Le 26 avril dernier devait être examinée au palais de Justice de Ouagadougou « la plainte contre X pour séquestration » sur la personne de Thomas Sankara, déposée par son épouse Mariam en 2002. L’enjeu est de taille : depuis le 15 octobre 1987, l’ex-président n’est plus réapparu. Son corps n’a jamais été remis ni présenté à sa famille. À l’occasion d’un report d’audience au 24 mai (sous les protestations de l’assistance), revenons sur le documentaire Burkina Faso, une révolution rectifiée, sous-titré Des Empires africains à la France néocoloniale, une histoire du pays des hommes intègres, troisième opus de Thuy-Tiên Ho consacré au révolutionnaire burkinabè (1).
Par des témoignages de sa famille, des interviews d’acteurs de l’époque, d’historiens, de politologues et de journalistes, par des images d’archives souvent inédites, le film apporte un éclairage sur la révolution anti-impérialiste de Sankara, synonyme pour lui de développement, de solidarité et de fin de la corruption. Une révolution avortée, puisqu’après son assassinat, c’est son frère d’armes Blaise Compaoré qui reprend à son compte sa nécessaire « rectification », le pays entrant à nouveau dans le rang des nations amies de la France.
Le documentaire s’ouvre sur une séquence émouvante : la sœur cadette de Sankara brosse, dans la maison paternelle, au milieu d’objets lui ayant appartenu, le portrait d’un frère dont la mémoire reste bien vivante. L’on poursuit avec la conférence de Berlin de 1885. L’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch en explique les enjeux, à savoir l’organisation et la collaboration européenne pour le partage et la division de l’Afrique. La voix de Sankara résonne : « Berlin a consacré la barbarie de la colonisation, et aussi le mépris que peuvent avoir des hommes envers d’autres hommes. »
Les années 1980 en Afrique sont les années de corruption, de famine et de guerre. Sankara, qui arrive au pouvoir en 1983 à la faveur d’un coup d’État, essaie de créer un nouveau modèle : « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous ». Mais ce modèle s’est imposé de manière rigide, rappelle notre collaboratrice Augusta Conchiglia. Excessif dans les réformes et les sacrifices qu’il exige de son peuple, victime de la rivalité qui l’oppose à Blaise Compaoré, Sankara finit par déranger. Après son assassinat, le pays devient le pilier de la Françafrique.
Au final, que reste-t-il de Thomas Sankara et de sa révolution ? s’interroge la réalisatrice. « Il a réveillé les consciences, au Burkina Faso, mais aussi dans d’autres pays francophones d’Afrique », résume Kofi Awoonor, poète et ambassadeur du Ghana auprès des Nations unies de 1990 à 1994. « Il est devenu un merveilleux héros romantique. »
(1) Burkina Faso, une révolution rectifiée. Des Empires africains à la France néocoloniale, une histoire du pays des hommes intègres, Thuy-Tiên Ho, Solferino Images, Coll. Révolutions, 2011, 52 min.