« Si l’Algérie ne profite pas de la crise économique mondiale pour remettre sur pied son secteur industriel, tous nos efforts de développement seront vains. » C’est en ces termes que le premier ministre Abdelmalek Sellal a fixé le cap et tracé une feuille de route pour la ré-industrialisation de son pays, dans le contexte de l’après-pétrole. Il s’adressait aux responsables des sociétés de gestion et de participation de l’État, dont relèvent les entreprises publiques. Il les a appelés à réunir tous les moyens pour assurer la relance du secteur industriel, qui doit s’appuyer sur les partenariats public-privé et l’appel à l’investissement étranger dans le cadre de la loi dite 51/49, réservant la majorité du capital au partenaire algérien, public ou privé. M. Sellal a aussi appelé le secteur privé national à s’impliquer davantage dans cet effort de restauration de l’industrie, comme il a demandé aux gestionnaires de manifester plus d’ambition et plus d’audace dans la définition de leurs objectifs. Et notamment dans des filières vitales comme le médicament (l’Algérie continue à importer 60 % de ses besoins), l’agroalimentaire ou les matériaux de construction. Le secteur privé, dont les investissements industriels restent faibles, est un « allié fondamental » de l’État dans la concrétisation de ses objectifs, a-t-il insisté.
Dans les années 1980, l’industrie avait été frappée en plein élan par un brusque changement de stratégie qui non seulement l’avait reléguée au second plan dans la politique économique, mais avait imposé le démantèlement d’un appareil industriel mis sur pied à grand renfort d’investissements publics. L’Algérie pouvait alors espérer qu’à l’orée du xxie siècle elle rattraperait une partie de son retard, fournirait de l’emploi – en qualité et en quantité – aux générations arrivant en nombre sur le marché du travail, et accéderait au statut de pays émergent de la Méditerranée. La gabegie des années 1980-1990, qui avait tablé sur la consommation contre la production, puis le terrorisme dans les années 1990-2000 en ont décidé autrement. C’est à partir d’une base certes fragilisée, mais encore suffisamment solide, que la relance industrielle est amorcée.
Le ministère de l’Industrie, des PME et de la Promotion des investissements vient d’allouer une enveloppe de quelque 500 millions d’euros pour la réalisation de quinze nouvelles unités industrielles, notamment dans les filières de la chimie, de la pharmacie, du papier, de la cellulose, du verre et de la peinture. Plus récemment, un « plan ciment » a été lancé pour porter la production nationale à 25 millions de tonnes par an en 2017. Depuis sa prise de fonction, le ministre de l’Industrie, Chérif Rahmani, ne cesse de réaffirmer la volonté du gouvernement d’assainir le climat des affaires, de rétablir les ponts entre le privé et le public et de relancer le secteur industriel, afin d’assurer une croissance durable et la création d’emplois.
Ce n’est pas l’argent qui fait défaut. Le ministre des Finances, Karim Djoudi, vient ainsi de révéler que 166 milliards de dollars, reliquat des programmes budgétés depuis quinze ans, étaient encore disponibles pour l’investissement. La faute en revient aux lourdeurs bureaucratiques, mais aussi aux faibles capacités de réalisation des entreprises qui se sont trouvées rapidement saturées par l’ampleur des programmes de relance.
L’Algérie, qui a connu une croissance exponentielle de ses importations, soit plus de 60 milliards de dollars en 2012, s’emploie désormais à protéger son marché pour donner une seconde chance à son industrie. Opérateurs privés et publics partagent la même préoccupation, sans pour autant prôner une autarcie d’un autre âge. « Produire, c’est refuser d’être un marché pour les autres », a souligné M. Rahmani lors d’un forum organisé à Alger sur le thème : « Produire national, consommer national ». Le gouvernement est décidé à « monter au front pour protéger les entreprises algériennes et préserver les emplois », a-t-il dit.
Le principal syndicat algérien, l’UGTA, en même temps que plusieurs acteurs politiques comme le Parti des travailleurs, se sont prononcés en plusieurs occasions pour un protectionnisme pur et dur, notamment en relevant les taxes douanières et en réservant le crédit à la consommation aux seuls produits nationaux, afin de briser la déferlante de produits étrangers. Principal accusé : le marché informel, tremplin de l’importation sauvage. Il échappe à tout contrôle et prospère sur le cadavre des entreprises nationales acculées à la faillite par une concurrence agressive et déloyale. La filière textile et cuir, montée dans les années 1970-1980, et qui avait atteint un haut degré de performance, en a pâti plus que d’autres. Elle est en voie de reconstruction, en coopération avec des industriels turcs notamment.
Le groupe Taypa vient ainsi de signer, avec la société de gestion des participations de l’État dans les industries manufacturières, un protocole d’accord pour la réalisation de huit unités pour la production de tissus divers, de prêt-à-porter (pantalons, chemises), etc. Avec, à la clé, la création de 10 000 emplois, selon les prévisions. Deux tiers de la production sont destinés au marché local, un tiers pour l’exportation. Pour le ministre de l’Industrie, il était indispensable de s’intégrer dans la chaîne de valeur internationale de la production à la distribution, pour relever la filière algérienne, en s’appuyant sur les Turcs.
Dans son dernier rapport sur l’économie algérienne, le cabinet international d’intelligence économique Oxford Business Group a relevé divers signaux adressés par le gouvernement aux entreprises à travers la loi de finances de 2013. Ils tendent à dynamiser l’activité du secteur privé, dont les investissements sont bien en deçà de ceux du secteur public, et dont les méthodes de gestion et de management restent archaïques. Les avantages fiscaux sont soutenus par l’allégement des procédures d’accès au foncier industriel et les facilitations douanières. Des mesures, a-t-il souligné, qui vont dans le sens de la diversification de la production nationale et des exportations, deux facteurs essentiels au maintien de la croissance algérienne.