Début mars, l’opinion publique du Mozambique et d’Afrique du Sud a été secouée par des images et l’horrible récit du meurtre d’un chauffeur de taxi, menotté derrière une voiture de police et traîné dans la rue pendant des centaines de mètres, puis tabassé au commissariat. L’homme est mort peu après son arrivée à l’hôpital, selon la version officielle.
La victime, 27 ans, Mido Macia, Mozambicain, avait mal garé son taxi. Huit policiers l’ont arrêté, attaché et traîné à même la rue. L’incident a eu lieu à Daveyton, à l’est de Johannesburg. Des témoins ont même filmé les faits avec des portables. Personne n’est intervenu.
Le président Zuma a dénoncé ce crime, les policiers ont été suspendus, déférés au tribunal et inculpés de meurtre. Le gouvernement mozambicain a protesté et demandé justice, d’autant plus agacé que quelques dizaines de Mozambicains ont été tués au cours de ces derniers mois, soupçonnés de braconnage dans la zone du parc national Kruger.
Des manifestations ont aussi eu lieu en Afrique du Sud contre les brutalités policières. Après le meurtre des mineurs et d’autres incidents graves, il faut s’interroger sur ces événements.
Les sociétés africaines ont subi durant la colonisation et, il faut le reconnaître, pendant les périodes féodales antérieures des systèmes d’oppression et de brutalité. Certes, en Europe et en Asie, les sociétés ne furent pas moins violentes envers le petit peuple. Cependant, pendant la colonisation, les sociétés des colonisateurs étaient caractérisées par une véritable dichotomie : alors qu’on s’y battait pour y affirmer le respect des droits envers la personne humaine, ces principes et ces luttes étaient totalement ignorés dès lors que l’on franchissait la Méditerranée.
En Afrique du Sud, la violence et la culture de violence ont atteint des niveaux extrêmes, et ces pratiques sont devenues endémiques sous l’apartheid. Le meurtre, la torture, le pillage, le viol des femmes, l’indifférence envers l’autre – surtout s’il affiche une autre couleur de peau ou ethnie ou s’exprime dans une autre langue – sont devenus des banalités du quotidien. L’Autre devient alors moins que rien, moins qu’un animal qu’on égorge et qu’on saigne à volonté. Pire, la violence devient un spectacle qu’on filme, qu’on raconte, qu’on savoure. L’horreur que l’on voit ainsi fait oublier ou soulage sa propre douleur, sa misère morale.
De tels faits ne sont pas à l’apanage de la seule Afrique du Sud. Les attaques contre la dignité humaine sont un mal répandu – et apparemment photogénique. Au Mozambique, à Maputo même, combien des fois des voleurs ne se sont-ils pas attaqués à une femme dans la rue, ne lui ont-ils pas arraché sa montre, son portable ou un bijou, en criant bien haut aux éventuels témoins : « Salope, ma femme est sortie de la maison pour retrouver son amant ! », tout en frappant la pauvre femme dans l’indifférence générale.
Dans les pays d’Afrique australe – et restons-en là –, la violence publique contre les femmes, les vols, et autres crimes font partie des délits les plus fréquents, étalés quotidiennement à la une les médias, exhibés à la télé.
Les jeux vidéo qui regorgent de violence, importés le plus souvent du Premier Monde et dans lesquels les joueurs gagnent quand ils ont obtenu le plus grand nombre de morts, contribuent pour beaucoup à faire de la violence, voire du meurtre, une chose louable.
Avec les guerres menées par les drones en Afghanistan, au Pakistan et en Irak – au sujet desquelles il y a un consensus international tacite – les jeux vidéo violents pour enfants et adolescents paraissent encore plus légitimes car ils reflètent, du moins en partie, le monde réel.
Ailleurs l’application de la charia, avec ses amputations punitives et ses exécutions publiques, aide à banaliser la violence. L’Europe du Moyen Âge a connu ces spectacles, sans compter les tortures infligées aux hérétiques pendant la « Sainte » Inquisition en Europe aux xvie et xviie siècles. Je crois que nul ne peut donner des leçons, en regard de l’Histoire.
Mais du chemin a été parcouru jusqu’au xxie siècle. Il est insupportable que l’on soit encore trop souvent confronté à des violences qui ne s’expliquent que par le mépris pour l’autre : pour sa condition sociale, ses origines ou sa couleur de peau. Triste ? Oui. La lutte pour la dignité de tous doit continuer. Plus intransigeante que jamais dans cette partie du continent marquée par de longues guerres de libération dont le but premier était, précisément, la liberté dans la dignité.