Les pessimistes mettaient le Niger au bord du gouffre au début de l’année 2013. En juillet et août, les mêmes n’auraient pas risqué un centime sur la stabilité du pays, ni sur la pérennité du président Mahamadou Issoufou au pouvoir. Sur fond de guerre résiduelle au Mali, il y avait eu, au mois de mai, un double attentat suicide ciblant l’armée à Agadez et sur l’un des sites miniers gérés par Areva à Arlit. Le mois suivant, c’était à l’intérieur de la prison centrale de Niamey qu’était menée une attaque éclair de la part de prisonniers appartenant à la secte fondamentaliste nigériane Boko Haram, qui étaient parvenus à se procurer une arme. Sans parler des quatre otages français d’Arlit qui sont depuis plus de mille jours aux mains de leurs ravisseurs, et dont les preuves de vie reçues par la France en juillet 2013 n’ont en rien réglé le sort.
Depuis 2011, les forces de sécurité nigériennes sont pourtant en état d’alerte et bénéficient du soutien des militaires occidentaux, français et américains surtout. Le pays a été en effet un élément important de l’opération française Serval au Mali et, plus largement, il joue un rôle essentiel dans la nouvelle stratégie mise en place par l’Union européenne pour la sécurisation du Sahel. Les Nigériens surveillent donc indirectement leur propre frontière en participant à la Mission de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma), avec un bataillon déployé dans la région de Gao, frontalière. Encouragé – avec insistance – par ses puissants alliés à moderniser son appareil de sécurité, le gouvernement a aussi augmenté ses dépenses militaires.
Or, ce n’est pas obligatoirement la meilleure des options. Il faut se souvenir que la politique mise au point ces dernières années par les Occidentaux pour sécuriser le Sahel a été, au Mali du moins, un cuisant échec. Une focalisation excessive sur les menaces extérieures, réelles certes, mais pas uniques, comporte le risque de masquer les tensions communautaires intérieures, la marginalisation des pauvres et des sociétés rurales, surtout dans un pays qui doit faire face à des défis démographiques autant qu’économiques. D’ailleurs, la possibilité d’une contagion terroriste depuis les pays voisins ne peut être qu’aggravée par un environnement socio-économique et politique fragile.
Car, pour l’essentiel de la population, c’est la subsistance au jour le jour qui pose le plus de problèmes. En effet, 60 % des quelque 17 millions de Nigériens vivent avec de « faibles revenus », selon l’expression de la Banque mondiale. Le revenu national brut par habitant est de 360 dollars par an, très en dessous de la moyenne établie pour le continent africain. Ce n’est donc pas tant un régime 100 % sécuritaire dont cette population a besoin qu’un gouvernement capable de lui fournir un minimum de services et de mettre en place une économie pouvant créer des emplois.
Il semblerait donc plus utile au président Issoufou de continuer à renforcer le lien de confiance qui s’est créé entre lui et son peuple depuis son accession au pouvoir, il y a un peu plus de deux ans et demi. Son programme, intitulé Renaissance du Niger, a suscité de grands espoirs. Par exemple, les prestations sociales ont été revues à la hausse. Évidemment, les résultats sont encore modestes. D’où les protestations qui se sont fait entendre dans la société civile au moment de l’augmentation du budget militaire, générant au passage quelques ambitions politiques. Habilement, en août 2013, le chef de l’État a procédé à un remaniement ministériel et constitué un gouvernement d’union nationale, c’est-à-dire ouvert à des membres de l’opposition. Son ambition est de se créer une « plage de tranquillité » en désamorçant au maximum la menace intérieure.
Ce message, le président de l’Assemblée nationale, Hama Amadou, n’a pas voulu l’entendre, bien au contraire. Le 29 août dernier, il a annoncé le retrait de son parti, Moden Lumana, de la coalition au pouvoir, faute d’avoir été dûment consulté sur le remaniement et, en conséquence, de n’avoir pas obtenu suffisamment de portefeuilles dans le nouveau gouvernement. Cette décision a entraîné des remous importants au sein même du parti.
Bien sûr, il reste que l’appareil d’État et les services de sécurité, au Niger comme dans les autres pays de la sous-région, sont toujours soupçonnés d’être infiltrés par des réseaux criminels transnationaux. C’est ce « cheval de bataille » qui sert à l’expansion d’une société civile islamiste, particulièrement diserte dans sa critique. En réaction, elle propose ouvertement – et donc pacifiquement – de « remoraliser » la vie publique et, clandestinement, met sur pied des mouvements de protestation violents et radicaux. D’où l’existence probable – ce n’est pas encore prouvé, mais il y a de fortes présomptions – de complicités qui ont permis aux révoltés de la prison centrale de se procurer l’arme leur ayant servi à abattre deux gardiens.
L’habileté de Mahamadou Issoufou consiste donc à rassurer ses puissants alliés par une vigilance accrue sur la sécurité tout en poursuivant son programme. Ainsi espère-t-il éviter les écueils dans lesquels son grand voisin, le Mali, se précipite tête baissée. La réalité actuelle tend à lui donner raison. Reste la question touarègue. Comme le Mali, le Niger est doté d’une importante communauté touarègue dont il convient de prendre les besoins en considération. La présence d’un de ses représentants au poste de premier ministre, est censée rassurer. Brigi Rafini incarne cette diversité et ce respect marqué aux Touaregs. Il est le témoin vivant que l’on peut accéder aux plus hautes fonctions tout en étant issu du milieu nomade.
La société touarègue nigérienne n’apparaît pas comme un tout homogène ; elle est divisée en grandes familles assimilables à des clans, et les disparités sociales y sont importantes. Ces lignes de faille ont un avantage inattendu : elles rendent une action concertée plus improbable. Les élites, intégrées dans l’administration, n’ont aucune envie de se rebeller contre l’État qui les fait vivre et dont ils détiennent les clés. La menace proviendrait plutôt des nombreux désœuvrés, souvent jeunes, et dont la plupart ne sont pas éduqués, qui tirent leur subsistance des trafics et contrebandes en tout genre et, bien sûr, du commerce illicite des armes. Ceux-là peuvent prendre le risque de la rébellion pour défendre leurs prérogatives. Fort heureusement, ils ne sont pas les plus nombreux, même s’ils sont, bien sûr, courtisés par les islamistes dont la morale est parfois bien élastique.
Enfin, du côté de la démocratie, le Niger ne se porte pas si mal… En 2009, la tentative de l’ancien président Mamadou Tandja de se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat a montré que les institutions – et la société civile – étaient suffisamment fortes pour se protéger. Certes, l’armée est intervenue, mais pour une courte période de transition qui a donné lieu à des élections libres. Comme le note l’organisation International Crisis Group dans son rapport de septembre 2013 : « La sécurité nationale et la stabilité dépendent au moins autant des paramètres [civils et politiques] que de la vaillance de l’armée dans la lutte antiterroriste. » On en revient aux vieux principes du maître de guerre chinois Sun Tzu : les menaces extérieures ne sont jamais plus graves que les menaces intérieures…