Le président du Zimbabwe est intervenu à la tribune de la 68e Assemblée générale de l’Onu, lançant une attaque virulente contre les États-Unis et la Grande-Bretagne. « Honte, honte, honte aux États-Unis. Honte, honte, honte à la Grande-Bretagne et ses alliés », s’est-il exclamé en accusant les deux pays d’avoir « faim de domination », proclamant que le Zimbabwe ne redeviendrait pas une colonie. Il a, bien sûr, violemment condamné les sanctions imposées à son pays et demandé leur levée. La délégation américaine a quitté la salle.
En réalité, ces sanctions ne s’appliquent pas au pays, mais à des personnalités. Elles concernent l’interdiction de séjour en Europe, en Grande-Bretagne et aux États-Unis pour Mugabe et ses proches – ce qui n’a pas empêché le président presque nonagénaire de se rendre au Vatican en 2005 et en 2011, et à l’Onu, à New York –, ainsi que le gel de leurs avoirs à l’étranger. Par ailleurs, des entreprises américaines et britanniques sont installées au Zimbabwe depuis toujours et il n’a jamais été question qu’elles partent. Même si, aujourd’hui, elles font l’objet de la politique dite d’« indigénisation » décrétée par Mugabe qui les oblige à céder 51 % de leurs actions à des Zimbabwéens. Quoi qu’il en soit, ce sont les compagnies minières sud-africaines et chinoises qui sont en tête dans le boom minier que connaît le Zimbabwe aujourd’hui.
En réalité, les sanctions sont déjà en grande partie levées. L’Union européenne en a suspendu l’essentiel après le referendum constitutionnel du 16 mars dernier pour quatre-vingt-un proches du président et dix entreprises appartenant à son entourage direct. En revanche, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont décidé de ne pas faire de même. Ils ont considéré que les élections du 31 juillet remportées par le président, 89 ans, et son parti, la Zanu-PF, au pouvoir depuis trente-trois ans avaient été marquées par des fraudes et certaines formes de répression de l’opposition. Fin septembre, l’embargo sur les diamants, dont le parti de Mugabe, propriétaire de certaines mines, tire des bénéfices consistants, a été levé par l’Europe, sur l’insistance de la Belgique, premier producteur de pierres taillées au monde, dans un contexte où la demande explose dans le monde, particulièrement en Chine.
Il semble clair aujourd’hui que, sanctions ou pas, la situation au Zimbabwe n’est pas réjouissante. Mal conduite, la réforme agraire mise en place par Mugabe, aggravée par les aléas climatiques et les mauvaises récoltes, est à nouveau en train de provoquer une famine. Selon le Programme alimentaire mondial (Pam – Onu), elle pourrait toucher 2,2 millions de personnes dans dix provinces dans les prochains mois. Le Zimbabwe vient d’importer en urgence du maïs de Zambie destiné aux populations du sud du pays qui souffrent particulièrement de la faim. Les réserves stratégiques du Grain Marketing Board, structure para étatique chargée de l’approvisionnement et de la gestion des réserves de céréales, sont au plus bas, de nombreux silos sont vides. Selon le ministre de l’Agriculture, Joseph Made, les 3 400 tonnes de grain que le gouvernement a acheté à la Zambie au début de l’année n’étaient pas suffisantes. Depuis le début des années 2000, le Zimbabwe, qui fut autrefois un grenier à grain de l’Afrique australe, a connu plusieurs périodes de famines, dont celle de 2003 particulièrement dévastatrice.
Après les années de croissance relativement élevée qui ont suivi l’indépendance, l’économie zimbabwéenne a traversé au début de la décennie 2000 une phase d’autant plus critique que le gouvernement avait suivi les conseils prodigués par le Fonds monétaire international (FMI) d’ouvrir les marchés. Les industries nationales – dont la production était la deuxième en importance d’Afrique australe – étaient ainsi exposées à la concurrence internationale, une mesure prématurée pour une industrie ayant longtemps prospéré en régime de quasi-autarcie sous la domination blanche. Qui plus est, le Zimbabwe avait été encouragé à vendre ses réserves de céréales aux pays de la région en proie à la sécheresse, pour se retrouver à son tour frappé par le même fléau l’année suivante. Le mécontentement populaire grandit. Par ailleurs, en 2000, un conflit avec le FMI entraîna la suspension de ses prêts pour cause de non-respect des engagements, de corruption majeure et de financement secret de la guerre en République démocratique du Congo.
Le Zimbabwe est dès lors entré en pleine crise économique, avec un chômage très élevé, 60 % d’inflation – qui dépassera 1 000 % en 2006 –, un quart de la population touchée par le virus du sida. Le pouvoir de la Zanu-PF proposa alors une réforme de la Constitution prévoyant, entre autres, de permettre au gouvernement de saisir la terre exploitée par les fermiers blancs, sans compensations – ce que le texte en vigueur depuis l’indépendance interdisait explicitement. La redistribution des terres avait progressé lentement, bien qu’elle fût une promesse électorale de Mugabe. Mais elle était trop dépendante des financements de l’ancienne puissance coloniale. En 1996, 4 500 fermiers blancs possédaient encore environ 30 % des terres les plus riches du pays, contre 47 % en 1980. Ils cultivaient le blé, l’arachide et le tabac e avaient un chiffre d’affaires représentant plus de 50 % du PIB.
Le projet de Constitution aurait dû susciter l’enthousiasme populaire. Mais soumis au référendum, il fut rejeté par les électeurs. En dépit de son caractère anticonstitutionnel, et afin de reconquérir sa base électorale quelque peu désabusée, Mugabe lança en 2000 la campagne pour l’occupation des fermes, s’appuyant notamment sur les « vétérans » de la guerre de libération. Avec les conséquences que l’on sait sur le plan international – y compris une condamnation par le tribunal de la Communauté de développement d’Afrique austral (SADC) en 2007.
Quelques mois plus tard, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC, opposition), fondé en 1999, frôlait la victoire aux élections en remportant la majorité des circonscriptions urbaines. Suivirent des années chaotiques d’expropriations de terres sans aucun encadrement légal, au profit, pour les meilleures d’entre elles, de la nomenklatura. La baisse de la production fut immédiate et le pays connut sa première grave crise humanitaire post-indépendance.
Les élections de 2005, remportées plus nettement par la Zanu-PF, auraient pu être l’occasion d’un apaisement. Mais, craignant la réaction de la rue face à la défaite inespérée de l’opposition qui accusait le pouvoir de fraude, le gouvernement accrut la répression et lança le Murambatsvina (Restore order), un programme de démolition des bidonvilles de la banlieue de Harare, fiefs de l’opposition, qui priva quelque 750 000 personnes d’un abri, selon l’Onu.
Trois millions de Zimbabwéens ont depuis quitté le pays, dont deux millions environ (il s’agit d’une population très fluctuante qui a pu, à certains moments atteindre cinq millions), vivent aujourd’hui en Afrique du Sud. Beaucoup sont en situation irrégulière et subsistent dans des conditions au-delà du précaire.
Les sanctions auraient coûté au pays 42 milliards de dollars depuis 2000, selon les « analystes » de la Zanu-PF, un chiffre contesté. Quoi qu’il en soit, Robert Mugabe utilise au mieux l’argument des sanctions pour masquer ses échecs et, surtout, pour se garantir le soutien de l’opinion africaine, sensible à l’argumentaire anti-impérialiste. C’est l’image du héros de la guerre de libération qu’il continue d’exploiter avec brio. Après son coup de maître électoral de juillet dernier, il est finalement ressorti plus fort que jamais de l’élection présidentielle, réussissant du même coup à affaiblir l’opposition du MDC, proche de l’explosion et toujours victime de la répression. Quant aux diplomates occidentaux parqués loin de la scène du National Sports Stadium le jour de l’investiture du président, ils auront eu tout le temps de méditer sur les messages des affiches de la Zanu-PF omniprésentes autour du stade : « La SADC, la Comesa, l’UA (1) sont venues, ont vu et confirmé. C’est tout ce qui compte pour le Zimbabwe » ; « L’Afrique a parlé, respectez sa voix » ; « Quel Africain a un jour été observateur des élections en Europe ou en Amérique ? » ; « Eux contre nous ». Que pourront-ils faire désormais, eux, les Occidentaux, contre le régime de Mugabe ?
(1) Respectivement sigles de Communauté de développement d’Afrique australe, Marché commun de l’Afrique de l’est et australe, Union africaine