Ceux qui croient encore que la gauche française a une diplomatie de gauche feraient bien d’ouvrir enfin les yeux. Le logiciel qui a guidé les pas de la diplomatie française depuis la fin de la guerre froide est le même : nul, inopérant et dangereux. La copie piratée des centres de décision outre-Atlantique et des think tanks néoconservateurs américains. Si loin de la diplomatie indépendante initiée par le général de Gaulle…
Cet effacement de la diplomatie et son embrigadement sous la bannière étoilée, François Mitterrand (1981-1995) les avait inaugurés en mettant les troupes françaises sous commandement américain, lors de la première guerre américaine contre l’Irak en 1991. Cela avait conduit son ministre de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, à démissionner au « nom d’une certaine idée de la France ». À la suite de cette guerre, Roland Dumas, son ministre des Affaires étrangères, avait déclaré l’enterrement de la politique arabe de la France, « une illusion ». À l’époque, un autre (grand) ministre des Affaires étrangère sous Pompidou, Michel Jobert, en réponse à la question : « Que reste-t-il de la politique arabe de la France ? » avait répondu : « Barbès Rochechouart ! » Deux mots qui lui avaient valu le prix de la meilleure phrase de la presse politique de l’année 1991.
L’ancien président Jacques Chirac (1995-2007), malgré un éphémère sursaut de gaullisme en 2003, quand la France s’est courageusement opposée à la guerre illégitime contre l’Irak, a poursuivi dans la voie du reniement, qui fait l’objet d’un livre remarquable de Richard Labévière (Le Grand Retournement, Le Seuil, 2006) où il explique, preuves à l’appui, « comment le président Jacques Chirac [a] sacrifié quarante ans de diplomatie française sur l’autel de l’homme d’affaires (libano-saoudien) Rafic al-Hariri ». Plutôt que de récolter les fruits de son opposition à la guerre contre l’Irak, qui lui a valu le respect et l’admiration de l’opinion publique mondiale, il a préféré brader ce capital de sympathie pour des intérêts personnels mais, surtout, par manque de vision stratégique, en se soumettant entièrement à la politique américaine de Bush, à peine trois mois après l’invasion de l’Irak !
Nicolas Sarkozy (2007-2012) n’a pas dérogé à cette diplomatie d’amateurisme et de soumission en annonçant, quelques mois après son arrivée au pouvoir, la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan). De Gaulle, qui en avait retiré son pays en 1966 pour ne pas s’aplatir devant l’Oncle Sam, a dû se retourner dans sa tombe.
Cette politique qui a eu des conséquences catastrophiques au Proche-Orient, en Libye et au Mali, est toujours de mise avec l’actuel président socialiste François Hollande. Pis : l’amateurisme s’est renforcé depuis son arrivée à l’Élysée en mai dernier. Tout cela au nom d’une idéologie des droits de l’homme et d’un droit d’ingérence à géométrie variable. On l’a vu d’une manière choquante avec le conflit israélo-palestinien où la France a brillé non seulement par son effacement, mais aussi par sa partialité. Dans son 59e engagement de campagne, Hollande avait écrit : « Je prendrai des initiatives pour favoriser, par de nouvelles négociations, la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine. Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l’État palestinien. »
On sait maintenant ce que ce « soutien » veut dire. Il a déroulé le tapis rouge à Netanyahou dans une affaire franco-française et critiqué devant lui« la tentation pour l’Autorité palestinienne d’aller chercher à l’Assemblée générale des Nations unies ce qu’elle n’obtient pas dans la négociation ». Mahmoud Abbas, fragilisé, discrédité et méprisé par ce même Netanyahou, se passerait bien d’un tel soutien ! En épousant la thèse israélienne, Hollande est même en recul par rapport à Sarkozy, l’ami inconditionnel d’Israël, qui, lui, avait soutenu l’admission de la Palestine à l’Unesco ! Que la France ait voté, le 29 novembre, pour cette admission en tant qu’État non membre ou qu’elle se soit abstenue, le mal est fait.
Faut-il mettre la diplomatie bancale de Hollande sur le compte de sa méconnaissance des relations internationales ? Est-il mal conseillé ? Son penchant droit-de-l’hommiste lui dicte-t-il ses choix ? Est-ce tout cela à la fois ? Si la maladresse et l’hésitation semblent avoir guidé ses pas en Afrique (Mali, RDC en particulier, où il est loin d’avoir affirmé sa rupture avec la Françafrique, comme l’ont proclamé tous ses prédécesseurs sans jamais l’avoir fait…), la continuité est la ligne directrice. Cela est criant concernant le dossier syrien où « la diplomatie du n’importe quoi » domine, selon l’expression du contre-amiral François Jourdier. En prenant l’initiative de reconnaître comme « la seule représentante du peuple syrien » la Coalition nationale syrienne, un groupement d’opposants auto-cooptés, élus par personne, dominés par les islamistes et sponsorisés par les « démocraties » du Golfe, l’amateurisme présidentiel en devient inquiétant. La France mérite mieux que cela. Non seulement, elle n’a pas les moyens d’une telle politique, mais elle piétine aux pieds les principes les plus élémentaires du droit international.