Hugo Chavez n’était ni populiste ni dictateur. Ces expressions, produites par la haine politique ou par l’ignorance, nuisent à la compréhension d’un phénomène politique en cours en Amérique du Sud, c’est-à-dire la réapparition du nationalisme de gauche, sous forte influence marxiste. Cela a déjà existé dans la région – en Afrique aussi – pendant la guerre froide, au niveau de quelques gouvernements ou dans bien des forces d’opposition.
L’arrivée et le maintien de Chavez au pouvoir sont les résultats d’élections régulières et dès le premier scrutin, en 1998, il a bénéficié du rejet de la majorité des Vénézuéliens envers les partis traditionnels.
Ses réélections successives s’expliquent par trois grands facteurs : le discours anti-américain en pleine période Bush et la perception populaire selon laquelle le Venezuela mène un bloc de pays opposés à Washington ; la campagne déclenchée contre lui par des secteurs de la droite issus de l’ancienne oligarchie et favorables au putschisme ; les programmes de réduction de la pauvreté financés par les revenus pétroliers et la bonne implantation de son parti (PSUV) dans le pays.
Le soutien apporté à Chavez, dès le début, par des personnalités respectables de la gauche vénézuélienne, a joué un rôle capital qui a permis d’éviter le populisme. Mais la gauche n’a jamais été unanime dans ce pays, sauf pendant de courtes périodes, comme lors du renversement de la dictature de Perez Jimenez dans les années 1950.
Chavez a reçu le soutien de José Vicente Rangel, mas a dû compter avec l’opposition de Théodoro Petkov, pour ne citer que ces deux anciens dirigeants du Movimiento al Socialismo (MAS), le parti dont le nom a inspiré la formation d’Evo Morales en Bolivie.
Il y a deux motifs de division au sein de la gauche vénézuélienne sur le régime actuel : la façon dont Chavez est entré dans la vie politique – un coup d’État manqué en 1992 contre un régime élu – et, plus tard, le « culte » de la personnalité qu’il a favorisé.
À cela s’ajoutent d’autres questions, telle celle mise en avant par Hector Silva Michelena, l’un des économistes les plus prestigieux du Venezuela (un ancien du PCV et de la gauche insurrectionnelle) au sujet des quelque 150 entreprises nationalisées dont il regrette l’absence de dispositions prévoyant une participation des salariés au capital.
Le journal Tal Cual, proche de Petkov, a écrit après la disparition du leader vénézuélien que l’ancien président jouissait d’un appui populaire d’une « intensité émotionnelle hors du commun ».
En Afrique, le nationalisme de gauche n’est pas une nouveauté non plus. Abandonné dès les années 1990, il n’est pas impossible qu’il revienne sous différentes formes, et l’expérience du Venezuela peut donner lieu à quelques réflexions importantes.
Tout d’abord, il est indéniable que les programmes sociaux vénézuéliens bénéficient d’une conjoncture favorable des prix du pétrole, un aspect parfois souligné sous un ton critique. Malgré ça, il est incontestable qu’ils ont rempli un rôle de réduction de la pauvreté, chose que les grands pays « pétroliers » d’Afrique subsaharienne n’ont pas encore entrepris de faire.
Nous avons là une question centrale en Afrique : le transfert des ressources générées par le secteur primaire vers des secteurs capables de diversifier la production et créer des emplois. En même temps, il faut abandonner l’imposture de considérer qu’il suffit de dépasser deux dollars de revenu par jour pour que cesse la misère.
Désormais, la question est de savoir si le régime PSUV est en train d’ouvrir une voie pionnière, ou s’il s’agit seulement de programmes de welfare, menacés dans le cas d’une chute des prix du pétrole.
Concernant la politique africaine, la diplomatie de Caracas a laissé un exemple assez négatif. Hugo Chavez a maladroitement défendu Mamadou Tandja – auteur d’un changement arbitraire de la Constitution du Niger pour rester au pouvoir –, c’est-à-dire il s’est placé dans le camp des régimes africains cherchant à se perpétuer contre la volonté populaire.
La trajectoire de Chavez ne peut en tout cas pas être comprise ni au travers de phrases diabolisantes ou réductrices, ni avec des proclamations de soutien inconditionnel. C’est le Venezuela dans son ensemble qui présente un cadre d’expériences et de cycles historico-économiques particulièrement intéressants pour les forces démocratiques africaines.