Au palais du peuple de Conakry, le 21 décembre 2010, Alpha Condé, élu président de la République à l’issue du 2e tour de l’élection présidentielle du 7 novembre, prononçait un vibrant discours d’investiture, dans lequel il esquissait les grandes lignes de son action à la tête de la Guinée. Le premier président démocratiquement élu après plus d’un demi-siècle d’indépendance se posait en « Nelson Mandela » de la Guinée venu réconcilier tous les Guinéens, et en chantre du changement ouvrant une nouvelle ère de développement économique et de prospérité pour son pays.
Deux ans plus tard, le bilan est controversé, pouvoir et opposition ayant des lectures radicalement différentes des années de présidence de l’ancien « opposant historique ». Pour Alpha Condé, qui rappelle volontiers dans quel état de délabrement il a trouvé le pays, la Guinée va nettement mieux et se trouve sur une pente ascendante. Le nouveau régime en donne pour preuve principale l’atteinte, en septembre 2012, du point d’achèvement de l’initiative pays pauvres très endettés (PPTE) de la Banque mondiale. Il a permis d’alléger le fardeau de la dette publique extérieure dont le service pesait énormément sur les finances publiques, limitant les capacités d’investissement de l’État.
Avec le point d’achèvement, la Guinée a obtenu de ses créanciers extérieurs un allégement de sa dette publique de 2,1 milliards de dollars, selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Pour ce pays, cet allégement représente « une réduction de 66 % du futur service de sa dette extérieure sur une période de quarante ans ». Les deux institutions de Bretton Woods ont apporté de l’eau au moulin du gouvernement, en estimant que la Guinée avait accompli des « progrès satisfaisants ». L’impact de la mesure est de taille : avec un peu plus de 3 milliards de dollars de dette accumulée, le pays devait rembourser, jusque-là, 170 millions de dollars d’intérêts à ses créanciers. Soit l’équivalent d’un tiers des dépenses courantes de l’État.
C’est un écueil important que la Guinée a ainsi franchi sur la voie du redressement de son économie durement affectée par la mal gouvernance, une pauvreté touchant la moitié de la population et un niveau élevé d’endettement (300 % des exportations à fin 2010), avec accumulation des arriérés vis-à-vis de la plupart des partenaires financiers internationaux. Mais il faut davantage que cette remise de dette pour faire décoller une économie toujours handicapée, relativise l’opposition. L’un de ses porte-voix, l’ancien premier ministre Sidya Touré, fustige l’amateurisme des nouvelles autorités. D’après lui, elles auraient dilapidé les opportunités d’investissement qui se sont présentées au lendemain de l’élection de 2010, alors considérée comme sonnant le réveil de la Guinée. Pour cet opposant arrivé en 3e position derrière Alpha Condé, au premier tour de la présidentielle de 2010, le pays court à la faillite économique.
« Guinée is back », avait lancé Alpha Condé à son investiture. Deux ans plus tard, « on n’a encore rien vu », peste cet hôtelier de la commune de Ratoma à Conakry, qui a dû acheter de nouveaux groupes électrogènes pour assurer la desserte en électricité de son réceptif, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le nouveau gouvernement a bien engagé des actions pour faire face au rationnement de l’électricité dans la capitale et les grandes villes du pays. Mais, ces efforts se sont révélés insuffisants. Au moment où Condé célébrait sa deuxième année de présidence, une bonne partie de la capitale était plongée dans le noir, et les quartiers ne recevaient l’électricité que quelques heures par jour. « Difficile de développer l’industrie dans un tel contexte », se désole un opérateur économique qui envisageait de construire une poissonnerie industrielle à Conakry.
Dans le monde rural aussi, le gouvernement a esquissé des programmes volontaristes de distribution d’engrais et d’intrants pour favoriser la productivité agricole. Mais, l’opposition dénonce l’opacité de ces opérations qui en aurait affecté les résultats. De manière générale, opposants et associations de la société civile estiment que la corruption continue de sévir, en dépit des mesures annoncées au début de la présidence Condé.
Le dernier rapport de l’organisation Transparency International place la Guinée au 154e rang des 174 pays recensés sur l’échelle de la corruption. Ce qui a été interprété par les autorités comme un signe d’amélioration de l’indice de perception de la corruption. Sur ce chapitre aussi, le bilan ne fait pas l’unanimité. Le nouveau pouvoir a certes lancé des initiatives sérieuses comme l’adoption de l’unicité des caisses pour réduire les risques de déperdition, ou encore la poursuite des audits des entreprises publiques afin d’identifier les poches de détournements et de les éliminer. Mais la Guinée reste toujours parmi les dix pays africains les plus corrompus. Ce qui, ajouté à un environnement des affaires mal assaini, ne favorise guère l’arrivée des gros investisseurs tant attendus pour relancer vraiment l’économie et créer des emplois.
Résultat, se désole Kouyaté Drima, étudiant à l’université Gamal-Abdel-Nasser de Conakry, bien qu’étant le premier exportateur mondial de bauxite et disposant de l’une des plus importantes réserves en minerai de fer du monde, la moitié des 11 millions d’habitants de la Guinée vit en dessous du seuil de pauvreté, et le taux d’analphabétisme de la population dépasse 70 %.
Pour ne rien arranger, la vie des personnes luttant contre la corruption et les détournements de fonds publics, sport national en Guinée depuis des lustres, est menacée. Début novembre, la directrice générale du Trésor, Aïssatou Boiro, a été assassinée dans le quartier chic de Kipé à Conkry, par « un individu vêtu d’un uniforme de l’armée guinéenne », à en croire des témoins. Selon des sources proches des milieux économiques, cette mère de famille de quatre enfants a été à l’origine du démantèlement d’un réseau qui avait tenté, en mai, de détourner plus de 13 milliards de francs guinéens (1,5 million d’euros) de la Banque centrale de Guinée impliquant plusieurs cadres du Trésor public, du ministère des Finances et de la Banque centrale. Officiellement, l’enquête sur ce crime se poursuit.
Quant au chantier de la réconciliation nationale, où le chef de l’État se rêvait en Mandela, il est au point mort. Les affrontements de Guéckédou en Guinée forestière, où des populations s’en sont prises au préfet activiste de la localité, ont à nouveau révélé l’ampleur des tensions sociales et ethnopolitiques latentes. Les communautés ethniques, qui se sont violemment mesurées à l’occasion de la présidentielle, n’ont pas cessé de se regarder en chiens de faïence, sur fond de précampagne pour des élections législatives sans cesse reportées.
Ces élections, censées sortir définitivement la Guinée de la transition politique, devaient avoir été organisées depuis plus d’un an. La Guinée évolue depuis deux ans sans pouvoir législatif élu, ce qui fait dire à l’ex-premier ministre et leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Cellou Dalein Diallo, que la Guinée vit sous l’arbitraire et la dictature. « Nous ne sommes pas encore sortis de la transition en Guinée », souffle un militant. L’opposition, qui accuse le chef de l’État de bloquer le processus électoral pour pouvoir gouverner à sa guise, a organisé diverses manifestations pour se faire entendre. Condé a coupé la poire en deux : il a accepté la recomposition de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), dont le travail avait été très critiqué il y a deux ans. Mais la question du remplacement de l’opérateur sud-africain, désigné unilatéralement par le pouvoir pour purger le fichier électoral, reste pendante. Alors que les négociations sur le chronogramme des législatives se poursuivaient, le président de l’instance est allé annoncer, nuitamment, que le scrutin parlementaire aurait lieu le 12 mai 2013. Estimant n’avoir pas été consultés, les dix représentants de l’opposition au sein de cette commission s’en sont désolidarisés, ce qui est de mauvais augure pour la suite.
La violence politique dont on croyait la Guinée guérie après l’élection de Condé est omniprésente. La répression des manifestations a été dure, par moments. Et le président lui-même a essuyé un pilonnage à l’arme lourde de son domicile de Kipé. Il l’a présenté comme une tentative d’assassinat, mais une partie de l’opinion n’y a vu qu’une opération montée pour purger la hiérarchie militaire d’éléments devenus indésirables. Le procès d’environ une quarantaine de militaires et civils, présentés comme étant impliqués dans cette affaire, a commencé début décembre. L’autre procès le plus attendu par la population, celui des responsables des massacres du stade du 28 septembre 2009 à Conakry, ne s’est toujours pas ouvert. Donnant le sentiment qu’en Guinée les pouvoirs se succèdent, mais l’impunité demeure.