Il y a quelque chose d’amer dans le succès de la conférence des bailleurs internationaux pour le Mali qui s’est tenue à Bruxelles, le 15 mai dernier : le gouvernement intérimaire malien, qui demandait 2 milliards pour relancer l’économie sur deux ans et consolider les institutions, s’est vu promettre 3,25 milliards d’euros par les différents acteurs de la communauté internationale (voir encadré). Mais pourquoi aura-t-il fallu attendre un coup d’État, une sécession et une guerre internationale pour renforcer une aide internationale que l’on sait cruciale – si elle est massive – pour le décollage des économies faibles, comme le Mali ? L’effort – qui, rappelons-le, consiste pour le moment en promesses – est important sur le papier : 3,25 milliards d’euros sur deux ans, c’est plus de deux fois ce que le Mali engrangeait en moyenne, depuis quelques années, au titre de l’aide sous forme de prêts ou de dons : 700 millions d’euros par an. Par comparaison, les bailleurs se sont engagés en 2012 à débourser 16 milliards jusqu’en 2015 pour l’Afghanistan, un pays qui compte environ 35 millions d’habitants (15,4 millions au Mali).
Les promesses, néanmoins, incluent les fonds bloqués par les partenaires internationaux depuis le coup d’État de mars 2012. La France, impliquée au premier chef au Mali en tant que partenaire historique de la coopération avec son ancienne colonie et dans l’intervention militaire contre les djihadistes du Nord, a ainsi promis 280 millions d’euros – sans compter sa participation, à hauteur de 20 %, à l’aide européenne. Mais elle avait gelé 150 millions l’an dernier, qu’elle réintègre dans la somme proposée, a confirmé Pascal Canfin, le ministre français délégué au Développement. Et de sérieuses incohérences demeurent, rappellent Guillaume Grosso, directeur France de l’ONG One, et Luc Lamprière, directeur général d’Oxfam, dans une tribune dans le Huffington Post en mars dernier : l’Agence française pour le développement, opérateur pivot de l’aide, n’avait été autorisée à décaisser que 8,5 millions en dons pour des projets au Mali. Quant à l’aide publique au développement, elle a baissé cette année pour les dix-sept pays prioritaires, dont le Mali, soit « dix millions d’euros par pays et par an en moyenne ».
On aurait tort, cela dit, de bouder l’unanimisme des partenaires de la coopération : la bataille du développement, engagée depuis… cinquante ans !, repart pour un cycle, que tout le monde espère, cette fois-ci, vertueux. Il faut dire que la captation des rentes de toute sorte, y compris des ressources extérieures, par les responsables, fait partie des problèmes que connaît aujourd’hui le Mali : la corruption et la mauvaise gouvernance ont aussi leur part dans la situation d’État failli, que ne pouvaient ignorer les bailleurs. Certes, les discours anticorruption et les conditionnalités liées au versement de l’aide n’ont jamais manqué ; mais dans la réalité ?
Cette fois-ci, les partenaires financiers semblent déterminés à « tracer » (et non plus « soumettre à conditions ») le moindre euro dépensé. Ils ont notamment demandé aux autorités de créer un compte unique pour centraliser l’argent, alors que le Mali en possède jusqu’à présent 150… Pascal Canfin a même émis une proposition inédite : créer un compte Internet où seront exposés les projets de l’aide bilatérale, leurs coûts et l’état du financement. Les Maliens qui constateraient des écarts les signaleraient en ligne ou par téléphone pour alerter les bailleurs, lesquels demanderaient des explications aux autorités. Une « vigilance citoyenne » qui ne manquera pas de faire couler de l’encre.
Les bailleurs ont également exigé que 30 % de leur aide se dirigent vers les collectivités décentralisées. Approche nécessaire, néanmoins délicate à doser, rappellent Pierre Jacquemot et Serge Michailof, entre autres chercheurs associés à l’Institut de relations internationales et stratégiques (1) : si l’échelon communal est indispensable dans la politique de décentralisation, l’échelon supérieur, en particulier au Mali où le territoire est vaste, ne l’est pas moins pour appliquer effectivement les compétences de l’État. La multiplication des niveaux de décision risque aussi de dilapider les fonds et amoindrir les initiatives des échelons inférieurs.
Autre problème qu’il faudra gérer avec doigté : la capacité des Maliens à absorber l’afflux massif des financements. Sans compter les mauvaises habitudes dont les bailleurs devront se déprendre : le saupoudrage de projets par une multitude d’acteurs et la multiplication d’« experts » en développement qui finissent par s’approprier un projet, quelle que soit sa taille, au détriment des publics concernés. Jacquemot et Michailof lancent une piste (1) : créer un « fonds fiduciaire multibailleurs cogéré » qui administrerait en une structure « ad hoc » et pour moitié avec les Maliens, un « nombre limité d’objectifs sectoriels et/ou géographiques ». La porte au « mieux faisant » est ouverte.
(1) Voir Le Développement du Sahel et en particulier du Mali, Iris, mai 2013, disponible en ligne.