Massoud Barzani, président de la Région autonome du Kurdistan, a pris la tête de l’opposition irakienne en déclarant l’Irak « au bord du gouffre » et en accusant le premier ministre Nouri al-Maliki de monopoliser le pouvoir. Depuis octobre 2011, à la suite de la signature d’un contrat autorisant ExxonMobil à prospecter six champs pétroliers dans sa région, il ne rate aucune occasion pour déclarer que Maliki nourrit des ambitions dictatoriales. Il juge à juste titre « inacceptable » qu’un premier ministre soit à la fois « ministre de la Défense, ministre de l’Intérieur, chef des Renseignements et commandant en chef des forces armées ».
Mais renverser Maliki démocratiquement n’est pas une mince affaire. En visite aux États-Unis en avril dernier, Barzani a comparé la présence d’Exxon au Kurdistan à celle de plusieurs divisions militaires américaines et dit qu’elles, au moins, ne se retireraient pas sur un coup de fil du Pentagone ! Il a salué la création d’un US-Kurdistan Business Council. Ce consortium est présidé par le général James Jones, ancien conseiller à la Sécurité nationale de Barack Obama, très apprécié des Barzani. Il commandait l’unité de Marines envoyée au Kurdistan en avril 1991 pour soutenir les peshmergas aux prises avec l’armée irakienne, dans le cadre de l’opération Provide Comfort.
La carte du nationalisme
Dès son retour de Washington, Barzani a confirmé son refus de livrer à Bagdad le vice-président irakien Tarek al-Hashemi, sous le coup d’un mandat d’arrêt pour terrorisme, et a annoncé la tenue d’une réunion de dirigeants irakiens à Erbil pour « sauver » le pays et adopter des « solutions radicales ». Résultat : quelques jours plus tard, Iyad Allaoui – chef du bloc Iraqiya, majoritaire aux dernières législatives –, Moqtada al-Sadr et Oussama al-Nujafi, président du Parlement, ont lancé un appel réclamant plus de démocratie dans la gestion du pays et demandaient à Nouri al-Maliki de ne pas briguer un troisième mandat en 2014. Se doutant de la réponse, ils tentent depuis de réunir suffisamment de députés pour mettre le chef du gouvernement en minorité au Parlement. Sans succès.
Fin manœuvrier, Nouri al-Maliki a contre-attaqué en jouant la carte du nationalisme irakien. Il a convoqué un conseil des ministres à Kirkouk pour déclarer la ville irakienne et a exigé le départ des forces non officielles, autrement dit des milices kurdes et du Parastin, service secret dirigé par le fils aîné de Barzani, Masrour. Sous prétexte d’assurer la sécurité de la réunion, évidemment boycottée par ses ministres kurdes, il a ordonné le déploiement de forces antiterroristes venues de Bagdad, disposant d’armement lourd et d’hélicoptères. Elles y sont toujours.
L’opération lui a permis de diviser ses détracteurs arabes sunnites. Necmeddin Kerim, gouverneur membre de l’UPK de Jalal Talabani, et Turan Hasan Bahaa Eddin, président turkmène de l’Assemblée provinciale, lui ont réservé un accueil qui n’était pas uniquement protocolaire. Aujourd’hui, plusieurs membres du Front turkmène ayant soutenu la liste Iraqiya aux élections de 2010 ont l’impression qu’Iyad Allaoui les a « vendus » aux Kurdes, en échange du soutien de Barzani dans sa querelle avec Maliki.
Le 13 mai dernier, nouvelles provocations de Maliki : interrogé par une radio privée, il a déclaré que l’article 140 de la Constitution, qui prévoit un recensement et un référendum à Kirkouk pour décider de l’avenir de la province, est l’œuvre d’un « ignorant ». Puis il a fait courir le bruit qu’une rencontre secrète entre Barzani et Allaoui avait débouché sur un accord permettant aux Kurdes d’annexer Kirkouk et la plaine de Mossoul.
Fin mai, Al-Dawa, le parti de Maliki, a accusé le Kurdistan de complicité avec Israël, produisant un rapport iranien certifiant que le commando du Mossad ayant assassiné des scientifiques nucléaires avait pénétré en Iran par le nord de l’Irak. Une liste d’agents locaux était jointe au document. Quelques semaines plus tôt, Hussein al-Sharistani, vice-premier ministre chargé de l’Énergie, avait dénoncé la contrebande de pétrole entre le Kurdistan et Israël, via le port jordanien d’Aqaba.
Bombarder Erbil
Depuis 2003, le partage des ressources pétrolières de la province de Kirkouk est remis en cause régulièrement. Les attentats d’Al-Qaïda et d’Ansar al-islam et les exécutions ciblées se succèdent. Le recensement de la population, préalable à une consultation électorale, est sans cesse repoussé. Les litiges résultant de l’arabisation de la région sous Saddam Hussein – déplacements de population, terres confisquées – sont loin d’être résolus. Sur les 250 000 habitants supposés avoir été expulsés par le régime baasiste, seuls 38 000 dossiers ont été déposés depuis 2003. En 2011, on estimait à 5 000 le nombre de cas réglés. Comment pourraient-ils l’être puisque les dirigeants kurdes refusent de démolir les maisons construites par les colons kurdes sur des terres ne leur appartenant pas ? En revanche, les bâtiments « illégaux » appartenant aux minorités locales sont détruits sans discussion. La démolition d’une husseiniyah (lieu de culte chiite) dans un quartier turkmène a provoqué deux jours d’émeutes, au point que l’opération a été suspendue.
Massoud Barzani et de nombreux hommes politiques irakiens pensent que Nouri al-Maliki est capable de tout s’il est mis en minorité au Parlement. Kirkouk et son pétrole se retrouveraient alors au cœur d’un conflit sanglant. En avril, en conférence de presse à Washington, le chef kurde a raconté qu’en réponse à des officiers irakiens lui suggérant de bombarder Erbil, Maliki a répondu : « Attendez l’arrivée des F-16 » ! Dix-huit avions de chasse sont en effet en attente de livraison. Barzani, Israël et le Koweït voudraient bien qu’Obama suspende cette opération. L’annonce que les avions ne seront pas armés de missiles de dernière génération ne suffit pas à les rassurer. Arshad Salhi, président du Front turkmène, a demandé, début juin, le déploiement d’une force de sécurité de l’Onu pour protéger la population. Le mieux, dit-il, est de déclarer nul et non avenu l’article 140 et de rechercher un compromis satisfaisant Erbil, Bagdad… et les habitants de Kirkouk. Avant qu’il ne soit trop tard.