Il y a un an, le 16 août 2012, les forces de police sud-africaines (SAPF) intervenaient à la mine de Marikana (groupe britannique Lonmin) en grève, tuant de sang-froid trente-quatre mineurs et faisant des dizaines de blessés et de prisonniers, suscitant la colère et la consternation dans tout le pays. Dix mineurs avaient été tués les jours précédents au cours d’affrontements intersyndicaux. Depuis, les troubles et la violence n’ont pas cessé au sein de la mine. La grève a duré jusqu’en octobre 2012, mais on compte, depuis un an, plus d’une vingtaine de morts. Parmi eux, des responsables du Num, le syndicat officiel affilié à la confédération Cosatu, alliée de l’ANC au pouvoir, et de l’Acmu, le syndicat des mineurs autonome désormais majoritaire à Marikana et dans d’autres mines de la région, que le pouvoir et le patronat refusent toujours de reconnaître.
La tâche de la Commission d’enquête sur les violences de Marikana, dite « commission Farlam », du nom de son président, le juge Farlam, n’est pas aisée dans ce climat de violence entre syndicats. Parmi les victimes, Daluvuyo Bongo, permanent du Num, a été assassiné après avoir participé à la reconstitution de la tuerie par les SAPS ; ou encore Mawethu Steve, membre de l’Acmu et témoin de premier rang, tué en mai à la veille de son audition. D’autres témoins, au moins neuf d’après une agence de presse, se sont suicidés alors qu’ils étaient convoqués par la Commission.
Aujourd’hui, l’Acmu revendique 120 000 adhérents au niveau national contre 270 000 pour le Num. Très attaqué par les directions de l’ANC, de la Cosatu et du PC, traité de la pire des manières, genre « cafards » et autres insultes, le syndicat n’a eu de cesse de mettre en garde le pouvoir contre cette attitude. Le blocage actuel de la commission Farlam ne devrait pas arranger la situation, voire pourrait être à l’origine de nouvelles violences d’envergure.
Après avoir auditionné les témoins – mineurs, SAPS, Lonmin… – pendant quatre mois, délai imparti pour boucler son enquête, la Commission a été désertée sine die par les avocats des mineurs blessés et arrêtés. Ils protestaient contre le refus de l’État et la Commission de prendre en charge les frais de la défense des 270 mineurs blessés ou arrêtés l’an dernier, considérés par la Commission non comme victimes, mais comme témoins. Alors que les forces de police incriminées, elles, sont prises en charge par le ministère, le département des Ressources minières le gouvernement, ou encore la Commission des droits de l’homme, structure officielle financée sur fonds publics.
La Commission a décidé de ne pas tenir compte de l’absence de la défense et continue de procéder aux auditions. Et elle devrait désormais conclure sa mission fin octobre. Une prolongation qui a largement entamé les ressources de l’Acmu et des soutiens financiers des familles. L’équipe d’avocats des mineurs dirigée par Me Dali Mpofu n’a pu compter que sur un soutien financier de trois mois. Ne restent donc plus à la barre que les avocats du syndicat officiel Num, de Lonmin, et des SAPS. « Une parodie de justice qui va faire l’objet d’une plainte auprès de la Cour constitutionnelle qui mettra sérieusement en cause le gouvernement, en particulier le ministère de la Justice et la présidence », ont déclaré dans une lettre ouverte une cinquantaine de personnalités sud-africaines. Parmi elles, des présidents d’association, des universitaires de renom, des évêques, dont Jo Seoka, évêque de Pretoria et président du Conseil sud-africain des Églises, des personnalités politiques, dont Frene Ginwala, ancienne présidente du Parlement, ou Ebrahim Fakir, responsable des Institutions et processus de gouvernance à l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique, des artistes comme Allan Kolski Horwitz, poète et dramaturge, des personnalités des médias, ou encore le célèbre « mouton rouge » de l’ANC comme l’appelait le régime d’apartheid, Rosnie Kasrils, ancien responsable des renseignements militaires de l’ANC pendant la lutte, qui a quitté l’ANC en 2007 pour protester contre les dérives de l’organisation historique.
La bataille pour les droits des mineurs, pourtant légitime, n’a pas empêché la Cour constitutionnelle de rejeter, le 19 août, la demande des 270 mineurs, qui devront chercher ailleurs le financement de leur défense. « Nous irons jusque dans la rue pour chercher de l’argent, nous n’allons pas baisser les bras et permettre à cette commission de nous donner une moitié de vérité », a déclaré Joseph Mathunjwa, le président d’Acmu, à l’annonce de la décision. Une nouvelle épine dans le pied déjà bien meurtri de Jacob Zuma, à moins d’un an des élections générales.