Officiellement, le patron de l’armée malienne, c’est lui : le colonel-major Ibrahima Dahirou Dembelé. Nommé fin mars chef d’état-major général des armées par le capitaine putschiste Amadou Haya Sanogo, qui venait de s’emparer du pouvoir d’État à Bamako. Ibrahima Dembelé avait pour mission urgente de reprendre en main de l’armée pour la mettre au service de Sanogo, après l’avoir épurée des « frères d’armes » devenus des brebis galeuses en raison de leur proximité, réelle ou supposée, avec le régime déchu d’Amadou Toumani Touré.
Après que son projet de présidence de la République eut échoué, du fait de l’obstruction de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le capitaine Sanogo, patron du Comité national de redressement de la démocratie et de restauration de l’État de droit (CNDR, junte militaire) a dû s’occuper lui-même des tâches dévolues à son chef d’état-major. Mais en sourdine. Car, en public, c’est toujours Ibrahima Dembelé qui dirige l’armée. C’est à ce titre qu’il est devenu l’interlocuteur obligé de la Cedeao pour toutes discussions au sujet de l’envoi d’une force militaire ouest-africaine au Mali. Celle-ci devrait, entre autres, reconquérir le Nord, aux mains des groupes islamistes et terroristes depuis plus de cinq mois.
Ibrahima Dembelé, c’est la voix de son maître. Ce sont les opinions du capitaine putschiste qu’il relaie lors des rencontres avec la Cedeao. L’hostilité de Sanogo à tout débarquement d’une force ouest-africaine était connue. Dembelé l’a répété aux chefs d’état-major de la sous-région qui s’étaient réunis, à la mi-août, à Bamako, pour préparer l’arrivée de cette force militaire toujours en attente. En temps normal, le chef d’état-major des armées rend compte au président de la République, chef suprême des armées. Au Mali, le patron de l’armée a pour supérieur le chef d’une junte dissoute, qui n’a plus officiellement aucun titre dans l’organigramme de l’État. Cette anomalie n’est pas sans conséquence sur la troupe, son commandement réel, son organisation et son efficacité. Lorsqu’on y ajoute le fait qu’elle est elle-même divisée entre pro et anti-Sanogo, la messe est dite sur son état actuel.
Son moral était déjà au plus bas avant le putsch, affecté par les défaites successives dans la guerre aux sécessionnistes du Nord et les défections quotidiennes de soldats sans moyens pour la mener. Le coup d’État devait remédier rapidement à cette situation en éliminant un ATT qualifié d’incompétent. C’est tout le contraire qui se produit, avec les incarcérations d’officiers.
Le malaise s’était déjà manifesté, de façon violente, dans la nuit du 30 avril au 1er mai, lorsqu’une tentative d’arrestation arbitraire du commandant du 33e régiment de commandos parachutistes de Djicoroni (les « bérets rouges »), avait dégénéré en bataille rangée entre bérets rouges et bérets verts (soldats de Sanogo) dans les rues de Bamako. Ayant finalement pris le dessus sur ceux considérés comme fidèles à ATT, les « bérets verts » ont intensifié la chasse aux sorcières et démantelé ce corps d’élite, à un moment où les soldats valeureux et prêts au combat dans le Nord se font rares.
C’est dans ce climat de désunion que l’armée tente de s’organiser pour tenter, enfin, de reprendre le combat contre les sécessionnistes islamistes et touarègues. Elle ignore quasiment le président intérimaire, le mathématicien Dioncounda Traoré, auquel les stratégies de reconquête des deux tiers du territoire échappent en grande partie. « Tout se décide en réalité à Kati où Sanogo, à qui a été confiée la réorganisation de l’armée, décide de tout, analyse un haut gradé mis sur la touche par les nouveaux chefs militaires. Ses hommes au gouvernement, le colonel-major Yamoussa Camara, ministre de la Défense et des Anciens Combattants, et le général Tiéfing Konaté, ministre de la Sécurité intérieure et de la Protection civile, prennent leurs ordres directement à Kati. Évincé du pouvoir, Sanogo s’est fixé un nouvel objectif : tout faire pour que la réintégration du Nord passe obligatoirement par lui, afin qu’il se refasse une notoriété. » C’est sous ce prisme qu’il faut lire les déclarations incessantes du capitaine qui fulmine contre toute intervention militaire ouest-africaine au Mali : elle sonnerait alors comme une preuve de l’incapacité du capitaine Sanogo à faire mieux qu’ATT, croit savoir cet officier de liaison.
Les nouveaux chefs militaires ont donc décidé d’accélérer les préparatifs de la « guerre du Nord ». Dans ce schéma, la ville de Mopti, à environ 700 km de la capitale, occupe une place centrale. Autrefois carrefour touristique incontournable sur les rivages du fleuve Niger et de son affluent le Bani, la « Venise du Mali » est devenue la frontière de fait entre le Nord, aux mains des groupes touaregs et islamistes et le Sud, soit le reste du Mali. Les soldats qu’ATT avait envoyés au front se sont réfugiés à 15 km du centre de Mopti, dans le faubourg de Sévaré, au « Sud ». Venus des villes conquises de Gao, Tombouctou et Kidal, ils réfutent le terme de « fuyards » et prétendent s’être repliés dans l’attente de renforts. L’armée a installé à Sévaré un poste de commandement opérationnel, dirigé par un officier qui dirigeait les opérations à Gao, le colonel Didier Dacko. À une dizaine de kilomètres de là, de nouvelles recrues s’entraînent à Soufroulaye. Le discours officiel veut que tous ces soldats aient désormais une grande envie de se battre.
Pour pouvoir intervenir rapidement le moment venu, l’armée continue de renforcer sa présence sur la ligne de front à Sévaré. Elle se réorganise, consolide ses capacités logistiques et humaines sur le terrain. Ainsi, les effectifs sur le front, évalués à deux milliers d’hommes selon des sources proches de l’armée, devaient être renforcés, fin septembre, par quelque 150 éléments du 33e Régiment des commandos parachutistes de Djicoroni.
Aucun coup de feu n’ayant encore été tiré, il est difficile de savoir si les capacités opérationnelles de l’armée sont désormais meilleures. Le flou persiste, par ailleurs, sur les effectifs réels. Si elle comptait, officiellement, 7 350 hommes en début d’année, l’armée de terre a subi de nombreuses désertions, depuis le déclenchement de la rébellion touarègue. Un millier de soldats aurait abandonné armes et munitions pour se réfugier au Niger voisin, dans des camps. D’autres soldats ont quitté le Nord pour rejoindre leurs familles, au sud. Sur les 15 000 hommes en armes au total (forces paramilitaires, milices comprises), il y aurait, selon certaines sources, moins de 10 000 soldats prêts à se battre. C’est peu. Consciente de ce déficit, la hiérarchie militaire a opéré des recrutements et s’emploie à former des volontaires.
L’état réel du matériel de guerre est tout aussi problématique. Beaucoup de déserteurs ont laissé leurs armes sur place, au grand bonheur des rebelles, que l’on dit désormais mieux équipés que l’armée. De plus, pendant ces cinq mois où la junte de Sanogo s’est déchirée pour le pouvoir, les rebelles ont installé des mines partout.
Le président Dioncounda Traoré a fini par prendre la mesure exacte de la situation et a réagi. Début septembre, sans en référer au capitaine Sanogo, il a écrit au président de la Cedeao, l’Ivoirien Alassane Ouattara, pour demander de façon officielle, l’envoi des troupes ouest-africaines afin d’aider l’armée malienne à recouvrer l’intégralité de son pays. Pris de court, Sanogo a dû se rallier à la décision présidentielle, laissant aux seconds couteaux le soin d’exprimer leur mécontentement.
Depuis, au camp de Kati, deux camps se font face : ceux qui continuent de suivre le capitaine, estimant que sa position de non-affrontement avec Dioncounda est pragmatique, et ceux qui murmurent que le chef du CNDRE a trahi la cause. Fin septembre, aucune ligne claire n’avait été adoptée par l’ex-junte, laissant planer toutes sortes de commentaires sur l’accueil qui sera réservé aux forces de la Cedeao. Celle-ci préparait plus de 3 000 hommes, il ne serait qu’un ou deux bataillons, selon le chef d’état-major Dembelé.