Salué comme « un livre pionnier dans l’historiographie française » lors de sa parution en 1994, l’auteure qualifie Les Africaines de « fresque historique de deux siècles des processus qui ont conduit […] aux mutations sociales de la condition de la femme en Afrique ». L’étude ne prétend ni couvrir la totalité des pays africains, ni retracer de façon exhaustive l’ensemble des questions afférant à sa recherche. Il ne s’agit pas d’un ouvrage d’ethnologie, mais d’un essai ouvrant à une connaissance éclairée de l’Afrique, de sa diversité, de son histoire et de son évolution à partir des femmes.
Si la place de la femme dans la société africaine a acquis ces dernières décennies une visibilité accrue, c’est que la littérature historique dont témoigne le présent ouvrage s’est considérablement développée, et que les femmes sont dorénavant considérées comme sujets d’étude en tant qu’acteurs essentiels de la société. Ces recherches, dont l’auteure dresse la liste en annexe, mettent en évidence non seulement le rôle actif des femmes en matière juridique (mariage, divorce, héritage), mais aussi, entre autres domaines, leurs conduites migratoires, leur pouvoir économique sur le marché africain et, question longtemps demeurée taboue, leur attitude face à la sexualité.
Le nombre croissant de femmes chefs d’entreprise, députés, ministres est bien le signe que la riposte féminine à l’entrave exercée par le « genre masculin », longtemps conjuguée à celle du pouvoir colonial, est en marche. Pour preuve ces quelques jalons dans l’histoire récente sinon d’une conquête, du moins d’une mutation : 1999, premier congrès à Accra de l’Association panafricaine des femmes d’affaires ; 1997, Aminata Traoré ministre de la Culture du Mali ; 2005, la Libérienne Ellen Johnson-Sirleaf première femme présidente d’un État africain.
Faut-il pour autant passer de l’afro-pessimisme à l’afro-optimisme concernant la place des femmes ? Certes les conflits actuels qui embrasent le continent font toujours des femmes les premières victimes des violences politiques et militaires. Sans nul doute, encore, les femmes subissent davantage que les hommes les effets négatifs de la mondialisation sur leurs conditions de vie. Mais il faut aussi faire état de cette considérable avancée dont témoignent les revendications des femmes concernant la maîtrise de leur corps, et celle de leur esprit à travers la scolarisation.
Les raisons et les modalités de cette évolution sont donc à chercher dans l’histoire. C’est pourquoi, une fois encore, il faut saluer la réédition de cet ouvrage d’une grande actualité. Grâce à la pertinence de son analyse et à sa parfaite connaissance de l’histoire de l’Afrique subsaharienne, Catherine Coquery-Vidrovitch déconstruit les clichés, en particulier ceux relatifs à l’image de la femme africaine, qui ont nourri et qui alimentent encore les imaginaires occidentaux. Longtemps, l’univers féminin précolonial n’a été perçu qu’à travers le filtre des préjugés des premiers missionnaires, et l’image non moins fallacieuse renvoyée par les romans coloniaux. Qui aurait pu concevoir, du temps de la colonisation, que le travail physique en Afrique était dévolu aux femmes ?
Autre cliché déconstruit : ce n’est pas toujours dans les régions où prédomine l’islam que la discrimination scolaire est la plus prononcée, mais « là où s’entremêlent une forte tradition animiste du travail des femmes et un héritage colonial catholique et francophone ».
Il en est encore temps : un tel ouvrage devrait combler nos lacunes « abyssales » dans la connaissance de l’Afrique en général, et des Africaines en particulier.
* Les Africaines, histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du xixe au xxe siècle, Catherine Coquery-Vidrovitch, Éd. La Découverte, 2013, 406 p., 14,50 euros.