des étoiles” dans lesquels elle était apparue. «Anakin Skywalker, un personnage de Star Wars que vous connaissez bien, a subi un processus similaire. Il a commencé à croire que les Chevaliers Jedi étaient mauvais, et que les forces du Côté Obscur étaient les protecteurs de la démocratie»,écrit Erdan. «Je vous demande de ne pas laisser le Côté Obscur gagner».
Pendant qu’il rédigeait cette lettre, des soldats israéliens commettaient un nouveau massacre de civils désarmés à Gaza, parmi lesquels le jeune Mohammed Ayoub, 15 ans, exécuté de sang froid et sans aucun motif – mais il serait évidemment antisémite de les assimiler si peu que ce soit au Côté Obscur…
Un pas dans la bonne direction… mais juste un pas
Pourtant, fait observer Gideon Levy dans une analyse publiée par Haaretz, si l’attitude de Natalie Portman tranche singulièrement par rapport à celle des artistes israéliens “de gauche”, qui – dit-il – “ont peur de leur propre ombre”, il y manque l’essentiel.
Certes, explique-t-il, l’actrice fait preuve de courage face à l’establishment de Hollywood – “juif, sioniste et impitoyable, ni qui ne va ni pardonner Portman ni oublier” – et si on ne peut que l’approuver quand elle affirme ne plus vouloir cautionner (comme elle le fit dans le passé) la “violence, la corruption, les inégalités et les abus de pouvoir” qui ont cours en Israël, on cherche en vain dans la déclaration qu’elle a publiée la moindre référence à l’occupation des territoires palestiniens.
Pour Gideon Levy, «la protestation de Portman n’est pas non plus envoyée à la bonne adresse. C’est auto-protecteur de blâmer Netanyahou pour tout. Comme la plupart des Juifs libéraux 3 (et Israéliens), Portman considère Netanyahou comme la racine de tous les maux. Et qu’en est-il de ses prédécesseurs, ceux qui ont semé la zizanie et la mort à Gaza et au Liban, qui ont imposé un blocus cruel à Gaza, qui ont renforcé l’occupation en Cisjordanie et triplé le nombre de colons – elle leur serre la main, et pas à Netanyahou ?»
«Le pouvoir médiatique de [Natalie] Portman est énorme. Vendredi matin, sa déclaration sur Instagram avait déjà récolté 100.000 ‘likes’. Les Juifs ont poussé un soupir de soulagement, comme beaucoup d’Israéliens. Portman est contre BDS et contre Netanyahu à la fois, mais elle continue de célébrer “la nourriture israélienne, les livres, l’art, le cinéma et la danse”», poursuit Gideon Levy.
«Avec tout le respect que je vous dois, Mme Portman, la nourriture, la danse et le cinéma israéliens sont aussi plus ou moins entachés par l’occupation. Nous sommes tous à blâmer pour cela. La manière d’y mettre un terme, qui est la condition première et essentielle pour faire d’Israël un pays plus juste, passe par des démarches courageuses comme celle que vous avez faite, mais faut viser le cœur de l’enfer et non seulement à ses bords; le foyer du cancer et pas seulement ses métastases. Il faut passer à des actes concrets, comme ceux que demande le mouvement BDS. C’est le seul moyen de sortir Israël de son autosatisfaction. Je vous remercie humblement de votre courage, madame Portman. Vous allez dans la bonne direction; et sans impulsion venant de gens comme vous, rien ici ne changera. Mais ce n’est qu’un début».
Notes
1- En donnant au mot le sens qu’il a aux États-Unis, et que l’expression “de gauche” rend vraiment très imparfaitement – NDLR
2- La Genesis Prize Foundation décerne annuellement un prix qui «honore les individus qui servent d’inspiration à la prochaine génération de juifs grâce à leurs réalisations professionnelles exceptionnelles et à leur engagement envers les valeurs juives et le peuple juif». Cette fondation affirme maintenant qu’elle craint “que la décision de Mme Portman ne politise [son] initiative philanthropique, quelque chose que nous avons travaillé dur ces cinq dernières années pour éviter”. En réalité, la fondation du “Prix Genesis”, qui a été créée par Mikhail Fridman et d’autres riches hommes d’affaires russo-juifs, fonctionne en partenariat avec le cabinet du Premier ministre israélien et l’Agence juive pour Israël. Nier qu’elle ait un caractère politique est donc absurde : elle promeut “le caractère juif de l’État” et est un important outil de propagande (Hasbara) sioniste. – NDLR
3- Voir note 1 sur le sens à donner à ce mot – NDLR
Source : Pour la Palestine.be
https://www.pourlapalestine.be/natalie-portman-a-touche-un-nerf-sensible/