En Europe, on l’appelle la « dame de fer ». En Chine, la chancelière allemande Angela Merkel, dont les décisions font autorité dans l’espace européen, n’est plus qu’une « dame de velours ». Au moment où nous entamions notre visite à Beijing, à l’invitation du Parti communiste chinois (PCC), Mme Merkel, elle, quittait la capitale chinoise, le sourire aux lèvres. Et pour cause : elle venait d’obtenir de la deuxième puissance économique mondiale, dont les réserves de change s’établissent à plus de 3 200 milliards de dollars, l’assurance qu’elle continuerait à investir en Europe et à soutenir l’euro en pleine tempête. Beijing a toutefois assorti son aide à l’Europe de conditions : que les plans de relance européenne soient mieux exécutés.
Le voyage de Mme Merkel en Chine était le deuxième depuis le début de l’année. À sa suite, la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, s’est elle aussi rendue à Beijing, officiellement pour proposer ses services dans le règlement pacifique du contentieux opposant la Chine au Japon, allié des États-Unis, au sujet de la propriété de l’archipel convoité de Diaoyu (en chinois). Mais les objectifs des États-Unis dans la région sont désormais connus : empêcher la superpuissance chinoise en gestation d’aboutir et de contrôler la région Asie-Pacifique, premier pôle de croissance dans le monde.
Au moment où, dans une salle de presse du département communication du ministère chinois des Affaires étrangères, le porte-parole du ministre, Hong Lei, rappelle les chiffres du commerce sino-africain en hausse, ainsi que la dynamique de l’aide au développement et des prêts préférentiels accordés par la Chine aux pays africains, quelques statistiques nous reviennent à l’esprit. En 2011, le commerce sino-africain a atteint le record de 166,3 milliards de dollars, faisant de l’empire du Milieu le premier partenaire commercial de l’Afrique, pour la troisième année consécutive. Les investissements directs chinois ont, quant à eux, atteint 14,7 milliards de dollars. Fin 2012, le total des crédits préférentiels accordés par la Chine au continent africain devrait dépasser le seuil des 10 milliards de dollars fixé il y a trois ans. Lors du dernier forum ministériel afro-chinois de Beijing, les autorités chinoises ont décidé de doubler le volume des crédits. Pour les trois années à venir, c’est donc 20 milliards de dollars que Beijing devrait injecter sur le continent. Les Africains s’en réjouissent, les Chinois aussi.
Européens et Américains se sont inquiétés pour l’Afrique. L’an dernier, Hillary Clinton mettait les Africains en garde contre le « néocolonialisme » des Chinois. À l’entendre, ils chercheraient en réalité à coloniser l’Afrique et à accaparer ses matières premières. Les Européens font de même. Leurs médias produisent, régulièrement, des articles tendant à démontrer que la Chine ne serait pas pour l’Afrique une opportunité, mais plutôt une menace. Comment prêter attention à ces mises en garde contre la Chine, alors qu’Européens et Américains affluent, tous, à Beijing, pour implorer le soutien financier de la Chine dont la Banque nationale est désormais plus courtisée que la Banque mondiale ?
Un coup d’œil aux statistiques des relations sino-européennes et sino-américaines laisse apparaître toute l’hypocrisie des « amis de l’Afrique » occidentaux. Ces dix dernières années, révèle l’ambassadeur chinois Wu Hailong, chef de la mission diplomatique chinoise en Union européenne (UE), la qualité et le volume de la coopération entre la Chine et l’Europe se sont accrus. L’UE est devenue le premier partenaire commercial et le plus grand marché d’exportation de la Chine. En 2011, le volume commercial a atteint 567,2 milliards de dollars, soit le quadruple de celui d’il y a dix ans. 567,2 milliards de dollars, c’est aussi près de trois fois et demie le volume du commerce entre la Chine et les cinquante-quatre États du continent noir.
Devant la crise financière internationale, la Chine et l’Europe travaillent ensemble pour faire face en commun à des défis, et l’investissement à deux sens et la coopération technique connaissent un développement accéléré, poursuit le diplomate chinois. En 2012, l’Europe est ainsi devenue, pour la première fois, la destination privilégiée pour les capitaux chinois. L’Europe a attiré 10 milliards de dollars d’investissements chinois en 2011. Les Chinois ont triplé leurs investissements en Europe l’an dernier. Et ce n’est qu’un début, la dynamique devant s’accélérer dans les mois à venir. À titre comparatif, les investissements chinois en Afrique ont certes atteint 14,7 milliards de dollars, mais ils sont disséminés dans cinquante pays.
Par ailleurs, alors que les pays occidentaux s’inquiètent de ce que la Chine ré-endetterait les pays africains avec ses crédits bonifiés pour mieux les soumettre plus tard, il se trouve que l’Europe fait désormais la courbette à Beijing pour que la Chine rachète une partie de sa dette souveraine. La Chine détiendrait ainsi, selon certaines statistiques (non encore officielles), plus de 550 milliards de dollars de dette souveraine européenne. Elle a accepté de participer au fonds de secours européen censé aider les États européens en difficulté. Elle est aussi le premier acheteur de bons du Trésor américains par lesquels Washington peut faire face à sa dette. Selon certaines estimations, en l’espace de huit ans, la part de la dette souveraine américaine aux mains de la Chine est passée de 8 % à 22 %.
Comment comprendre, dès lors, que des pays qui recourent à la Chine pour sortir de la crise font courir le bruit que la Chine serait un danger pour l’Afrique ? L’économiste zambienne Dambisa Moyo a utilisé, dans une interview, le terme de « jalousie » à l’égard de ceux qui sont parvenus à s’installer sur des marchés qu’ils croyaient leur revenir de droit depuis la colonisation. À Beijing, les responsables du PCC ont balayé ces soupçons, insistant sur les bénéfices que chacune des parties reçoit de la coopération sino-africaine renforcée. Zhong Weiyun, directeur adjoint du Bureau des affaires africaines du département international du PCC, trouve un lien étroit entre le dynamisme des investissements chinois en Afrique et l’embellie des prix des matières sur le marché international, qui a contribué à augmenter les taux de croissance économique sur le continent. Les produits chinois, dont les prix sont moins élevés que ceux en provenance d’Europe, ont également permis aux petites bourses africaines de s’équiper sans se ruiner.
Au PCC, l’on est décidé à présenter aux Africains la vraie image de la Chine, loin des clichés déformants des médias occidentaux qui exagèrent certains faits pour nourrir le ressentiment antichinois. La Chine a, ainsi, pris bonne note des critiques formulées contre des produits jugés de mauvaise qualité qui inondent les étals en Afrique, ainsi que des comportements pas toujours « socialement responsables » de certains de ses patrons d’entreprise en Afrique, qui ne respectent pas les législations du travail. Zhong Weiyun a, ainsi, révélé que le gouvernement chinois avait déjà entrepris de prendre des mesures pour inciter les hommes d’affaires chinois en Afrique à se conformer aux lois des pays hôtes. Des mesures sont également envisagées contre les « commerçants malhonnêtes ».
Resté longtemps en retrait, le PCC entend désormais faire valoir sa différence. Le développement fulgurant de la Chine de ces trente dernières années est son œuvre. Au pouvoir en Chine depuis la création de la République populaire, il a su s’adapter et réaliser les réformes qu’il fallait pour mener avec succès le combat contre le sous-développement. Le gouvernement d’assemblée dont il s’est doté a permis à la Chine d’évoluer dans un environnement de stabilité politique nécessaire à la mise en œuvre efficace des programmes de développement. « Nous sommes fiers de notre modèle politique, car il est ancré dans notre culture et nous permet d’avancer. Mais, nous ne cherchons pas à l’imposer à d’autres peuples, car nous sommes convaincus qu’il en va des systèmes politiques des pays comme des chaussures que nous portons : chacun doit trouver une chaussure à son pied, et il n’est pas certain que la chaussure du voisin soit exactement celle qu’il vous faut », résume une dirigeante du PCC, Zhao Bingbing.
L’Afrique trouvera-t-elle enfin cette chaussure ou continuera-t-elle à chausser celles des autres ? L’émergence de la Chine communiste, passée en trois décennies, de pays sous-développé à deuxième puissance économique mondiale, devrait donner à réfléchir. Le développement de l’Afrique ne se fera pas en copiant les modèles politiques et économiques d’un monde occidental en crise, de plus en plus distancé par des pays ayant misé sur la valorisation d’approches endogènes.