En jouant formellement le jeu de la transparence et de l’ouverture en pleine bourrasque printanière arabe, le roi Mohammed VI est sur le point de gagner son pari : celui de décrédibiliser les très inexpérimentés partis islamistes. En acceptant de modifier la Constitution et de céder sur certains de ses pouvoirs, y compris quelques ministères dits de souveraineté, il a offert un cadeau empoisonné à ses opposants, notamment les islamistes, désormais confrontés à la dure réalité de la gouvernance et divisés entre « modérés », conduits par le Parti de la justice et du développement (PJD) de Benkirane, et les islamistes purs et durs tels qu’Al-Adl Oual Ihssan, de cheikh Abdesslam Yassine et les groupuscules salafistes, dans l’opposition. Il est aussi parvenu à démentir les spéculations de certains médias français qui misaient sur une explosion généralisée, dans la foulée des « printemps arabes ».
Le roi, enfin, a organisé des élections législatives anticipées en novembre dernier, qui ont certes vu la victoire des islamiques « modérés », mais sans obtenir tous les pouvoirs : n’ayant pas eu la majorité absolue (26 % des voix), ils sont contraints de faire alliance avec des partis qui ne partagent pas leur vision. Sans compter que les membres de la deuxième Chambre sont désignés par le roi, ce que les islamistes ont un peu oublié…
Ceux qui connaissent de près le fonctionnement de la monarchie au Maroc n’ont pas été dupes du changement formel auquel le roi s’est plié sans rompre, sachant qu’il reste, en dernière instance, le maître du jeu qui sera amené à siffler la fin de partie si nécessaire. Car, jusqu’à présent, les islamistes ont surtout montré leur incapacité à gouverner. Et qu’ils sont prêts à sacrifier les acquis sociaux des Marocains pour se maintenir au pouvoir…
Comme l’avait pronostiqué le Makhzen, les faux pas et les reculades du PJD n’ont pas tardé : interdiction manquée de la vente de l’alcool dans un pays touristique, tentative ratée d’arabisation de l’audiovisuel, critiques vite avalées de certains conseillers du roi…
Jusqu’où le palais ira-t-il pour couvrir les erreurs de gestion du gouvernement ? Les autres membres de la coalition gouvernementale vont-ils la quitter, ce qui provoquerait la chute du gouvernement du PJD ? Dans l’entourage de Benkirane, certains laissent entendre, mezzo voce, que la patience de Mohammed VI est à bout. Ils doutent qu’il pourrait supporter plus de bavures alors que la situation socio-économique est dans le rouge. Conséquence : les mouvements sociaux, qui ont récupéré le dynamisme du mouvement du 20-Février, s’amplifient. Ainsi, le 12 août, des dizaines de milliers de manifestants ont protesté contre la politique de Benkirane, fustigeant la hausse des prix, les arrestations politiques et les violations des libertés. D’après des proches du roi, le gouvernement serait incapable de faire face aux éventualités qui pourraient menacer la stabilité du Maroc, apportant à Mohammed VI de quoi nourrir un peu plus ses doutes sur l’équipe gouvernementale.
Sans compter que les Marocains n’arrivent pas à avaler les déclarations du premier ministre sur Al-Jazeera où il confirme son pardon pour ceux qui ont détourné l’argent public, demandant au peuple de tourner la page. Des propos contradictoires avec la Constitution… Au même moment, le roi, lui, s’attaquait à la corruption à tous les niveaux, notamment dans la justice. La majorité de la population a donc naturellement interprété les paroles du patron du PJD comme une « normalisation » de la corruption.
Le pire, enfin, est venu avec les excuses présentées au roi et à ses conseillers, après avoir accusé ces derniers d’hégémonie, d’utilisation de tous les moyens pour préserver leurs intérêts.
Les erreurs cumulées, les grotesques reculades de Benkirane, le mécontentement grandissant des Marocains contre l’équipe gouvernementale sentent le plongeon quasi inévitable ces prochains mois. On voit mal pourquoi le roi continuerait à sauver la tête du PJD puisque sa popularité, déjà relative, est en chute libre.