Pas de Commission vérité et réconciliation en Angola et au Mozambique. Pas de procès non plus pour les nombreuses exactions et massacres commis depuis leurs indépendances. Pas même de dédommagements de l’Afrique du Sud, dont les attaques aériennes et terrestres contre l’Angola avaient provoqué des dégâts évalués en 1988 par l’Onu à 12 milliards de dollars. On pourrait ajouter quelque 2 milliards de manque à gagner pour le barrage hydroélectrique de Cahora Bassa, au Mozambique, dont les lignes de haute tension avaient été systématiquement sabotées par la Renamo, les rebelles directement soutenus par l’Afrique du Sud. Se considérant autant victime des turpitudes du régime de l’apartheid que les pays voisins engagés à ses côtés, l’African National Congress (ANC), une fois au pouvoir, n’a pas donné suite aux demandes de compensations – d’autant que l’Angola n’en avait pas fait la condition de la normalisation des relations entre les deux pays, désormais frères.
Quant aux responsabilités des Angolais eux-mêmes au cours des premières dix-sept années de conflit – qui a impliqué directement les armées zaïroise, sud-africaine et une ribambelle de mercenaires engagés dès les premiers mois de 1975, avec les encouragements des États-Unis –, elles ont été effacées par les accords de paix de Bicesse (Portugal) en 1991. Ceux-ci ont été conclus après les accords de New York en 1989, qui ont sanctionné le retrait « définitif » de l’armée de Pretoria, contraint en même temps d’accepter un calendrier pour l’indépendance de la Namibie. Parrainés par les États-Unis, l’URSS et le Portugal, ils établissent les conditions de la fin du conflit entre le gouvernement angolais et l’Unita. Les « deux belligérants », traités presque à la même enseigne, sont appelés à désarmer leurs troupes et à fournir des contingents pour la formation de l’armée nationale avant la tenue des premières élections libres, le 30 septembre 1992. Bien que le gouvernement du président José Eduardo dos Santos reste en place pendant la transition, nombre de ses pouvoirs sont en réalité transférés à la Mission des Nations unies, censée superviser la mise en œuvre des accords avec la Commission conjointe constituée des deux parties. C’est donc une amnistie de facto qui s’opère.
Mais l’Unita rejette sa défaite électorale, pourtant confirmée par les Nations unies chargées de vérifier la procédure et le décompte des voix. Une nouvelle guerre commence où elle est en position de force. L’Unita n’a pas désarmé, à la barbe des observateurs des Nations unies qui n’ont pas tenu compte des dénonciations avancées par ses dirigeants qui entrent alors en dissidence. En 1993, le Conseil de sécurité de l’Onu condamne à trois reprises l’Unita et décrète un embargo sur les armes, le carburant et les diamants. Mais ce n’est qu’après une offensive majeure menée par l’armée angolaise, réorganisée en toute hâte, que l’Unita accepte le principe d’un nouvel accord de paix. C’est ce que sauvera la mise à son leader Jonas Savimbi, assiégé en novembre 1994 à Huambo par les forces du gouvernement, rendu légitime par sa victoire électorale.
C’est alors que le président Clinton intervient auprès de son homologue angolais pour qu’il permette le retrait de l’état-major de l’Unita, « dans le but de préserver toutes les chances de l’imminent nouvel accord de paix ». L’armée angolaise, disciplinée, se retire en bon ordre. Savimbi s’installe à 80 km plus au nord, à Bailundo, mais refuse de se rendre à Lusaka le 15 novembre pour la signature solennelle du Protocole de paix, malgré l’insistance des États-Unis et de Madeleine Albright en personne, accord négocié par les deux délégations dans plusieurs capitales africaines. Le secrétaire général de l’Unita, qui le signa à sa place fut arrêté à son retour à Bailundo sous les ordres de Savimbi, ainsi que son épouse.
Le « protocole de Lusaka » reprend l’essentiel des accords de Bicesse en y ajoutant la formation d’un gouvernement d’union et de réconciliation nationale de transition (GURNT) avec l’Unita, ainsi que l’attribution de la fonction (à créer) de vice-président pour Savimbi, contraint de quitter provisoirement le maquis et de s’asseoir à la même table que Dos Santos, à Libreville notamment.
Mais, en dépit de la formation du GURNT en 1997 et de l’intégration de dizaines de milliers de combattants et généraux de l’Unita dans l’armée nationale, Savimbi croit toujours à une victoire militaire. Il lance une puissante offensive, avec de l’armement nouvellement acquis grâce à ses diamants. Les tentatives de remettre le processus de paix sur les rails sont vouées à l’échec. La traque de Savimbi se poursuivra jusqu’à sa mort, en février 2002. La poignée d’officiers qui lui étaient restés fidèles signe un addendum aux accords de Lusaka. L’amnistie est décrétée pour les combattants, les cadres politiques se joignant à l’Unita légalisée depuis 1991.
Au Mozambique, après les accords de paix signés à Rome en 1994, grâce à la médiation de la communauté Sant’Egidio, un processus semblable s’enclenche : amnistie et légalisation de la rébellion de la Renamo. Seule différence : après sa victoire aux premières élections libres, le Frelimo refuse de constituer un gouvernement d’union nationale. « Pourquoi les Africains devraient-ils pratiquer une démocratie au rabais ? Celui qui gagne forme le gouvernement. Les perdants sont à l’opposition », déclarait le président Joaquim Chissano. Contrairement à l’Unita, longtemps choyée et soutenue par Washington qui ne voulait pas perdre la face, la Renamo n’avait plus de parrain. L’Afrique du Sud était entrée ans une nouvelle ère.