En quinze mois d’exercice à la tête du gouvernement, le premier ministre Abdelmalek Sellal aura pratiquement fait le tour des départements. Sur place, il a assuré le suivi de la dernière tranche du plan de redressement et de relance de l’économie lancé par le président Abdelaziz Bouteflika il y a près de quinze ans. Infatigable routard de la politique, on ne compte plus ses tournées d’inspection à travers le pays. Il est sur tous les chantiers à la fois : ici pour tancer les concepteurs maladroits ou malheureux d’une cité-dortoir, là pour exiger le respect des délais de réalisation d’un projet dont l’achèvement traîne en longueur, plus loin encore pour présider au lancement d’un projet industriel, agricole, social ou éducatif.
Sa longue expérience de la gestion locale en qualité de préfet et sa touche rassurante, tout en finesse, appellent à l’apaisement lorsque des conflits pointent le bout du nez. Il a donné à plusieurs reprises les preuves de ses talents de conciliateur en éteignant des incendies naissants, notamment au sud du pays, lorsqu’il s’est agi de calmer les ardeurs d’un comité de chômeurs impatients.
Appelé à deux reprises par le président Abdelaziz Bouteflika pour superviser ses campagnes présidentielles en 2004 et en 2009, il a fait montre de grands talents d’organisateur et d’inspirateur des équipes à l’œuvre sur le terrain. À la tête du ministère des Ressources hydrauliques, un portefeuille stratégique, il a su mobiliser les énergies pour mettre fin aux pénuries chroniques en eau potable qui affectaient les grands centres urbains – en particulier la capitale, Alger. Depuis, l’eau coule dans les robinets « H24 », selon l’expression en usage en Algérie. À son palmarès aussi, la construction ou la réhabilitation de plusieurs dizaines de barrages qui assurent l’irrigation de l’agriculture, aujourd’hui en pleine renaissance. Sa méthode de travail n’a pas varié : occuper le terrain, dialoguer avec les techniciens, ingénieurs, responsables, et veiller au grain pour faire avancer les choses.
Sans être un spécialiste de la communication, Abdelamalek Sellal maîtrise bien l’art de communiquer dans une langue simple, accessible, à la portée de tous ses interlocuteurs qu’il va chercher dans « l’Algérie profonde », là où doit parvenir le message du gouvernement pour être le plus efficace. Face à la tragédie de l’attaque terroriste du site gazier d’In Amenas par une bande armée venue de Libye, il s’en est très bien sorti pour expliquer le plus sereinement possible, aux partenaires étrangers inquiets, les circonstances et les raisons impérieuses qui avaient motivé la fulgurante contre-attaque de l’armée pour reprendre le site. Une dure épreuve qu’il a vécue en première ligne et qui a révélé ses qualités de courage et de sang-froid face à l’adversité.
Dans ses tournées, Abdelmalek Sellal se passe volontiers du jargon technique usité dans les antres de la bureaucratie pour aller droit au but. Ainsi, atterré en découvrant un ensemble de logements hideux érigé sur un site paradisiaque face à la mer, qu’on lui présentait comme un « pôle urbain » à inaugurer, il n’a pas hésité à doucher ses concepteurs. Il a dénoncé leur manque d’imagination criant et leur a exprimé publiquement sa déception devant des édiles confus, qui ne s’attendaient sans doute pas à une telle sortie : « C’est quoi çà ? C’est quoi cette couleur ? ! Regardez un peu cette belle façade maritime ! Faites-moi quelque chose de très beau, ici ! Cassez-vous donc un peu la tête, voyons ! Prévoyez aussi des cafés, des terrasses et tout ce qui cadre avec cette belle façade maritime », les a-t-il apostrophés en leur ordonnant de revoir leur copie de fond en comble.
Abdelmalek Sellal a en effet horreur de ces cités-dortoirs déshumanisées qui ont poussé comme des champignons tout au long des dernières décennies, enserrant les principales villes dans un cordon de laideur. L’urgence de loger une population en croissance rapide explique en partie ces choix urbains et architecturaux, mais pas seulement. Il faut compter aussi avec la facilité prise par les promoteurs publics et privés et le manque de suivi des projets par les contrôleurs bureaucrates souvent mis devant le fait accompli. Le premier ministre veut rapidement remédier à cet état de choses. Il le répète sans se lasser, avec une pointe d’agacement parfois : un ensemble d’habitations n’est pas seulement un lieu où l’on dort, c’est aussi un lieu de vie, qui doit être relié aux villes les plus proches par un réseau de transport, abriter des commerces, écoles, centres culturels et espaces de convivialité, le tout agrémenté d’espaces verts. Urbanistes, architectes, responsables locaux et autres acteurs de ces vastes projets, rappelés à l’ordre, ont fini par capter le message.
Allant à l’encontre des prophéties auto-réalisatrices qui continuent de bercer certains cercles des adversaires du pouvoir, Abdelmalek Sellal n’a cessé de proclamer haut et fort : « [il] n’y aura pas de printemps arabe en Algérie. » « Nous y travaillons – pour en prémunir le pays – et nous sommes sur la bonne voie », martèle-t-il. Cette « exception algérienne » qui intrigue les observateurs étrangers, il s’emploie à la protéger en élevant un bouclier solide : « Bannir la rancœur, l’exclusion, le favoritisme et la corruption. » Autant d’objectifs fixés par le chef de l’État dans le programme qu’il a présenté devant les électeurs, et que le premier ministre entend concrétiser.
Le cap ainsi défini, il admet qu’il faut du temps pour l’atteindre, de même que beaucoup de vigilance aux frontières. Une véritable « veille sécuritaire » a été établie pour écarter les effets de contagion et un éventuel basculement de moins en moins probable. On l’a bien vu lorsque la Tunisie a été confrontée pour la première fois de son histoire au terrorisme sur le mont Chaambi, à proximité de la frontière algérienne. « L’Algérie n’a de leçon à recevoir de personne », entonne-t-il, en mettant une distance avec les « conseillers » tentés de frapper à la porte. Au détour d’une phrase, il rappelle que l’Algérie a acquis ces dernières années les moyens de se défendre : « Nous disposons d’une défense d’enfer. » Et d’assurer, si elle le décide, un leadership régional dans un monde devenu de plus en plus dangereux et où l’interventionnisme militaire est devenu la règle. Mais, malgré les appels de plusieurs grands partenaires internationaux pour lui faire endosser un rôle de puissance régionale pivot, « l’Algérie, qui est à l’abri de toutes les turbulences et jouit de grande stabilité, ne recherche pas de leadership. Elle maintient le cap et n’aspire qu’à l’apaisement et non à l’embrasement » dans sa zone géographique comme dans le reste du monde, ajoute-t-il.
En fait, la principale tâche que s’est assignée le premier ministre est le développement économique et social du pays. « La préoccupation majeure du gouvernement est la construction d’une économie solide et diversifiée hors hydrocarbures. » Tel est son programme. Il sait que l’Algérie en a les moyens, avec une réserve de 200 milliards de dollars et pratiquement aucune dette. Mais, réaliste, il ne cesse de mettre en garde contre l’euphorie factice célébrant une « embellie financière » que certains acteurs n’évoquent que pour mieux en dilapider les revenus en importations de produits de consommation. Elle risque de s’évanouir dans la nature si les autorités n’y prennent garde et ne s’empressent de la traduire en projets industriels et agricoles, en réalisations sociales et culturelles au service des populations. « Nous ne parlons pas d’embellie financière. Non ! Il nous faut être vigilants et penser aux générations futures. Car il ne faut jamais oublier par où nous sommes passés. Nous, nous n’oublierons jamais les années 1990, lorsque l’Algérie n’avait même pas de quoi importer un bateau de blé », a-t-il ainsi répliqué à un interlocuteur qui y faisait allusion.
La croissance de l’économie était précisément l’objet de la réunion tripartie tenue mi-octobre entre l’État, les associations patronales et le syndicat des travailleurs. Centrée sur l’élaboration d’une stratégie pour une nouvelle croissance, elle précède de quelques semaines une autre tripartite avec les mêmes acteurs, qui sera axée sur le social. La feuille de route en a été fixée par Abdelmalek Sellal : « Nous allons élaborer une stratégie pour développer davantage l’économie nationale, qui doit être fondée sur la création d’unités industrielles nationales publiques, privées ou mixtes, et la concurrence. » L’UGTA, la puissante centrale syndicale, est sur la même longueur d’onde. « Il est nécessaire de promouvoir la production nationale pour réduire la dépendance de l’économie des hydrocarbures et mettre en place une offre abondante qui se substituera à l’importation », convient son secrétaire général Sidi Saïd. Celui-ci plaide par ailleurs pour la protection du marché national face à l’offensive des entreprises étrangères. Une offensive d’autant plus agressive qu’elles sont à la recherche de débouchés à l’extérieur pour surmonter la crise sur leur propre marché.
Ces assises se sont conclues le 10 octobre par la mise en place de cinq groupes de travail mixtes. Le premier groupe est chargé d’élaborer un pacte économique et social de croissance, le deuxième a pour mission de proposer les modalités de contribution du Fonds national de l’investissement (FNI) au financement de l’investissement national public et privé, le troisième est chargé de proposer des mesures destinées à encourager la production nationale et le crédit à la consommation pour les produits locaux, le quatrième s’occupera de l’encadrement des actes de gestion, et le dernier a pour mission d’élaborer les modalités facilitant l’intervention des entreprises nationales du BTPH dans la réalisation du programme national d’équipement. Les cinq groupes de travail doivent rendre leurs rapports dans un délai de trois mois.
Mais si les partenaires sociaux ont été appelés à évaluer les points forts et les handicaps de l’économie dans l’étape qui s’ouvre, les autorités, assumant leur rôle de stratège face à un patronat indécis, frileux et divisé, ont déjà avancé plusieurs dispositions dans la loi de finances 2014. Elles vont dans le sens de la promotion de l’investissement productif et de la consolidation des acquis de près de quinze ans de relance économique, marqués par la remise en état et l’extension des infrastructures de bases (routes, autoroutes, rails et infrastructures portuaires). Ces infrastructures ont déjà accru l’attractivité de la « destination Algérie » aux yeux des investisseurs étrangers, dont le pays attend essentiellement le transfert des savoir-faire et de la technologie.
Il y a quinze mois, en présentant au Parlement un plan d’action inspiré des orientations du chef de l’État, Abdelmalek Sellal s’est engagé sur plusieurs fronts : promouvoir les investissements, améliorer la gouvernance des entreprises publiques, assainir le climat des affaires, accentuer la lutte contre le chômage, notamment celui des jeunes diplômés, instaurer un dialogue continu avec les partenaires sociaux et mettre en place des canaux permanents d’échange entre les pouvoirs publics et les citoyens. Il est en train d’accomplir son parcours avec la ténacité et le souffle d’un coureur de fond. Personne ne doute qu’il remplira le contrat.