Objet de toutes les convoitises et de tous les fantasmes, la province diamantifère de Lunda Norte, au nord-est du pays, a récemment encore occupé la chronique judiciaire. Les régions de cette province qui longe le fleuve Cuango, importante réserve de diamants alluviaux (1), sont régulièrement envahies par les orpailleurs clandestins, Congolais notamment, qui traversent la frontière par dizaines de milliers. Il y a quelques années, les autorités angolaises avaient mené des opérations de ratissage et d’expulsions de masse de ces immigrés hors la loi, suscitant la réprobation des organisations internationales humanitaires. Depuis, les immigrés sont régulièrement refoulés et les orpailleurs illégaux interpellés, mais les forces de l’ordre emploient des méthodes moins brutales et les autorités judiciaires locales sont plus réactives. Pour preuve : la justice de Lunda Norte s’est récemment saisie de plusieurs cas d’abus ou de violences (y compris contre les forces de l’ordre) et 115 personnes mises en examen sont en attente de procès.
Les actions d’ONG sur le terrain ont indirectement contribué à cette amélioration de la situation de la région du Cuango, ainsi que les enquêtes menées par un activiste angolais très médiatique, Rafael Marques, qui avait rédigé il y a quelques années des rapports sur les exactions commises sur les orpailleurs clandestins par des éléments de la police ou de l’armée, ou par les entreprises privées de sécurité chargées de la protection des sites miniers. Ces dernières sont en première ligne dans la répression des activités illicites et bien sûr dans la prévention des atteintes aux biens des entreprises légalement installées.
La dernière enquête menée par Rafael Marques, notamment dans les municipalités de Cuango et de Xa-Muteba, fait état de nouveaux crimes graves et répétés. Il en a tiré un livre au titre fort explicite : Diamants de sang ; torture et corruption en Angola, paru à Lisbonne en septembre 2011. Cette nouvelle dénonciation, qui évoque d’autres périodes dramatiques où les diamants servaient à financer et à armer la guérilla de l’Unita, a fait grand bruit. En novembre, Marques a saisi la justice angolaise ; il a déposé une plainte auprès du procureur général de Luanda. Militant chevronné, réputé internationalement pour son travail inlassable, voire systématique, contre la corruption de la classe dirigeante angolaise, Marques a une voix qui porte loin.
Les coupables désignés sont quatre entreprises de production de diamants et de sécurité liées entre elles, dont la Société minière du Cuango (SMC), créée en 2003 et détenue à 41 % par la société nationale Endiama. Mais l’écho médiatique de son action a été amplifié par les véritables cibles de Marques : une dizaine de généraux angolais, et pas des moindres – en service ou à la réserve –, cités en leur qualité d’actionnaires des entreprises mises en cause. Marques entend désormais frapper un grand coup : du fait de l’appartenance de ces généraux aux Forces armées angolaises (FAA), et de quelques exactions qui auraient été commises par des soldats entre 2009 et 2010, c’est l’institution tout entière qu’il cite dans sa plainte.
Le parquet a ouvert une enquête qui a démarré en février 2012.
Si le volet concernant la responsabilité « morale » des généraux – et plus encore celle des FAA – soulevé par Marques avait peu de chances d’aboutir, du moins dans la phase préliminaire, en revanche, la culpabilité des gestionnaires ou du personnel des entreprises sur place aurait pu donner lieu à des poursuites. Pendant plusieurs mois, les autorités judiciaires ont interpellé les PDG et les divers responsables des sociétés mises en cause nommément – mais jamais contactées – par Marques, ont recueilli les dépositions des témoins cités par l’activiste (seuls quatre sur dix ont toutefois accepté de comparaître), interrogé les villageois et les chefs traditionnels encore très influents dans la région. Or, aucune source n’a pu corroborer les accusations d’actes de cruauté ou d’homicides avancés par Marques, ni même l’identité des victimes présumées. Également interrogé, le roi coutumier de la région de la Baixa de Cassange, Dianhenga Cambamba Ngingi, dont le territoire et les chefs traditionnels sous son administration couvrent les zones en cause, n’a pas plus eu connaissance des cas dénoncés par Marques, à l’exception d’un meurtre qui s’est révélé être un matricide.
Le 13 juin, le parquet a donc débouté Marques de sa plainte. Le touffu compte rendu de l’enquête du procureur général est un démenti, point par point, de la réalité des faits relatés dans le livre et repris mot à mot dans la plainte. Le procureur adjoint qui a dirigé l’enquête ironise même sur le fait que Marques a attendu la parution de son livre avant d’informer la justice des graves crimes dont il avait eu connaissance depuis 2009.
Depuis, Marques, qui fut un temps soutenu par la fondation Soros (2) et qui est maintenant un label international à lui tout seul, n’a pas réagi. Pourtant, ses attaques à la nomenklatura sont populaires, particulièrement celles mettant en cause les généraux de l’armée. S’est-il rendu compte qu’il avait naïvement colporté des rumeurs ? Ou, pis encore, d’avoir été manipulé ? Se satisfait-il des répercussions médiatiques qu’a eues cette campagne depuis la parution du livre, en dépit des conclusions de l’enquête judiciaire ?
Ses supporters ne peuvent même pas parler d’une justice aux ordres. Même si ça n’a pas été toujours évident, cette institution a fait d’importants progrès pour son indépendance depuis que la Cour suprême a tranché, en mai dernier, en faveur de l’opposition qui exigeait la destitution de la présidente de la Commission nationale électorale, une ancienne magistrate dont la proximité avec le pouvoir avait suscité une forte contestation relayée par les médias. Le parti au pouvoir, le MPLA, qui avait énergiquement défendu la régularité de cette nomination, a dû reculer devant la décision de justice.
La dénonciation des violations des droits de l’homme et de la corruption, aussi documentée que possible, doit être menée avec le plus grand sérieux, rappellent inlassablement les militants angolais engagés dans ces combats – y compris ceux proches du MPLA, également indignés contre les faits de corruption couverts par le pouvoir. L’utilité publique de ces dénonciations est indiscutable, insistent-ils, du moment qu’elle n’est pas un simple instrument de dénigrement à des fins politiques. La force de la société civile n’est-elle pas son indépendance et l’intégrité de ses représentants reconnus ? Rafael Marques pourra encore se défendre lors du procès en diffamation intenté contre lui au Portugal, où le livre a paru.
(1) Ces diamants, avec ceux extraits de la kimberlite, plus à l’est, ont représenté la valeur de 1,2 milliard de dollars en 2011, pour quelque 8 millions de carats.
(2) La fondation Soros et l’Open Society Institute ont pour objectif la promotion et le développement des sociétés démocratiques.