En 2001, l’Assemblée nationale de transition adoptait un projet de création de tribunaux spécialisés, dits gacaca [prononcer « gatchatcha », « sur le gazon » en kinyarwanda], présenté par le ministre de la Justice de l’époque, Jean de Dieu Mucyo. Issue de la justice coutumière traditionnelle rwandaise, ces 750 juridictions populaires étaient destinées à régler le cas des quelque 130 000 génocidaires et de leurs complices, en attente de jugement. À la vitesse de la justice « ordinaire », pourtant démultipliée vu les circonstances, il aurait fallu 200 ans pour juger tout le monde. D’où le choix de ce retour à une tradition aménagée, les gacaca d’origine ayant seulement vocation à régler les petits différends entre personnes. Recrutées sur les lieux mêmes des crimes, au niveau de la cellule (regroupement de trois ou quatre familles), de la structure (plusieurs cellules) ou de la commune, ces nouvelles assemblées devaient élire vingt personnes désignées « juges » et chaque cas était débattu en commun. Au terme de ce débat, les « juges » décidaient de la peine.
Trois catégories de personnes étaient concernées par cette juridiction : les auteurs de pillages et de vandalisme, les gens ayant porté des coups sans avoir tué – qui n’étaient d’ailleurs pas incarcérés – et les « assassins ordinaires », soit quand même 110 000 détenus.
Jean de Dieu Mucyo se souvient avoir bien défendu son projet : « Beaucoup de preuves étaient constituées par des témoignages. Il était donc important d’aller sur les collines. Sur place, tout le monde savait ce qui s’était passé car les meurtres avaient lieu au grand jour, à plusieurs. Les exécuteurs allaient “à la chasse” dans les champs de sorgho. Ensuite, nous avons expérimenté la gacaca à l’intérieur des prisons. Les prévenus concernés par une même affaire se sont rassemblés en comités, dans la cour. Leurs récits, parfois retransmis à la télévision, étaient comparés aux informations recueillies par le parquet et, dans les villages, ils ont permis des jugements plus équitables. »
Ce n’est pas l’avis des détracteurs de la gacaca, qui estimaient alors que l’indépendance des juges constituait un écueil à une véritable justice. Ces juges, sans mandat du peuple et sans formation juridique appropriée, avaient en effet le pouvoir d’entendre des causes criminelles très graves. On plaçait tout le pouvoir entre les mains des accusateurs et on leur demandait de se rendre eux-mêmes justice.
Pourtant, sur les collines, l’accueil fait à ces nouveaux tribunaux a été globalement favorable. Les associations de veuves du génocide ont accepté volontiers d’y participer, curieuses d’entendre ce que les gens avaient à dire devant ce tribunal sans hommes de loi. Le système s’est révélé extrêmement utile pour la réconciliation, les femmes tutsi et hutu ayant alors exactement les mêmes problèmes de survie. En 2005, 8 000 autres assemblées voyaient le jour. Les autorités rwandaises saluaient alors leur effet bénéfique sur l’entente nationale, principal enjeu de la gacaca, au-delà du problème de la surpopulation carcérale.