Le coup de force terroriste contre le complexe gazier d’In Amenas, organisé par Mokhtar Belmokhtar, a tourné au fiasco en se heurtant à la détermination des autorités. Le pouvoir n’a pas fléchi en relevant le défi.
Mokhtar Belmokhtar, l’ancien membre des Groupes islamiques armés (GIA), de sinistre mémoire, voulait frapper un « grand coup ». L’homme n’a aucun état d’âme. Surnommé le « Borgne » pour avoir perdu un œil dans un attentat en Afghanistan, dit aussi « Marlboro », du nom de la marque de cigarettes dont il s’est fait le contrebandier attitré dans le sanctuaire qu’il s’est taillé dans le Nord du Mali. Il a aussi mis la main sur le trafic de drogues dures acheminées d’Amérique du Sud à travers un autre État failli, la Guinée-Bissau, de divers produits de rapine et d’êtres humains. Il a proclamé son « indépendance » des autres groupes terroristes qui infestent le pays touareg : Al-Qaïda au Maghreb islamique, (Aqmi), Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), Ansar Eddine, en se soustrayant à la pesante tutelle de son rival de toujours, le sanguinaire Abou Zeid, dernier franchisé d’Al-Qaïda. Mokhtar Belmokhtar veut son « 11 septembre », à la manière de son mentor Oussama Ben Laden.
Il poursuit plusieurs objectifs : d’abord, renflouer son « trésor de guerre » en monnayant des otages sélectionnés parmi les ressortissants de pays occidentaux prêts à payer pour obtenir leur libération. Le trafiquant joue sur les petites lâchetés ordinaires des démocraties, plus sensibles aux sondages d’opinion qu’aux dommages collatéraux des guerres qu’elles provoquent. Il veut ensuite réaffirmer son leadership sur les bandes terroristes disséminées dans la vaste zone désertée par le pouvoir malien. Son ambition est d’étendre son autorité au sud de l’Algérie, dont il avait été chassé ces dernières années, et surtout vers la Libye, dans cette province du Fezzan où les tribus en révolte sont en roue libre face à un pouvoir défaillant. Mégalomanie et immaturité confondues, il aspire à se faire couronner roi d’un Sahelistan, royaume de tous les trafics vers l’Europe et l’Asie.
Ces objectifs n’ont qu’un lointain rapport avec l’intervention française au Mali, démarré le 11 janvier pour contrer l’avancée des islamistes sur Bamako, à la demande du gouvernement malien. Avec ou sans elle, les experts de l’antiterrorisme sont convaincus que Belmokhtar aurait tôt ou tard tenté son coup. Mais il saisit l’opportunité – ou le prétexte – de l’intervention française pour précipiter les choses afin de donner un maximum de retentissement médiatique à un acte de guerre qui vise essentiellement l’Algérie. Le chef mafieux veut la frapper au cœur, en atteignant cette richesse pétrolière qui lui fournit les moyens de son développement économique et social. Il jette son dévolu sur le complexe gazier d’In Amenas, à une centaine de kilomètres de la frontière algéro-libyenne, transformée en passoire depuis le renversement de Mouammar Kadhafi par la coalition de l’Otan conduite par le tandem franco-britannique Sarkozy-Cameron. La circulation d’engins de mort et de divers trafics ne cesse plus entre les deux pays.
C’est en la franchissant que les terroristes, venant du Nord Mali, lourdement armés (armes automatiques, grenades, explosifs, lance-roquettes, mortiers et missiles sol-air avec rampes de lancement, butin du pillage des armureries de l’ancien régime libyen abandonnées à ciel ouvert dans la déroute), ont débarqué à l’aube du 16 janvier sur le site gazier. Entassés à bord de véhicules 4×4 – nouveaux dromadaires des déserts – et affublés de treillis militaires afin de passer inaperçus, ils comptent sur l’effet de surprise, leur atout maître, pour effectuer leur razzia parmi les techniciens étrangers, faire sauter les installations encore sous pression et s’évanouir dans le désert.
Mais l’effet de surprise n’est pas total. Les services de sécurité commencent par repousser l’attaque d’un minibus transportant des ingénieurs et des techniciens étrangers du complexe gazier, en route vers l’aéroport d’In Amenas. L’accrochage se solde par deux morts : le chauffeur algérien et un Britannique. Selon toute vraisemblance, ce n’était qu’une diversion car, au même moment, une autre colonne terroriste arrive à la « base-vie » du site, à trois kilomètres de là. Les agresseurs abattent l’agent de sécurité, Mohammed Amin Lahmar, qui refuse d’ouvrir les grilles et se lancent à la chasse des employés algériens et étrangers.
La confrontation prend alors une autre tournure, avec pour théâtre la base-vie, avant de se prolonger à l’intérieur du complexe où les forces spéciales vont traquer un à un les fugitifs du commando qui tentent de s’abriter dans la forêt de tuyaux d’acier, dans l’espoir de prendre la fuite. Entre-temps, un périmètre de sécurité est érigé autour des installations, survolées sans répit par des hélicoptères afin de ne laisser aucune échappatoire aux ravisseurs. Un convoi qui tente une escapade avec des otages est réduit en boule de feu par des missiles lâchés d’un hélicoptère.
L’assaut est ordonné rapidement, à la grande surprise des terroristes qui se préparaient à gagner du temps pour monter leurs rampes de lancement et miner le maximum de terrain sous les pieds de leurs poursuivants. Ils escomptaient aussi tirer bénéfice de longues heures d’intox, durant lesquelles ils projetaient de se faire passer pour des victimes auprès de l’opinion internationale. Leur logistique médiatique était prête : ANI, une agence de presse mauritanienne jusque-là inconnue, dont ils ont loué les services dès les premières heures de l’attaque, et la télévision qatarie Al-Jazeera, qui a ouvert ses ondes au chef du commando, Al Barraa, alias Amine Bencheneb, pour qu’il narre ses « exploits », proclame ses revendications et exerce un honteux chantage sur les gouvernements concernés. Avant de tomber sous les balles de l’armée, Al Barraa aura eu le temps de proférer quelques énormités, dont on se demande comment elles ont pu faire l’objet « d’alertes » et défiler en bandeaux sur nombre de télévisions étrangères sans susciter la moindre interrogation sur leur crédibilité.
Pour les Algériens, des lignes rouges ont été tracées dès le début de l’opération. Elles découlent d’une doctrine réaffirmée tout au long de la « décennie rouge », lorsque l’Algérie combattait seule le fléau terroriste : pas de négociation, pas de rançon et aucun bénéfice politique pour les « émirs » pour lesquels l’islam n’est qu’un prétexte à leurs forfaits. Le seul choix qui n’ait jamais été laissé aux terroristes est de se rendre ou de périr. Pour ce qui est du sort des otages, il dépendait moins des forces de sécurité, dont le professionnalisme et l’éthique sont reconnus, que de l’obstination des ravisseurs transfigurés en desperados prêts au suicide. C’est la loi du genre dans toutes les opérations de sauvetage aussi complexes que celle qui vient de se dérouler à In Amenas. Parmi les quarante-deux membres du commando terroriste figuraient, aux côtés d’Algériens, des kamikazes de huit nationalités différentes : dont onze Tunisiens et un Canadien (qui coordonnait les opérations), des Nigériens, Mauritaniens et Égyptiens. Ils ont bénéficié de la complicité d’un ancien chauffeur nigérien du complexe nommé Zaïd, qui connaissait les lieux et avait fait les repérages indispensables. Vingt-neuf ont été tués et trois ont été capturés vivants.
Fidèles à leur doctrine, les autorités algériennes ont commencé par faire intercéder des notables pour que les ravisseurs relâchent leurs otages sains et saufs et se rendent sans condition. Ce qui infirme l’image de « brutale rigidité » qu’on a voulu leur accoler. Mais une fois leur proposition rejetée par les ravisseurs fanatisés, il ne leur reste plus qu’à se résoudre à l’assaut pour libérer le maximum d’otages, qui ne sont pas seulement étrangers, mais aussi en très grande majorité algériens. Douloureux dilemme, car les autorités se doutent forcément qu’une attaque frontale ne se passera pas sans pertes parmi les otages, utilisés cyniquement comme boucliers humains par leurs geôliers. Certains sont ceinturés d’explosifs ou ligotés sur des rampes de lancement. D’autres sont cachés sous leur lit ou dans les faux plafonds en attendant les secours.
L’assaut se déroule en plusieurs étapes. Un premier groupe d’otages, étrangers et algériens, est d’abord libéré et dix-huit terroristes éliminés. La « gestion » des Algériens, peu monnayables aux yeux des ravisseurs soumis à l’implacable pression de l’armée, devient insoutenable au fil des heures. Ce qui leur permet de s’échapper en prenant tous les risques. La seconde phase, plus délicate et plus longue, consiste en une traque au millimètre à l’intérieur du complexe industriel, partiellement miné par les terroristes. Elle se dénouera autour de la salle de machines occupée par une dizaine de ravisseurs qui s’y sont retranchés avec sept de leurs captifs. Voyant l’étau se resserrer inexorablement, ils commettent l’irréparable en exécutant leurs otages avant de tomber sous les balles des forces spéciales. Au total, trente-sept otages étrangers périrent dans la tragédie, la plupart froidement exécutés. Sept autres manquaient à l’appel à la fin de l’assaut.
Pour Mokhtar Belmokhtar, l’aventure se solde par une totale déconfiture. Dans cette expédition meurtrière, il a perdu un commando aguerri d’une quarantaine de personnes, toutes tuées dans l’assaut. Il lui sera difficile de reconstituer ses forces avant longtemps. Au lieu de conforter son leadership sur un « Sahelistan » fantasmé, il aura consommé ce qu’il lui restait d’autorité et perdu pour longtemps la partie. Les plumes qu’il a laissées à In Amenas pèseront très lourd dans le rapport de force avec ses rivaux à l’affût. Il est déjà échec et mat.
Hormis quelques voix discordantes et certaines postures ambiguës, l’Algérie, qui a une nouvelle fois assumé en pleine souveraineté une opération particulièrement complexe qu’elle a menée seule de bout en bout, sans aucune assistance technique de quelque nature que ce soit, a recueilli de précieux soutiens internationaux. Ils sont venus notamment de Washington, Londres et Paris, ainsi que de l’Onu. Impressionnés par sa détermination à ne rien céder aux terroristes, ces derniers ont rejeté la responsabilité des pertes humaines sur les ravisseurs. Ils savent qu’ils pourront compter sur Alger pour éradiquer jusqu’au dernier les narcotrafiquants terroristes du Sahel. Pour le journal online, L’Algérie patriotique, il faudrait aussi qu’ils en tirent la leçon pour cesser d’« encourager les soulèvements dans les pays arabes au risque d’adouber les islamistes radicaux comme c’est le cas en Syrie, où la France s’acharne à faire tomber le régime sans en mesurer les graves conséquences ».