Avec des pétrodollars en abondance, qu’est-ce qu’on n’obtiendrait pas ! L’émir du Qatar, l’une des plus grandes fortunes mondiales, avait, dans un soudain accès francophile, mollement émis le souhait de voir son pays faire partie de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Et puis, miracle ! Le monarque a été surpris lui-même par la rapidité avec laquelle l’OIF a fait droit à sa requête. Le 13 octobre à Kinshasa, où le président français François Hollande venait de donner des leçons de démocratie et d’incompatibilité entre la langue française et la violation des principes démocratiques, le Qatar a été admis, directement, comme membre associé de la Francophonie.
La règle habituelle veut que le pays demandeur passe d’abord par le statut d’observateur. Le Qatar a été dispensé de cette formalité : on ne fait pas attendre un émir pressé, surtout par temps de crise financière en Europe. Surtout, on ne se pose pas trop de questions sur le système politique d’un pays regorgeant de liquidités, qui investit à tour de bras dans les fleurons de l’économie européenne et française, et s’apprête à injecter 100 millions d’euros dans les banlieues françaises.
François Hollande, autoproclamé président normal, a fait dans la normalité, en n’ayant mot à redire à l’admission instantanée du Qatar. Son prédécesseur Nicolas Sarkozy n’aurait pas agi différemment : on ne refuse rien à Son Altesse Sérénissime Hamad Bin Khalifa al-Thani. Hollande voulait tout dire à Kinshasa. Il a multiplié les leçons de droits de l’homme en direction du président congolais, accusé d’avoir organisé de mauvaises élections et de violer les droits humains.
Très démonstratif et hargneux contre le président du plus grand pays francophone au monde – 70 millions d’habitants qui parlent évidemment tous le français –, le chef de l’État français a perdu de la voix face aux Qataris, dont l’amour pour la démocratie et la langue française reste anecdotique. Face aux pétrodollars de l’émir, la Francophonie a ravalé sa charte. Le pays qui finance en Afrique de l’Ouest la prolifération d’écoles coraniques, en prenant souvent la place d’écoles françaises, s’est vu dérouler le tapis rouge à Kinshasa.
Le Qatar, où l’accession au pouvoir se fait selon la filiation et les origines, a été appelé à la table des démocrates francophones. Si Kabila a été réélu à l’issue d’élections contestées, l’émir du Qatar, devenu très respectable, a accédé au pouvoir en 1995 par un coup d’État. Il avait en effet déposé son propre père qui avait, quant à lui, déposé son cousin pour accéder au trône. Depuis 1995, il n’y a eu aucune élection présidentielle au Qatar et l’Assemblée partiellement élue pour donner des illusions de modernité politique est purement consultative.
Au Qatar, c’est la famille Al-Thani qui concentre tous les pouvoirs. Tout se décide entre quatre personnes, dont aucune n’a été élue : Son Altesse l’émir, son fils Tamin, de plus en plus associé à la gestion du pays, sans doute dans l’optique de la succession de son père, une de ses épouses, Cheikha Mozah à la tête de la puissante Qatar Foundation, et le premier ministre Hamad Bin Jassem al-Thani, le big boss de l’autorité ayant en charge les investissements de l’émirat. Ces traits caractéristiques de la démocratie qatarie, personne n’en a parlé au fameux sommet de Kinshasa, qu’un délégué ouest-africain, excédé par tant d’hypocrisie et de business-diplomatie bruyante, a qualifié de « grande foutaise ».