Disons-le d’emblée : on a franchement ri en regardant La Vierge, les coptes et moi, sans prétendre y voir une thèse sur les us et habitudes de la communauté copte en Égypte ni, non plus, une œuvre de « propagande » déguisée destinée à diviser les chrétiens et les musulmans. L’auteur, Namir Abdel Messeeh, a surtout fabriqué un objet cinématographique tantôt cocasse, tantôt, tendre, parfois irritant, dans la grande veine autofictive de la création contemporaine. Ce trentenaire né en France de parents égyptiens coptes y raconte comment, en voulant faire un documentaire sur les apparitions de la Vierge en Égypte, il en est venu à vouloir reconstituer une apparition de Marie avec les habitants du village de sa famille maternelle, en Haute-Égypte.
À l’origine pas question de se mettre devant la caméra ni d’aller voir sa parentèle. Quoique. L’idée du documentaire a jailli au sein même de sa famille, en banlieue parisienne, il y a quatre ans. Quand, regardant une vidéo censée montrer la Vierge apparue à des centaines de milliers de pèlerins coptes à Assiout, en 2000, sa mère Siham s’exclame : « Là, je la vois ! » Namir esquisse le sourire goguenard de l’athée, mais s’interroge : croire, ne pas croire aux apparitions de Marie, « femme idéale » tant pour les coptes que les musulmans ? « J’avais là mon sujet de film », décide-t-il. Son père est sceptique : « Les uns vont te dire qu’ils l’ont vue, les autres qu’ils ne l’ont pas vue, résultat, c’est nul comme film. » Derrière tout cela, une crainte probable : le sujet de la religion et des rapports entre coptes musulmans est délicat dans ce pays.
Namir Abdel Messeeh n’en a cure : têtu et fantasque, comme il se donne à voir avec une gentille dérision dans le film, il convainc un producteur d’aller interroger les témoins de l’apparition de 1968 à Zeitoun, que des millions de personnes affirment avoir vue. Sauf que rien ne se passe comme prévu : l’enquête piétine, les témoins ne témoignent pas – surtout si l’intervieweur ose suggérer que l’événement aurait pu être organisé par le pouvoir pour fédérer le pays après la défaite de la guerre des Six Jours. « Même Nasser a vu la Vierge ! », lui rétorque-t-on.
Prétextant étendre le sujet, Messeeh brave l’interdiction formelle de sa mère, qui ne veut pas que l’on filme la pauvreté de la famille, et part au village. Son producteur, excédé, lâche le cinéaste. Qui, du coup, appelle au secours sa mère, ex-comptable à l’ambassade du Qatar et personnage haut en couleur, pour trouver et gérer l’argent restant. Dès lors, le film prend un tout autre chemin et Madame Mère, au départ si réticente, va se lancer à corps perdu dans l’entreprise saugrenue de son fils, occupant beaucoup l’écran…
C’est tout ce parcours que reconstitue Namir Abdel Messeeh, fictionnalisant la réalité et faisant jouer leur propre rôle aux villageois et aux membres de sa famille. Même si, derrière une évidente tendresse, son obstination frise parfois l’irrespect du refus d’autrui, on ne résiste pas à sa drôlerie, justement comparée à l’humour de Woody Allen. L’intention de départ – l’interrogation sur la foi – est sauve. Mais on n’en saura pas plus ni sur les apparitions de la Vierge, ni sur la place des coptes dans la société, ni sur leurs rapports avec les musulmans et le pouvoir. Seules les images du Caire, du village, de ses cultures irriguées et de ses paysans pauvres renvoient à une certaine réalité d’un pays qui fera sa « révolution » à la fin du film.
« Il t’est arrivé quelque chose avec la Vierge ? », questionne, inquiet, le cousin de Namir venu le chercher à l’aéroport. Oui, il est arrivé ce petit miracle d’un premier film ingénieux qui parvient à faire rire en dépit, reconnaissons-le, d’une absence flagrante de matière.
La Vierge, les coptes et moi, autofiction, franco-qatari-égyptien, 2011, 1 h 31. Sélections aux festivals de Cannes et de Berlin, primé au festival du film de Doha en 2011 et au festival d’Ismaïlia de 2012.