Il ne se passe pas un seul jour sans que Boko Haram, la désormais célèbre secte fondamentaliste islamiste nigériane, ne fasse parler d’elle : soit pour s’être livrée à un attentat, soit parce qu’elle a fait l’objet d’une opération policière. Le chassé-croisé entre ces soi-disant taliban, qui sont en réalité autant de voyous désœuvrés que de réels fondamentalistes, et forces de l’ordre prendra-t-il jamais fin ? On peut le craindre. La particularité de Boko Haram la rend en effet difficile à annihiler : ses militants, finalement peu nombreux, mais bénéficiant du soutien passif de la population, sont éparpillés sur plusieurs États du nord du pays, de Maïduguri, capitale de l’État de Borno et berceau de l’organisation, jusqu’à Jos, dans le Plateau (centre-nord), soit des centaines de kilomètres et des milliers de villages.
Mobiles, bien équipés, organisés en petits groupes autonomes liés entre eux uniquement par l’idéologie commune, ils sont dangereux parce qu’ils ne tiennent aucun compte de la population, bien au contraire. Leurs attaques ciblent les bâtiments administratifs, la police et tout ce qui provient – ou qu’ils suspectent provenir – des investissements étrangers : écoles, centres de santé, infrastructures diverses. Ils ont également recours à des méthodes jusqu’alors inconnues au Nigeria, comme les attentats à la bombe, voire les kamikazes, ce qui conforte l’opinion désormais acquise qu’ils subissent bel et bien l’influence des épigones d’Al-Qaïda, voire sont infiltrés par eux.
Après le désastre libyen et l’occupation du nord du Mali par les islamistes, la situation devient à ce point tendue que les États-Unis, sollicités par le gouvernement fédéral nigérian, pourraient bien se décider à donner un coup de main à Abuja pour intensifier la traque. Plusieurs responsables de la sécurité nigériane se sont rendus à Washington les 6 et 7 juin derniers pour travailler avec le Département d’État à d’éventuelles mesures nouvelles. À l’issue de cette session, William Burns, le numéro deux du Département d’État, a évoqué « un partenariat » qui consisterait à améliorer les capacités logistiques et technologiques de l’armée et de la police nigérianes.
Cependant, les États-Unis rechignent encore à inscrire Boko Haram sur leur liste noire des organisations terroristes, « car les conséquences sont importantes et ne peuvent être prises à la légère », a déclaré William Burns. En effet, une telle décision implique que les États-Unis considèrent leur sécurité intérieure menacée. Et que, par conséquent, ils s’autorisent à utiliser tous les moyens disponibles pour se protéger, à commencer par l’envoi de drones ou de bombardiers autonomes sur les zones considérées « à risques », comme c’est le cas actuellement au Pakistan, en Somalie ou au Yémen.
Ces opérations ne sont pas sans avoir de graves répercussions sur la population civile, a fait remarquer le Pr Ade Adefuye, ambassadeur du Nigeria aux États-Unis. Le concept de « frappe chirurgicale » ne fait plus recette et des pertes civiles sont systématiquement à déplorer dans des opérations impliquant ce genre d’engins. C’est également lourd de conséquences sur le plan économique, puisque les investissements financiers américains au Nigeria seront alors formellement déconseillés. « Les citoyens nigérians qui arriveront dans les aéroports américains seront dès lors considérés comme provenant d’un État où sévit une organisation terroriste. Ils devront à chaque fois prouver qu’ils n’appartiennent pas à Boko Haram. » Une procédure lourde et difficile à gérer, sachant que de nombreux hommes d’affaires nigérians font régulièrement la navette avec les États-Unis, notamment ceux appartenant à l’industrie pétrolière.
Toutefois, d’autres mesures de coopération ne sont pas à exclure, notamment la mise en place d’un centre conjoint de traitement et d’analyse des renseignements qui coordonnerait les données obtenues par le Nigeria et les pays limitrophes afin de les analyser.
Une initiative très différente a été entreprise par un dignitaire et érudit musulman, Sheikh Dahiru Usman Bauchi : il souhaite établir un dialogue avec Boko Haram. Âgé de 88 ans, membre éminent de la confrérie tidjaniya du Nigeria, il est connu pour avoir de nombreux liens avec les émirs du nord du pays. Respecté pour ses connaissances en théologie, il va diriger le comité de contact mis en place par l’État de Bauchi pour tenter d’établir un dialogue direct entre la secte et le gouvernement d’Abuja. Ce comité comprend également un proche d’Hassan Tukur, le premier secrétaire privé du président Goodluck Jonathan.
Face à eux, le leader de Boko Haram, Abubakar Shekau, apparaît comme un personnage ambigu, mi-intellectuel, mi-bandit. La rumeur lui donne entre 34-35 ans et 43 ans. Les autorités nigérianes pensaient qu’il était mort en 2009, tout comme le fondateur du mouvement, Mohamed Yusuf, tué lors d’une tentative d’évasion selon la police. Abubakar Shekau aurait miraculeusement échappé à ce traquenard grâce à une complicité au sein même des forces de l’ordre. Il est réapparu en 2010 sur des vidéos postées sur Internet par un mystérieux « département de communication », se présentant comme « le nouveau leader » de la secte. Cela dit, il ne s’est jamais manifesté en public.
Il aurait rencontré Yusuf à Maïduguri par l’intermédiaire d’un ami commun, Mamman Nur, celui-là même qui est soupçonné d’avoir orchestré l’attentat contre le bâtiment des Nations unies à Abuja en août 2011. Parlant kanuri, haoussa et arabe – mais pas anglais –, il aurait épousé l’une des femmes de Yusuf et adopté ses enfants. Il ne communique pas directement avec les cellules agissantes de Boko Haram, mais par une série d’intermédiaires. Sur les clips vidéos où il figure, on remarque qu’il n’a ni le charisme ni la faconde oratoire de son prédécesseur, mais il se réclame à chaque fois d’Oussama Ben Laden et ne s’embarrasse pas de discours superflus : « J’ai plaisir à tuer celui que Dieu me recommande de tuer, de la même manière que j’ai plaisir à sacrifier des poulets ou des moutons », déclare-t-il dans l’une de ses apparitions, postées peu après la série d’attaques coordonnées sur Kano qui a fait plus de 180 victimes.
Tout comme le pouvoir fédéral, la majorité des responsables religieux musulmans ne considère pas Abubakar Shekau comme un étudiant en théologie dont il conviendrait de prendre les opinions religieuses en considération, mais comme un dangereux criminel. Sheikh Dahiru Usman Bauchi va donc avoir fort à faire pour établir un dialogue, y compris avec les autorités religieuses.