Du 27 au 30 août dernier, à Tampa, en Floride, la convention républicaine a – sans surprise – investi Mitt Romney comme candidat à la présidence et Paul Ryan, député de Wisconsin, comme vice-président. Membre de l’Église mormone et riche à millions, Romney, le candidat « flip-flop » (girouette) traîne quelques casseroles notoires. On gardera de lui son refus de rendre public le montant de ses impôts. Sous la pression, il aura fini par admettre avoir payé 13 % d’impôts depuis des années, somme inférieure à celle due par la plupart de la classe moyenne. On aura également appris à cette occasion qu’il cache une grande partie de sa fortune dans des paradis fiscaux. Parmi ses revirements célèbres, l’avortement. Il y était favorable en 2002 mais s’y déclare aujourd’hui fermement opposé, sauf en cas de viol. Retournement identique sur les questions du réchauffement climatique, des gays dans l’armée, etc. S’agissant de l’« Obamacare », la réforme sur la santé du président, Mitt Romney avait juré de la faire annuler dès son premier jour de présidence ; le 9 septembre dernier, il annonçait qu’il allait en maintenir quelques éléments.
Côté programme, le candidat républicain promet une réduction des dépenses publiques de l’ordre de 500 milliards de dollars par an, une baisse générale des impôts, l’annulation de la réduction des dépenses du budget de la Défense nationale, la diminution massive des subventions publiques (services sociaux, éducation, aide étrangère, protection de l’environnement)… Moins d’État et plus de conservatisme, tel est son slogan. Farouchement contre l’immigration et défenseur du port d’armes, Mitt Romney apparaît désormais comme appartenant à l’aile la plus radicale du parti. Cela ne peut que réjouir Paul Ryan, qui a le mérite d’afficher une plus grande constance que son « supérieur ». Le colistier de Romney défend des projets de loi anti-avortement extrêmement durs, dans la même verve que son ami Todd Akin, le député républicain de Missouri, inventeur du viol « légitime » et « illégitime ». Il est également connu pour vouloir se débarrasser, à coup de coupes budgétaires, de tout projet à résonance sociale. Ses discours sont amplifiés par le fait qu’il est considéré comme le leader de la génération montante des républicains.
Romney met enfin en doute la capacité d’Obama à comprendre le pays. À la veille de la convention républicaine, il a glissé cette phrase qu’il corrigera plus tard : « Moi, au moins, personne n’a eu besoin de me demander mon certificat de naissance. »
La bévue de Netanyahou
Face à lui, Barack Obama, qui a gardé Joe Biden comme colistier, a pu défendre ses réalisations le 6 septembre à Charlotte, en Caroline du Nord, à l’occasion d’une convention électrisée par sa femme, Michelle, et suivie par un discours mémorable de Bill Clinton. « La vérité est qu’il nous faudra davantage que quelques années pour résoudre des problèmes qui se sont accumulés depuis des décennies. Il faudra un effort commun, une responsabilité partagée, et le genre d’expérimentations audacieuses et persistantes que Franklin Roosevelt a effectuées pendant la seule crise pire que l’actuelle », a expliqué le président.
À ceux qui prétendent que sa politique a amené à un plus grand rôle du gouvernement dans la vie des gens, il a répliqué : « Nous ne pensons pas que le gouvernement peut résoudre tous nos problèmes. Mais nous ne pensons pas que le gouvernement est la source de tous nos problèmes – pas plus que ceux qui bénéficient d’aides sociales, que les corporations ou les syndicats ou les immigrés ou les gays, ou n’importe quel autre groupe qu’on veut rendre responsable de nos malheurs. »
Les promesses non tenues du Parti démocrate, faute d’une majorité au Congrès, n’ont pas été éludées. Parmi elles, l’abolition de la loi supprimant toute limite au financement des partis et des candidats, la protection des centres de santé qui s’occupent des personnes sans assurance maladie, la reconnaissance du mariage homosexuel, le renforcement des droits de vote, la fermeture de Guantanamo, l’interdiction du port d’armes, l’adoption de mesures pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, la fin des niches fiscales, le droit des femmes à l’avortement, le maintien du Medicare/Medicaid, l’assurance-santé pour les plus démunis…
Au cours des conventions républicaine et démocrate, la politique étrangère n’a, comme d’habitude, guère pris beaucoup de place. L’enjeu le plus important reste bien entendu le Proche-Orient. En toile de fond, le programme nucléaire iranien : Barack Obama privilégie la diplomatie et les sanctions internationales, quand le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou parle de frappes militaires. Et c’est aussi sur le volet palestinien (la question des frontières, des colonies, etc.) que les deux hommes ont des relations tendues.
Fait inédit et très peu diplomatique, Netanyahou a dit soutenir Romney, dont la politique étrangère peut se résumer ainsi : laisser Israël faire ce qu’il veut en Iran et au Moyen-Orient. Une politique qui promet le pire ! Cette bévue – une ingérence israélienne dans les affaires des États-Unis jugée grossière – risque de coûter cher à Israël en cas de réélection d’Obama qui aura en effet plus de latitude d’exiger des concessions.
« Tirer d’abord et viser ensuite »
Dernier événement, et non des moindres, la diffusion d’un film anti-islam et ses conséquences dramatiques pour les représentations américaines dans le monde arabo-musulman. À commencer par l’attaque, le 11 septembre dernier, du consulat américain de Benghazi, en Libye, au cours de laquelle l’ambassadeur et trois autres Américains ont notamment été tués. Titrée L’Innocence des musulmans, cette vidéo blasphématoire, présentant un Prophète immoral et dépravé, a d’abord été montrée en anglais sur Youtube puis sous-titrée en arabe avec des images explicites qui ont mis le feu aux poudres. À l’origine de cette vulgaire pièce de série B, Nakoula Basseley Nakoula, un copte originaire d’Égypte, vivant désormais dans la clandestinité. Autre présence avérée sur le tournage, Steven Klein, un assureur californien affilié à l’extrême droite chrétienne évangélique, proche des milieux coptes et qui a montré par le passé son obsession d’un complot musulman. Klein fréquente l’Assemblée nationale copte américaine dirigée par Morris Sadek, un extrémiste proche du pasteur floridien Terry Jones qui avait menacé de brûler des exemplaires du Coran en public il y a un an. Cette affaire a mis au grand jour ce que peut engendrer l’association explosive entre fondamentalistes chrétiens américains et chrétiens d’Orient extrémistes, unis par l’islamophobie et l’utilisation perverse du 1er amendement qui garantit une liberté d’expression quasi illimitée aux États-Unis. Les protestations contre le film et les attaques contre les symboles de l’Amérique, qui ont gagné tout le monde arabo-musulman, présagent une longue période d’incertitude.
Aux États-Unis, des crises de ce type incitent généralement à la coopération plutôt qu’aux politiques partisanes. En reprochant au président Obama d’avoir « sympathisé avec des intérêts anti-américains dans le monde musulman », Romney a essuyé de vives critiques, y compris par de personnalités de son propre camp. « Lorsque nos territoires sont attaqués, la première réponse devrait être la colère, et non l’apologie de nos valeurs », avait-il notamment déclaré. Réplique cinglante du président américain : « Mitt Romney a tendance à tirer d’abord et viser ensuite… Quand vous êtes président, il est important de vous assurer que vos déclarations sont soutenues par des faits. En tant que président, c’est une des choses que j’ai apprises. Je laisserai le peuple américain juger si Romney a été irresponsable dans ses déclarations. »
Rarement on aura vu autant de furie dans la bouche de Romney, qui nous a pourtant habitués à ses écarts. À la clé, sans doute, le gain d’un avantage politique en vue de la présidentielle, alors que le moment tragique imposait plutôt la retenue. Pour l’heure, les sondages placent Obama en légère avance sur son rival. La campagne générale, lancée ce 1er octobre, donnera un plus au président en exercice sur sa politique étrangère, son action sociale et économique, et un moins sur le déficit du budget fédéral. Avant les trois débats présidentiels prévus les 3, 16 et 22 octobre, il ne faut pas négliger un dernier point : l’énorme quantité de dollars brassée par les amis de Romney. Car de plus en plus, aux États-Unis, « elections are money ». Résultat le 6 novembre.