Le Moi peut être appelé Shiva / Keshava ou Mahavir / Ou Bouddha né du lotus. / Quel que soit son nom, / Qu’il délivre la pauvre chose que je suis / Des afflictions du monde. / Shiva est omniprésent. / Ne voyez pas de différences entre hindous et musulmans / Si vous êtes sages / Vous reconnaîtrez votre vrai Moi / Qui est votre relation au Seigneur.
Paroles de Lalla Arifa ou Lalleshwari. Une réincarnée pour les hindouistes au Cachemire, une sainte mystique pour les musulmans. Née en 1335, selon certaines études, dans une famille de brahmanes hindouistes, elle quitte famille et maison pour la recherche spirituelle. Bien avant sa naissance, les Cachemiris d’alors, hindouistes dans leur majorité et bouddhistes pour d’autres, sont inspirés par les soufis, souvent de provenance d’Asie centrale, ou l’islam est lui-même influencé par le bouddhisme. Le premier grand saint soufi de la région était Hazrat Sharaf-ud-Din Abdul Rehman, dit populairement Bulbul (« rossignol ») Shah. Probablement originaire d’Asie centrale, il répand le soufisme dès le début du xive siècle, propageant une synthèse du bouddhisme, de l’hindouisme et de l’islam. Ce dernier devient à partir de ce moment-là la religion majoritaire.
Avant l’Empire britannique, le Cachemire est dominé par des dynasties hindouistes, bouddhistes, musulmanes, et même afghanes et sikhs. En 1846, le gouvernement colonial vend la province au prince hindouiste Gulab Singh. Elle devient alors un des 560 « États princiers » apparemment indépendants du gouvernement impérial britannique, mais dans les faits strictement contrôlés par celui-ci. En échange, les dirigeants britanniques permettent aux princes ou maharadjahs d’accumuler d’énormes richesses sur le dos de leurs peuples.
Les problèmes actuels de Cachemire naissent en 1947, lors de l’indépendance de l’Inde et du Pakistan. Suivant l’accord entre les dirigeants britanniques, indiens et pakistanais, les provinces majoritairement musulmanes de l’Empire doivent constituer le nouveau Pakistan, même si les populations de ces régions n’en veulent pas. Pour les « États princiers », l’accord donne droit aux maharadjahs de choisir entre l’Inde ou le Pakistan. Or la population cachemirie, majoritairement musulmane, penche plutôt en faveur de l’indépendance. Leur maharadjah, incapable de choisir, opte pour une sorte de neutralité. Cela ne plaît guère au Pakistan qui fait envahir Srinagar, la capitale du Cachemire, par des combattants tribaux. Effrayé, le maharadjah Hari Singh fat appel à l’Inde et signe l’accession de son État à ce pays. Le Pakistan, du coup, mobilise son armée et occupe une partie du Cachemire. L’Inde met en marche la sienne et en sait une partie plus importante.
En 1948, les Nations unies exigent que le Pakistan puis l’Inde retirent leurs troupes, et que les Cachemiris décident de leur sort par un plébiscite. Le Pakistan refuse de bouger, donc l’Inde aussi. Aucun plébiscite n’a lieu. Et les deux tiers du Cachemire historique sont rattachés à la Fédération indienne.
Le Cachemire indien, appelé Jammu-and-Kashmir, a une population de 12,5 millions d’habitants, dont près des deux tiers sont musulmans. La partie contrôlée par le Pakistan compte environ 4 millions de personnes. Au Pakistan comme en Inde, cette région pittoresque est aussi parmi les plus pauvres. Pour la partie indienne, l’agriculture et le tourisme demeurent des secteurs dominants. L’industrialisation est plus lente qu’ailleurs. Les musulmans, souvent ouvriers agricoles ou petits propriétaires, sont démunis. Plus d’un sur cinq vit sous le seuil de la pauvreté, contre un sur vingt pour les hindouistes. D’où la révolte de 1989 chez les Cachemiris miséreux, musulmans en l’occurrence, à laquelle répondent les militaires indiens dépêchés par New Delhi. Au Pakistan, les dirigeants successifs se mettent à faire du tapage sur le thème : libérons le Cachemire du joug indien. Résultat, la répression indienne aura fait pas loin de 80 000 morts dans la Kashmir Valley, où les musulmans sont majoritaires.
Pour de nombreux analystes indiens, le conflit sur le Cachemire a été encouragé par des grandes puissances. La Grande-Bretagne, épaulée par les États-Unis, a poussé le Pakistan à l’intransigeance, écrit le politologue Saroja Sundarajan (1). En 1951, les États-Unis et le Royaume-Uni ont cherché à faire déployer des troupes étrangères dans la région. Peu après, Washington a commencé à envoyer de l’aide au Pakistan. Le professeur Sundarajan cite les mémoires de Francis Tucker, le dernier général commandant les forces en Inde orientale. Tucker écrit que l’establishment militaire britannique souhaitait la création d’une « nouvelle puissance musulmane soutenue par la science britannique ». Il prévenait ses supérieurs à Londres que l’hindouisme marqué de « superstition et du formalisme » pouvait être vite supplanté par « une philosophie matérialiste comme le communisme ».
(1) Kashmir Crisis – Unholy Anglo-Pak Nexus : Saroja Sundararajan ; Kalpaz Publications, Delhi, 2010.