Jean-François Bayart, africaniste, chercheur au CNRS, spécialiste de sociologie historique comparée, a apporté un percutant éclairage sur la crise malienne (1) dans la rubrique « Le grand débat » du journal Le Monde.
« Il est légitime de s’interroger sur la pertinence de l’opération Serval, que la France a déclenchée seule, contrairement à ce qu’affirmait vouloir François Hollande. Mais ce dernier n’a guère eu le choix, sauf à se résigner à la conquête de Bamako par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et ses alliés, sans être certain de pouvoir en évacuer à temps les quelque 6 000 Français et 1 000 Européens qui y résident. »
Jean-François Bayart prend le contre-pied des critiques au sujet de l’isolement de Paris : « Dans les heures qui ont suivi le déclenchement de l’opération Serval, la France a obtenu le soutien de l’Union africaine, pourtant exaspérée par la guerre de Libye de 2011, l’appui logistique des États-Unis et de la Grande-Bretagne, l’approbation diplomatique plus ou moins chaleureuse de ses partenaires européens, de l’Afrique du Sud, de la Russie et de la Chine, l’envoi de premiers détachements ouest-africains et, chose plus inouïe encore, le quitus de l’Algérie, qui a ouvert son espace aérien aux avions français. »
Il s’empresse cependant d’affirmer que « l’intervention militaire ne suffira pas pour vaincre le djihadisme ». « Politiquement, le défi est plus redoutable encore. La classe dirigeante malienne s’est décomposée alors même qu’elle doit imaginer un nouveau modèle d’État-nation qui accorde au Nord une véritable autonomie et un large transfert de compétences, et qui parvienne à trouver un nouvel équilibre entre la laïcité de la République et l’islamisation croissante de la société », souligne-t-il.
C’est sur le terrain social, avertit-il, que tout se jouera : « L’enjeu foncier est crucial, qu’exacerbent la dégradation de l’environnement et la désertification. Si le Mali présente une analogie avec l’Afghanistan, peut-être est-ce d’abord là qu’il faut la trouver. La guerre civile porte sur l’accès à la terre arable, les relations entre éleveurs et agriculteurs, la répartition de l’eau, l’investissement immobilier en ville. Ce que l’on nomme les conflits ethniques renvoie en réalité, le plus souvent, à des luttes agraires sur lesquelles se sont greffés les mouvements djihadistes. »
La France, partenaire historique du Mali, premier pourvoyeur d’aide bilatérale, s’est pourtant interdite, depuis des décennies, toute réflexion approfondie sur des sujets qui fâchent et qui sont au cœur de la crise du Sahel : immigration, aide publique au développement, prohibition des narcotiques, constitution d’un système régional d’alliances militaires. Ainsi, insiste-t-il : « Sous les effets de l’austérité budgétaire, de la lutte obsessionnelle contre les flux migratoires et de la priorité accordée à la construction européenne, les mécanismes d’arrimage, sinon d’intégration, entre Paris et le sous-continent se sont en partie corrodés pour laisser place à une gestion affairiste ou policière de leurs relations. »
(1) « Mali, le choix raisonné de la France », Le Monde, le 23 janvier 2013.