C’est un film comme on en redemande : original, drôle, émouvant, merveilleusement écrit et exquisément joué, au terme duquel on se sent bien et… affamé ! Une histoire savoureuse d’amour et de cuisine dans l’Inde du xxie siècle, à la fois nostalgique et pleine d’enchantement, qui excite autant les papilles que les sentiments. Tout commence par une erreur d’aiguillage : Ila (Nimrat Kaur), femme au foyer délaissée par son mari, tente de le reconquérir en préparant avec amour la boîte-repas (lunchbox) qui doit lui être livrée à son bureau. Ce service, unique et fameux à Mumbai, est fourni par les dabbawallas (dabba = lunchbox en hindi) depuis plus d’un siècle et concerne aujourd’hui près de 200 000 repas dans toute la mégalopole. Un système tellement efficace que l’université de Havard l’a étudié de près et évalué à 1 sur 4 millions le risque d’erreur de livraison !
Cette erreur improbable, c’est Ila qui va en faire les frais : sa lunchbox atterrit sur le bureau d’un employé terne et ronchon, Saajan (Irrfan Khan), à deux doigts de prendre sa retraite, à qui l’on confie la formation de Shaikh (Nawazudin Siddiqui), jeune homme gai et pot de colle que Saajan néglige. Ila, dont le mari est plus lointain que jamais – on le comprend : il a hérité de la lunchbox de chou bouilli de Saajan préparée par une chaîne industrielle ! –, finit par comprendre la bévue. Ironique, elle met un petit mot au préretraité grincheux au lieu du festin attendu : « C’était bon ? » S’ensuivra un échange de petits mots écrits à la main par lunchbox interposée, moyen inédit et désuet de converser, où chacun apprendra à distance à se connaître, se confier, rêver, s’aimer…
Il faut voir les acteurs, excellents, se transformer par petites touches, de plus en plus heureux à mesure qu’Ila met un peu de son cœur sur la page blanche et prépare des repas auxquels aucun spectateur normalement constitué ne peut résister – le pouvoir suggestif de l’image ! – et que Saajan les déguste, reprend goût aux autres – notamment à Shaikh, finalement attachant –, et partage ses émois.
Peu de dialogues dans le premier long métrage de Ritesh Batra, présenté au Festival de Cannes à la Semaine de la critique en mai dernier et lauréat du festival Extravagant India ! (Voir encadré.) Qui parle aussi de la ville tentaculaire harassante, de la course en avant, du repli sur soi et de la solitude, mais aussi de la solidarité et l’amour des proches – et des moins proches –, des petits bonheurs et des joies inestimables de l’existence. Beaucoup d’humour aussi, en particulier avec la voisine d’Ila dont n’entend que la voix, et des mots échangés presque trop littéraires – mais on y croit quand même. Ce cinéma-là, qui trouve sa place aux côtés des grosses productions indiennes, on aimerait le voir plus souvent.
The Lunchbox, scénario et réalisation, Ritesh Batra, Inde, 2013, 104 min.