Il a suffi d’une rencontre entre Edem Kodjo, ex-premier ministre togolais et ancien secrétaire général de l’OUA, et le journaliste écrivain ivoirien Venance Konan, actuel directeur général du groupe de presse Fraternité matin, pour que naisse et s’élabore le projet ambitieux d’une biographie modestement intitulée Edem Kodjo, un homme, un destin. Paru en 2012, l’ouvrage vient de recevoir le Grand Prix littéraire d’Afrique noire, récompense attribuée par l’Association des écrivains de langue française (ADELF) qui distingue depuis un demi-siècle les plus grandes plumes du continent.
Édouard Kodjo, qui prendra le nom d’Edem dans le cadre d’une « campagne d’authenticité culturelle » décrétée par le président Eyadema dans les années 1970, est né dans une famille chrétienne le 23 mai 1938, à Sodoké, dans la région centrale du Togo.
C’est à Rennes, en France, où il étudie le droit et les sciences économiques qu’il apprend le statut autonome qui vient d’être accordé à son pays, le 27 avril 1958. Il milite alors au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf). Deux idées fortes, indépendance et unité africaine, structurent sa conscience militante. Brillant énarque, il est recruté à l’ORTF, l’établissement public français chargé de la radio et la télévision, comme administrateur. Trois ans plus tard, il rentre au Togo.
À Lomé, Olympio Sylvanus, le père de l’indépendance togolaise, a été assassiné et depuis janvier 1967, le général Gnassingbé Eyadema s’est installé au pouvoir. Étrange relation entre le président Eyadema et Edem Kodjo, que ce dernier définit sur le mode du « je t’aime, moi non plus ». Le parcours politique d’Edem Kodjo est marqué par l’omniprésence de celui qui tantôt le considère comme son pire ennemi, tantôt l’adoube comme ministre des Finances puis des Affaires étrangères avant d’en faire son premier ministre en 1994.
Certains lui reprochent sa proximité avec Eyadema. Esprit de cohabitation pour les uns, compromission pour les autres. Mais tous reconnaissent son intégrité, son intelligence et l’excellence de son mandat de secrétaire général de l’OUA, dans un contexte troublé par un certain nombre d’affaires, dont celle du Sahara occidental. Rappelons à cet égard son rôle majeur dans l’admission de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) comme 51e membre de l’organisation.
On doit encore à Edem Kodjo, entre autres initiatives, le colloque de Monrovia qui débouchera sur le Plan d’action de Lagos, lui-même préfiguration du Nepad, et surtout prise conscience de l’urgence d’un programme continental d’industrialisation de l’Afrique. En annexe de l’ouvrage figure la charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée au sommet de Nairobi en juillet 1981, à mettre encore à son actif.
Avant de rallier l’opposition en 1983, puis de créer son propre parti en 1991, l’Union togolaise pour la démocratie (UTD), Edem Kodjo avait rédigé en 1967 le programme du Rassemblement du peuple togolais (RPT), le parti unique, en soutien à la politique gouvernementale. Quand on l’interroge sur le hiatus entre la notion de parti unique et ses convictions d’ancien militant de la Feanf, il répond : « C’était le mode normal de conduite des affaires africaines, sans compter les pays de l’Est et du bloc soviétique. »
La narration biographique exige cette alchimie que l’on nomme connivence entre le biographe et son sujet. Venance Konan la qualifie de « coup de foudre intellectuel ». Cette biographie autorisée est un mélange d’empathie et d’objectivité bienveillante. Une empathie qui perce à travers le regard porté sur l’homme appréhendé dans sa globalité, homme politique, diplomate, intellectuel, mais aussi chrétien engagé, amateur d’art et sportif. Énoncé des faits, témoignages divers et variés, cet essai biographique nous restitue la vision critique qu’Edem Kodjo porte sur l’Afrique, sa conviction en une Afrique forte prenant en charge son destin. Enfin, ce n’est pas le moindre mérite d’Edem Kodjo d’être sorti indemne de toutes les chausse-trappes d’une longue carrière politique, qu’il a su abandonner à temps pour endosser le rôle de sage.
Edem Kodjo, un homme, un destin, Venance Konan, préface d’Abdou Diouf, coédition Frat mat/Présence africaine, 360 p.