Le Nigeria est « officiellement » devenu, courant 2014, le premier pays émergent d’Afrique sur le plan économique, la 26ème économie du monde. Fort d’une population estimée à près de 170 millions d’individus, son PIB a atteint 521,8 milliards de dollars en 2013[1] . Le revenu national brut par an et par habitant est en progression constante depuis dix ans, et atteint aujourd’hui 2 710 dollars, contre 2 073,5 dollars pour la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne. Il est également parvenu à endiguer l’épidémie de maladie à virus Ébola en un temps record. Ces bons résultats sont à mettre au crédit du gouvernement sortant de Goodluck Jonathan, ce dernier n’a jamais manqué une occasion de le rappeler lors de sa campagne présidentielle.
Cet homme que l’on disait un peu mou, voire faible, fait preuve d’une étonnante résistance depuis ces deux dernières années face aux orages politiques. Il lui a fallu traverser les tensions au sein de son parti, le PDP (People’s Democratic Party) qui ont notamment conduit à la défection de trente-sept de ses principaux représentants, qui ont migré vers une nouvelle coalition de l’opposition, l’APC (All Progressive Congress). Ce nouveau parti concentre ses forces dans les zones où le PDP est le plus faible, à savoir la partie nord du pays, mais possède des leaders de poids dans plusieurs États du Sud. Pour la première fois depuis le retour de la démocratie au Nigeria, cette bipolarisation pourrait conduire à la défaite du PDP à la présidence de la république. L’APC s’est choisi un candidat de poids pour le représenter à l’élection présidentielle : l’ancien général et ancien chef de l’État putschiste en 1983, Muhammadu Buhari, trois fois défait aux trois derniers scrutins présidentiels, mais qui jouit d’une notoriété sans égale, notamment dans le nord du pays. À ses côtés,
Goodluck Jonathan a également dû essuyer la colère de l’ancien président Olusegun Obasanjo, qui lui a vertement reproché dans une lettre ouverte qui a fait le tour du monde ses manquements, notamment dans la lutte contre la corruption, contre les actes de piraterie et de contrebande de pétrole, ainsi que contre Boko Haram. Globalement : tout ce que lui reproche sa population. Par ailleurs, les leaders de l’opposition lui en veulent aussi de ne pas respecter la règle non écrite qui réclame l’alternance au pouvoir entre un musulman et un chrétien, entre un homme du nord et un homme du sud. Le Nigeria vit dans un perpétuel et fragile état d’équilibre entre sa myriade d’ethnies, et dans le souci constant de préserver un semblant de bonnes relations entre les religions.
Cependant, si l’on en croit le Think Tank Brookings, l’élection sera très disputée mais devrait voir la victoire de Jonathan sur Buhari. Dans son analyse publiée en janvier 2015, Afrique prospective : les priorités pour le continent, l’APC ne serait unie que dans l’espoir d’arracher le pouvoir aux hommes du sud. Il mise sur le sentiment anti-Jonathan très fort dans le nord musulman et sur les griefs maintenus par les Yorubas (sudistes, comme Obasanjo), qui lui reprochent de les avoir ignorés dans les nominations aux postes-clefs de l’administration.
La stratégie de l’APC repose sur la récolte des votes dans le nord-ouest et le nord-est, ainsi que sur le « champ de bataille » yoruba du sud-ouest. Une incertitude demeure : les grands leaders de cette région, l’ancien gouverneur de Lagos Bola Tinubu en tête, pourraient finalement refuser de la livrer au parti qu’ils ont fortement contribué à créer mais qui contient des hommes qui sont quand même leurs adversaires depuis toujours.
Tinubu voulait être candidat à la vice-présidence aux côtés de Buhari, mais il est musulman. Les tacticiens du parti n’ont pas voulu d’un ticket musulman-musulman qui aurait estampillé l’APC comme un parti islamique, lui faisant perdre toutes les voix des chrétiens et inquiétant même les musulmans « ordinaires », d’autant plus que Boko Haram a intensifié ses actions violentes.
Enfin, sur un plan strictement arithmétique, le PDP dispose encore de la majorité dans vingt-et-un États, contre quatorze seulement pour l’APC. Il bénéficie donc, outre des ressources fédérales, d’un soutien institutionnel beaucoup plus fort et il contrôle toujours les grandes administrations. Autrement dit : s’il veut tricher, il le peut…
Bien sûr, de grands efforts vont être déployés pour assurer des élections libres, justes et transparentes de façon à éviter au maximum la violence post-électorale, à laquelle tout le monde s’attend. Le dilemme est simple : la rébellion s’intensifiera dans le nord si l’APC perd, et l’irrédentisme reprendra dans le delta du Niger au sud si le PDP perd.
Les investisseurs internationaux sont sur leurs gardes, mais ne craignent pourtant pas une véritable rupture politique et le retour, par exemple, d’une dictature. Ils pensent plutôt à une possible détérioration de la situation budgétaire comme en 2011, où le détournement massif et brutal d’une partie des ressources de l’État – au profit des irrédentistes de la zone pétrolière notamment – a creusé un trou dans les finances publiques. Pour la ministre des Finances Ngozi Okonjo-Iweala, une « trop grande partie » des flux financiers provenant des ventes de pétrole échappe encore au contrôle de l’État.
Les analystes internationaux des risques-pays estiment enfin qu’il y aura moins de dommages pour l’économie du Nigeria dans une victoire du PDP que de l’APC. En effet, aucune des attaques de Boko Haram n’a été dirigée sur les entreprises étrangères. L’augmentation du « tarif » des rançons pour les enlèvements laisse également penser que les terroristes ne sont plus soutenus par les riches hommes d’affaires du nord et qu’ils ne sont plus en mesure d’accélérer leurs activités. D’où leur recours à l’ultra-violence pour davantage impressionner pendant qu’il en est encore temps. Cela dit, l’impact commercial est catastrophique et Kano, par exemple, n’est plus du tout une destination pour les investissements étrangers.
[1] Source : Banque mondiale