Le dixième anniversaire de la désastreuse guerre illégitime, illégale et mensongère contre l’Irak n’a pas donné lieu, on le comprend, aux rituelles autocongratulations de la part des supposées « grandes démocraties » occidentales. Engagée par les États-Unis et ses supplétifs de la « nouvelle Europe » pour désarmer l’Irak de ses prétendues « armes de destructions massives » et y instaurer la démocratie, le pluralisme et la bonne gouvernance, la guerre contre l’Irak se conclut par un bilan humain, économique, social et politique monstrueux. Un bilan, hélas, loin d’être final. Comment ne pas se rappeler, à cette sinistre occasion, la menace de l’ex-secrétaire d’État de Bush père, James Baker, à l’intention de son homologue irakien d’alors – Tarek Aziz, aujourd’hui dans le couloir de la mort –, peu avant le déclenchement de l’opération militaire Tempête du désert, en 1991 : « Nous allons renvoyer l’Irak à l’âge préindustriel ! »
Tempête du désert, avec le barbare embargo qui a duré jusqu’à l’invasion de 2003, a coûté la vie à environ un million et demi d’Irakiens, majoritairement parmi les catégories sociales les plus vulnérables (enfants, femmes et personnes âgées). De 2003 jusqu’au retrait « officiel » des armées d’occupation en 2011, un million de victimes s’y est ajouté. Depuis, une guerre confessionnelle et sectaire fauche chaque mois des centaines de morts et de blessés, alimentée financièrement, logistiquement et médiatiquement par les monarchies du Golfe. Celles-là même qui soufflent aujourd’hui sur les braises de la guerre civile syrienne en aidant, comme en Irak avant l’invasion, une opposition hétéroclite, portée à bout de bras par les pays à l’origine du désastre irakien.
Colonies pétrolières américaines, ces monarchies ne se sentent en sécurité qu’en déstabilisant les grands pays de la région encore insoumis au diktat de l’Empire. L’Égypte ayant rejoint, depuis les accords de Camp David, le rang des clients dociles des États-Unis, les ennemis à abattre se nommaient Irak, Syrie, Iran, Libye, Algérie et résistance palestinienne et libanaise. Pour n’avoir pas soutenu Tempête du désert, en 1991, l’Algérie a dû résister héroïquement et toute seule, pendant une décennie, au fléau terroriste soutenu par les monarchies wahhabites du Golfe. L’Irak a été rayé, provisoirement, de la carte géopolitique de la région. Idem pour la Libye qui n’est plus qu’un conglomérat d’émirats islamiques et de tribus en guerre entre elles. La Syrie est aujourd’hui un champ de ruine. Le Liban risque à tout moment d’imploser. Résultat : la question palestinienne n’intéresse plus grand monde, comme la mal nommée Ligue des États arabes vient d’en donner le sinistre exemple à Doha, plus préoccupée à casser le seul pays arabe limitrophe d’Israël n’ayant pas encore signé un traité de paix fallacieux avec cet État colonisateur prédateur. Elle n’intéresse pas non plus Barack Obama, comme l’a montré sa visite touristique en Israël, en Cisjordanie colonisée et en Jordanie.
Le suicidaire État hébreu estime, à tort, qu’il n’a plus aucun ennemi crédible et peut continuer sans risque majeur son entreprise de colonisation. Les monarchies du Golfe, débarrassées des grands États forts de la région, pensent elles aussi être en sécurité sous la double protection de l’Occident et d’Israël. On comprend pourquoi tant d’acharnement contre l’Iran. Mais les monarchies risquent en fait de payer très fort leur myopie géopolitique. Le danger ne provient pas du monde arabe éclaté qui n’est plus que l’ombre de lui-même depuis la fin de la bipolarité dans les relations internationales. Il est incarné par le réveil de la Russie et de la Chine, et derrière elles l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, à l’occasion de l’affaire libyenne. Ce réveil a été confirmé par le recours, à trois reprises, de Moscou et Pékin au veto contre toute résolution du Conseil de sécurité touchant à la Syrie.
La question syrienne, avec la nouvelle fracture qu’elle provoque dans les relations internationales, sonne le glas de l’unilatéralisme américain qui n’a plus les moyens d’exercer son hégémonie. Le dernier sommet des Brics (Brésil, Russie, inde, Chine, Afrique du Sud) à Durban, en Afrique du Sud, montre le chemin de ce monde multipolaire nouveau : sa mesure phare a été la création d’une banque de développement dotée d’un capital initial de 50 milliards de dollars, dont le but est de se passer du concours – et des contraintes – de la Banque mondiale et des institutions connexes. Et les Brics disposent, à eux seuls, de réserves de change de pas moins de 4 400 milliards de dollars…