Sur 222 sièges parlementaires à pourvoir, le Barisan nasional (BN, Front national) en a remporté 133, l’opposition du Pakatan Rakiat (PR Front populaire) a décroché les 89 sièges restants. En apparence la treizième élection générale, qui s’est déroulée le 5 mai, se conclut par une éclatante treizième victoire d’une coalition au pouvoir depuis cinquante-six ans. En apparence seulement car, dès que l’on analyse les résultats, une anomalie choquante surgit : le PR a remporté 50,87 % des suffrages, contre 47,88 % au BN – 1,74 % des suffrages s’étant portés sur d’autres candidats. Autrement dit, plus de la moitié des électeurs (80 % de participants sur 13 millions d’électeurs enregistrés) a soutenu les candidats de l’opposition sans que ce soutien se matérialise par une victoire.
Circonscriptions taillées sur mesure
En Malaisie, le succès d’une élection ne se joue ni dans la capitale ni dans les principales agglomérations, mais dans les nombreuses circonscriptions d’États ruraux peu peuplés. C’est donc entre les mains d’un électorat clairsemé, et malais, que résident les clés du pouvoir. Le pays, en effet, n’est pas uniforme. Sa population se compose de Malais ethniques, les Bumiputras, ou « Fils du sol » (60 %), de Malaisiens d’origine chinoise (25 %), de Malaisiens d’origine indienne (10 %) et d’Orang Aslis, les aborigènes malaisiens (5 %). Ici on naît malais, musulman et on vote pour l’Organisation nationale des Malais unis (l’Umno), composante du BN. Ou alors on naît Chinois, non musulman et on vote pour le Democratic Action Party (Dap), composante du PR.
La Malaisie est ainsi, traditionnellement divisée en peuples, religions et partis politiques. Un phénomène ancien qui remonte à l’indépendance du pays, en 1957. À l’époque, les Malaisiens d’origine indienne et surtout chinoise étaient les plus prospères. Leur opulence suscita un mécontentement croissant des Malais ethniques. Après une série d’émeutes raciales qui déchira le pays en 1969, le gouvernement mit en place toute une série de mesures destinées à rééquilibrer le partage des richesses. Ainsi les Fils du sol se virent-ils réserver des places dans les crèches, les écoles, les universités, la Fonction publique. De même, ils se virent accorder des prêts d’accès à la propriété à taux réduits. À l’opposé des Fils du sol, les Malaisiens non bumiputras sont devenus des citoyens de seconde zone. Aucune facilité ne leur est allouée pour étudier, développer une activité, acquérir un logement, etc.
En proposant de mettre fin à la corruption et au favoritisme, l’opposition, menée par Anwar Ibrahim, rassemble la majorité des électeurs. Condamné à deux reprises pour des histoires de sodomie vraisemblablement montées de toutes pièces – son dernier accusateur avouera qu’il avait été reçu par Najib Razak, avant de porter plainte… –, Anwar n’entend pas abolir le système de discrimination positive, mais de le généraliser. Les aides gouvernementales ne seraient plus attribuées aux seuls Bumiputras, mais à tous les Malaisiens en fonction de leurs réels besoins. Un programme quasi révolutionnaire en Malaisie, qui a permis à son mentor de s’affranchir des barrières ethno-religieuses et rassembler tous ceux qui ne s’identifient plus à l’ordre établi voici un demi-siècle.
Numériquement supérieur, le PR aurait dû gagner le scrutin si le pouvoir ne disposait pas de circonscriptions taillées sur mesure, du contrôle quasi absolu des médias – exception faite d’Internet –, d’une machine gouvernementale et administrative à son service, et surtout de moyens financiers lui permettant de graisser toutes les manettes nécessaires. Au lendemain d’un scrutin émaillé de fraudes, Anwar estime que l’opposition a été « volée de sa victoire » et appelle ses concitoyens à faire entendre leur mécontentement. Victorieux mais affaibli, Najib va devoir « écouter » les aspirations des quelque 50,87 % des électeurs.